Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 10.1

Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 10.1 Chapitre 10: La constitution de l'Empire colonial français (1848-1920). N.B. 1 En réalité, dans ce chapitre je traite également toute la politique extérieure extra- européenne de la France: vous y trouverez notamment les deux guerres contre la Chine et l'expédition du Mexique. Inévitablement, la répartition des informations entre ce chapitre et les autres est parfois arbitraire: ainsi vous ne trouverez pas ici le canal de Suez (traité dans le chapitre 3) ni celui de Panamá (traité au chapitre 5). En revanche, ce que j'explique dans le chapitre 3 à propos de la guerre de Crimée, quant au désir du second Empire de plaire aux catholiques par des expéditions lointaines où la France se mettait au service de la religion, trouve d'autres illustrations dans le présent chapitre. La chute de Ferry, traitée dans le chapitre 5, s'explique par les affaires du Tonkin que je détaille ici; les affaires coloniales sont essentielles pour comprendre la montée des tensions internationales dans les années 1900 et 1910 (au chapitre 6). Bref: utilisez ce chapitre en liaison avec le reste du cours, ne traitez pas l'Empire colonial comme un accident sans rapport avec le reste de notre Histoire. N.B. 2 essentiel: ce chapitre ne peut être assimilé qu'à l'aide d'un atlas! Si vous ne faites pas cet effort, ce n'est même pas la peine d'essayer… Si les références culturelles (occidentales ou non) ne vous disent absolument rien, je ne saurais trop vous conseiller quelques visites dans les musées parisiens (musée d'Orsay, musée de l'Homme, musée des Arts africains et océaniens, musée Guimet). « Le conquérant dit à la jeune Indienne: "— Tu vois, Fatma, que je suis ton vainqueur…" » (Livret de La Périchole, opérette d'Offenbach, 1868) Ce chapitre est long, certes plus qu'il n'est nécessaire, en partie parce qu'il est assez difficile de trouver une information factuelle dans les manuels et que je pense qu'elle peut servir, en partie parce que ces anecdotes me paraissent distrayantes, mais surtout parce que je voudrais vous faire toucher du doigt, longuement, le caractère incroyablement archaïque de cette invraisemblable épopée de la colonisation qui ne s'est achevée, je vous le rappelle, que voici une cinquantaine d'années. La question que l'on se pose, j'espère, tout au long de la lecture, c'est: comment cela a-t-il pu arriver? Comment une entreprise aussi méchante et aussi vaine, en contradiction aussi radicale avec les principes dont se réclamait la patrie des droits de l'homme, a-t-elle pu avoir lieu, a-t-elle pu être considérée comme indispensable au rayonnement de la France, au maintien de son rang parmi les nations, comme une chose positive pour les colonisés comme pour les colonisateurs? Il faut, pour le comprendre, faire un effort de changement de point de vue, entrer dans des mentalités aujourd'hui obsolètes; j'en explicite les principaux éléments au début de la quatrième partie, du point de vue métropolitain. Je voudrais ici insister sur d'autres facteurs, propres aux colonisés. On ne fut pas sensible à leurs souffrances parce qu'on ne les entendit pas. D'abord, parce qu'ils ne parlaient pas français, parce qu'ils ne pouvaient s'exprimer ni par la presse, ni par la littérature: il n'existait aucune culture écrite "moderne" dans ces régions, qui en Europe eût eu l'idée de se plonger dans des œuvres écrites en arabe ou en vietnamien, qui ne correspondaient à aucun code littéraite respecté en Europe et exprimaient des points de vue considérés comme "arriérés", "barbares", voire simplement stupides? Ils ne pouvaient pas non plus s'exprimer par la voie diplomatique: il n'y avait rien de comparable à l'O.N.U., les pays européens ne traitaient pas les formations politiques extra-européennes sur un plan d'égalité (en Afrique noire, l'Europe ne reconnaissait même pas l'existence d'États: il n'y avait que des "tribus"). Il n'y avait pas non plus de contacts personnels: les non- Européens voyageaient peu, les Européens à peine plus (à part ceux, justement, qui prenaient part à la curée coloniale). Les colonisés ne votaient pas: les politiciens n'avaient donc pas à tenir compte de leurs désirs. Les résistances à la colonisation étaient mises sur le compte de la barbarie, de l'aveuglement de populations abruties par des siècles d'esclavage, fanatisées par leurs marabouts, leurs mandarins, leurs féticheurs. Les médias étaient infiniment moins puissants, moins rapides qu'aujourd'hui: les rares journalistes qui se rendaient aux colonies étaient étroitement dépendants de leurs contacts avec les autorités locales, et à qui d'autre s'adresser qu'aux colons quand aucun colonisé ne parlait français? L'opinion publique en métropole était tenue dans une ignorance à peu près complète des réalités peu reluisantes de la colonisation, des massacres, des destructions, du mépris raciste dans lequel les colonisateurs tenaient les colonisés; en revanche il y avait toute une propagande coloniale, qui avec le temps finit par porter. Dans ces conditions le capital d'hostilité, de haine parfois que la France accumula dans les régions colonisées restait inerte, thésaurisé pour l'avenir: il n'eut pas d'influence sur l'image de la France, sur sa santé, sur son poids dans le concert des nations — jusqu'en 1945. I-L'héritage du passé: la situation vers 1848. Jean-Pierre Minaudier. Lycée La Bruyère, Versailles, octobre 17, 2004. Fr 10.2 Lorsque commença la deuxième République, il ne restait que des miettes du premier Empire colonial français, constitué à partir du XVIe siècle sur le continent américain, dans les Antilles et sur les côtes de l'Afrique et de l'Inde. Ce premier Empire s'était constitué selon au moins quatre logiques. D'abord une logique commerciale: beaucoup d'établissements coloniaux se limitaient en fait à un comptoir: une ville côtière, voire un quartier à partir duquel on commerçait avec l'arrière-pays (des soieries et des épices en Inde, des esclaves en Afrique noire). Ensuite une logique d'exploitation des ressources naturelles des territoires colonisées, très extensive à une époque de transports déficients: ainsi le Canada fournissait des fourrures, produits chers et légers dont le transport ne posait pas de problème. Il faut évoquer aussi aussi les quelques tentatives faites pour y installer des paysans, ainsi qu'en Louisiane; mais ces colons étaient rarement des volontaires, on le voit bien dans Manon Lescaut: on ne peut guère parler d'une logique de peuplement. Certaines colonies, de taille réduite et accessibles par mer, étaient exploitées de façon beaucoup plus intensive: c'étaient les "îles à sucre" (aux Antilles et dans l'océan indien), mises en valeur grâce à une main-d'œuvre servile. Elles représentaient de loin la partie la plus prospère et la plus rentable de l'Empire colonial français au XVIIIe siècle. Signalons enfin une présence française ancienne, bien qu'elle n'eût pas débouché sur une colonisation en bonne et due forme, à Madagascar (surtout pour des raisons stratégiques: la Grande Île était une étape essentielle sur la route des Indes) ainsi que dans la péninsule indochinoise et en Chine, régions où l'activité dominante des Français était une activité missionnaire (c'était un Avignonnais qui, pour les besoins de l'évangélisation au XVIIe siècle, avait inventé la transcription en alphabet latin de la langue vietnamienne1); mais dès le XVIIIe siècle la présence de missionnaires en Extrême-Orient entraîna des interventions dans les affaires politiques locales, ne fût-ce que pour les protéger de pouvoirs locaux très hostiles. Bien entendu, plusieurs de ces logiques pouvaient se combiner: l'île Bourbon (l'actuelle Réunion) était à la fois une île à sucre et un relais stratégique sur la route des Indes; si les souverains d'Annam, du Siam ou de la Chine toléraient plus ou moins les missionnaires chrétiens, c'était qu'avec eux venaient des marchands, appréciés des élites locales (de cour et commerçantes), notamment en tant que pourvoyeurs de produits de luxe. Cet Empire s'était effondré à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, en deux temps. Le traité de Paris (1763), consécutif à la défaite de la France face au Royaume-Uni dans la guerre de sept ans, se traduisit par la perte des possessions françaises en Amérique du nord continentale (le Québec et la Louisiane orientale, à l'est du Mississipi, allèrent au Royaume-Uni — l'Acadie lui avait déjà été cédée en 1713; la Louisiane occidentale alla à l'Espagne); la France obtint en revanche de garder les îles à sucre, sauf la Grenade. Les conséquences de la Révolution et de l'épisode napoléonien consommèrent le désastre. La France fut en guerre presque permanente avec la Grande-Bretagne, maîtresse des mers; aux effets de ce conflit s'ajoutèrent ceux des troubles provoqués dans les colonies par l'évolution politique de la métropole (par exemple l'abolition de l'esclavage en 1794, puis son rétablissement par Napoléon en 1802). Ce fut d'abord la révolte des Noirs de Haïti en 1791, qui aboutit à la perte de contrôle totale de l'île en 1794: Toussaint Louverture y fonda "la première République noire". Une tentative de reprise en mains par Bonaparte échoua en 1802-1803. Ce fut ensuite, en 1803, la vente aux États-Unis de la Louisiane occidentale (rendue par l'Espagne quelques mois auparavant); ces « quelques arpents de neige » (selon le mot de Napoléon) ne comptaient que 50.000 habitants blancs, y compris les réfugiés d'Acadie et les Espagnols. Après Trafalgar (octobre 1805), toutes les colonies passèrent entre uploads/Geographie/ france-10-colonies.pdf

  • 14
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager