OCTAVE MIRBEAU, ÉCRIVAIN CURISTE Le XIXe siècle et la fièvre thermale Le XIXe s

OCTAVE MIRBEAU, ÉCRIVAIN CURISTE Le XIXe siècle et la fièvre thermale Le XIXe siècle est le siècle de la « fièvre thermale » en France. Cette expression correspond à l’augmentation du nombre de personnes se rendant chaque année près des sources, et caractérise également l’augmentation du nombre de sources en exploitation. À l’époque, tout le monde (ou presque) prend les eaux : en 1834, un médecin d’Aix-les-Bains précise même qu’un bain-douche pour... un cheval coûte vingt-cinq centimes1. Les villes d’eaux fleurissent sur le territoire français, et sont surtout localisées à proximité et au cœur des massifs montagneux. Au début du XXe siècle, elles sont plus d’une centaine de stations réputées, attirant plusieurs centaines de milliers de baigneurs, de buveurs d’eau, de touristes. Créer une station thermale n’est pas seulement exploiter l’eau minérale, c’est également mettre en place un environnement propice, composé à la fois de loisirs, de distractions, sans omettre l’aspect médical, raison d’être du thermalisme. Cette ambivalence entre loisirs et maladie se retrouve dans les infrastructures thermales. Lieu de repos et de soin, la ville d’eaux devient, au XIXe siècle, un lieu de tourisme et de jeux, un lieu mondain où il est de bon ton de se trouver pendant la période estivale. En 1860, dans Baigneuses et buveurs d’eau, Charles Brainne note avec ironie : Tous les ans, au printemps nouveau, les femmes du monde (et du demi-monde) éprouvent un vague malaise. Elles ont tant fait de toilette, tant dansé pendant l’hiver, qu’il faut bien s’habiller et danser encore pendant l’été. Il y a d’aimables créatures ainsi faites, qui babillent et sautillent toute l’année ; grillons l’hiver, cigales l’été. Pour guérir ce mal joli on a recours à certains docteurs qui s’intitulent médecins des eaux2. Le thermalisme recueille en effet les suffrages des hommes de sciences. Ainsi, en 1867, dans son Guide pratique aux eaux minérales et aux bains de mer, le docteur James, pour qui les eaux sont « le plus puissant modificateur de l’organisme3 », s’appuie sur le raisonnement du docteur Bordeu, qui « regarde comme incurable toute maladie chronique qui a résisté aux eaux minérales4 ». Ces séjours aux eaux sont strictement codifiés dans d’innombrables guides et ouvrages thérapeutiques, et il n’est pas rare de voir des médecins investir dans des villes d’eaux et en faire la réclame. L’évolution du discours médical coïncide progressivement avec les attentes des touristes. Au rejet de la ville et de ses miasmes, à la découverte de la nature et à la mode des villégiatures, les médecins répondent par la valorisation des bienfaits de l’air pur et de la campagne : « Il est essentiel que la station offre l’antithèse de la vie et du cadre habituel5 », note le jeune Flaubert, lors de son voyage dans les 1 http://www.thermesdeneyrac.com/espace-thermes/index-espace-thermes.php?mod=thermes- thermes-batiments 2 Charles Brainne, Baigneuses et buveurs d’eau, Paris, Librairie nouvelle, 1860, p. III. 3 Dr Constantin James, Guide pratique aux eaux minérales et aux bains de mer : contenant la description des principales sources et des principaux bains, des études sur l’hydrothérapie, un traité de thérapeutique thermale, Paris, V. Masson et fils, 1867, p. 3. 4 Ibid., p. 2-3. 5 Gustave Flaubert, Les Mémoires d’un fou. Novembre. Pyrénées-Corse. Voyage en Italie, édition de Claudine Gothot-Mersch, Gallimard, Folio classique, 2001. p. 237. 1 Pyrénées, en 1840. En outre, comme l’explique Dominique Jarassé, « l’ambivalence cure/villégiature repose sur une autre dualité rousseauiste, ville/campagne, qui met en opposition les méfaits de la civilisation avec les beautés innocentes de la nature. […] Petite ville, elle doit se masquer sous des airs de village ; village, elle doit se donner des airs de ville6. » Afin d’accueillir dans de meilleures conditions cette foule de malades et d’estivants, les stations thermales se développent : les hôtels se modernisent et, pour rompre l’ennui de ces villages isolés, kiosques à musique, casinos et théâtres voient le jour. Les casinos apparaissent en France essentiellement après 1855 – Vichy, la reine des villes d’eaux, ne possède un casino-théâtre indépendant qu’en 1865, par exemple. Jusque-là, des salons sont aménagés dans les établissements thermaux, où l’on donne des spectacles et des bals et où l’on peut pratiquer des jeux de cartes classiques7 ; on y trouve aussi des salles de sport, d’escrime notamment. Dans les casinos, de multiples animations sont en effet proposées afin de distraire les curistes. On peut y jouer à des jeux de « société », comme les jeux de cartes, les échecs, le tric-trac, les dominos8, les dames, et le billard. Les jeux de hasard sont également présents dans les casinos, même s’ils ne sont pas vraiment autorisés. Les petits chevaux et le baccara sont tolérés, mais, en revanche, la roulette et le trente-et-quarante sont interdits9. Ces nouveaux bâtiments comportent également des salles de bals et des salles de spectacles. Les villes d’eaux, dans leurs réclames, mettent l’accent sur le dynamisme de leur casino, comme à Luchon, qui s’enorgueillit d’avoir tout simplement « le plus beau casino du monde » : « Établissement et casino de Luchon, reine des Pyrénées10 ». 6 Dominique Jarrassé, Les Thermes romantiques, Bains et villégiatures en France de 1800 à 1850, Publications de l’Institut d’Études du Massif Central, Collection « Thermalisme et Civilisation », Fascicule II, 1992. p. 236. 7 Armand Wallon, La Vie quotidienne dans les villes d’eaux (1850-1914), Hachette, 1981, p. 39-40. 8 Bernard Toulier, « Architecture des loisirs en France dans les stations thermales et balnéaires (1840-1939) », Presses universitaires François-Rabelais, http://books.openedition.org/pufr/637?lang=fr. 9 Jérôme Pénez, op. cit., p. 200. 2 En soirée, des bals sont organisés pour les curistes, et il faut y paraître sous son meilleur jour, l’élégance et la beauté des danseurs (surtout des danseuses) étant scrutées et commentées. Durant les après-midi, des bals pour les enfants sont mis en place, et ces derniers reçoivent alors des leçons de danse. En outre, dans la journée, de nombreux morceaux sont joués dans les kiosques à musique. Kiosque à musique de Luchon, devant l’établissement thermal, avril 2014. Le thermalisme au XIXe siècle est indissociable du développement du chemin de fer. Au début du siècle, les curistes se rendent dans les stations thermales principalement par la route, soit en berline privée pour les privilégiés, soit par le service de la poste, des messageries impériales ou royales (selon l’époque) ou d’entrepreneurs privés. Ils doivent suivre des itinéraires jalonnés par de nombreux relais, où les maîtres de poste fournissent les chevaux, le gîte et le couvert, à chaque étape et en fin de journée. Si ces voyages sont pittoresques, ils sont longs – ils durent souvent plusieurs jours – et éprouvants. L’avènement du train révolutionne les transports, mais aussi le rapport aux distances. Plus rapide et plus sûr, le train devient le moyen de communication le plus utilisé pour se rendre dans les villes d’eaux, et contribue à la renommée de certaines stations thermales. Les compagnies de chemin de fer mettent en place des convois directs à destination des stations thermales, consentant des tarifs réduits d’aller et retour pour la durée d’une cure. Par exemple, en 1890, la Compagnie internationale des wagons-lits crée le « Pyrénées-Express », un train de luxe bihebdomadaire entre Paris et Luchon. Le thermalisme fait donc partie de la vie du XIXe siècle, et notamment de celle des hommes et des femmes de lettres. Ainsi Chateaubriand, Lamartine, Scribe, Michelet, Balzac, Hugo, Sand, les frères Goncourt, Maupassant fréquentent les villes d’eaux. Sand en profite pour faire des excursions, Dumas fuit le choléra qui sévit à Paris, Balzac y courtise la marquise de Castries, Zola accompagne sa femme curiste. La ville d’eaux est à la mode. Mais certains écrivains se rendent en cure pour des raisons de santé, Daudet, Maupassant et Lorrain pour soigner leur syphilis, par exemple. Octave Mirbeau n’échappe pas à ce phénomène de la « fièvre thermale », et fait plusieurs cures, dont une inspire le romancier qu’il est. Alice et Octave Mirbeau prennent les eaux 10 Affiches Camis, « Établissement et casino de Luchon, reine des Pyrénées», 1891, (http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530195998.r=casino+luchon.langFR). 3 Alice et Octave Mirbeau souffrent tous les deux de neurasthénie11. Durant l’année 1896, ils sont malades, et l’atmosphère domestique est particulièrement tendue. L’état de Mme Mirbeau nécessite une cure thermale. Le 13 juillet 1896, Mirbeau écrit à Georges Rodenbach : Nous avons passé un abominable été, tous les deux presque toujours seuls en face de notre souffrance. Ma femme a été malade de cette maladie si mystérieuse des nerfs – au point que j’en ai conçu les plus graves appréhensions. Il y avait des jours où je craignais de la laisser seule, une minute. Maintenant, elle va un peu mieux et Robin et moi nous avons profité de cette accalmie pour lui faire entendre raison, et la décider à une cure qu’elle repoussait toujours : le voyage. Elle part dimanche pour Évian, où elle restera vingt jours.12 Alice Mirbeau part à Évian le 19 juillet 1896, puis elle se rend à Aix-les-Bains pour y prendre des douches. Elle y est soignée par le docteur Cazalis, qui, quelques années auparavant, s’était occupé d’Alphonse Daudet en août 1884, uploads/Geographie/ fortunade-daviet-noual-octave-mirbeau-ecrivain-curiste.pdf

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