L ’appropriation est un usage social qui témoigne d’une relation étroite entre

L ’appropriation est un usage social qui témoigne d’une relation étroite entre les hommes et l’espace pour satisfaire différents besoins (exhibition, contestation, sociabilité, revendica- tion…). Rapportée au processus de requalification, elle montre à la fois comment les acteurs institutionnels s’approprient ou se réapproprient l’espace et comment des dysfonctionnements se produisent entre un lieu physique et fonctionnel requalifié et des formes de ré- appropriation sociale interdites ou tolérées, en adéqua- tion ou non avec le projet d’aménagement initial. I. SENS ET DÉFINITIONS DU PROCESSUS D’APPRO- PRIATION 1-1 L’appropriation est un acte social Même si les modes de production économique et politique territorialisent l’espace par des découpages administratifs et juridiques, par la programmation d’opé- rations d’urbanisme, etc., le mécanisme d’appropriation de l’espace renvoie d’abord à la problématique sociale du territoire: le rapport à l’espace social pratiqué, perçu, représenté, approprié à travers la diversité des dimen- sions sociales et culturelles, des cycles de vie, des classes d’âge des individus et des groupes. La lecture des territoires du quotidien (G. Di Méo, 1996) permet de définir partiellement le territoire comme espace socia- lisé, culturellement hérité, identifiable, appartenu voire approprié et socialement pratiqué. Le territoire est cons- titutif des processus d’interaction entre société et espace. Si le territoire a longtemps évoqué un usage administratif et politique (Aménagement du Territoire), ces dernières décennies marquent plutôt l’idée de la projection sur un espace donné des structures spéci- fiques d’un groupe ou d’une classe sociale. On rejoint alors ici une des approches privilégiées de la géogra- phie sociale (les déracinés, les ouvriers, les jeunes, les immigrés, les banlieusards), mais aussi de la sociologie et de l’éthologie: défendre socialement un territoire et s’approprier un territoire (M. Fize, 1993). Ainsi, l’appropriation peut d’abord être définie comme un processus psycho-spatial, individuel ou col- lectif, qui reflète une forme de liberté de disposer d’un espace, de détenir une pseudo-propriété selon des usages propres (c’est-à-dire des formes d’occupation des lieux) et des signes culturels spécifiques. L’appro- priation est une forme de pratique sociale et spatiale qui caractérise une relation privilégiée aux lieux. Cette défi- nition est alors très proche de ce qu’Augustin Berque (1995) appelle « l’esprit des lieux ». Alors, si l’espace réel, topographique, physique est par essence objectif, l’espace social est, quant à lui, vecteur de subjectivité. Il devient, dans sa mise en rela- tion avec l’individu ou le groupe, le cadre d’image, d’ap- propriation, de représentation émanant de facteurs indi- viduels et collectifs (certains lieux ne pouvant être appropriés que collectivement, de manière civile –mani- festations politiques, citoyennes- ou incivile -rodéos automobiles sur les parkings d’hypermarchés-). La sen- sibilité, la culture, la mémoire des individus et des groupes sociaux, leur relation affective, conflictuelle ou encore revendicative à la ville, les conduisent à préférer certains lieux plutôt que d’autres, à défendre un espace public ou un quartier en voie de mutation fonctionnelle, architecturale ou sociale et à occuper des lieux symbo- liques de pouvoirs et de représentation. 1-2- La requalification comme acte d’appropria- tion - ré-appropriation politique et économique Après cette définition sociale et comportementale de l’appropriation, deux autres formes d’appropriation – ré-appropriation peuvent être énoncées sur un volet plus institutionnel. Dans un premier temps, il s’agit de la forme d’ap- propriation – ré-appropriation institutionnelle publique qui consiste, d’un point de vue urbanistique, à requali- fier une zone industrialo-portuaire (Saint-Nazaire), les berges d’un fleuve (Bordeaux, Lyon), à construire un nouveau pôle de centralité (Carré Sénart) ou à réutiliser une friche commerciale (Bercy Village à Paris) ou industrielle (Meadow Hall à Sheffield). Tous ces projets en cours de réalisation ou achevés, élaborés dans le cadre d’un Plan Directeur d’Aménagement d’Ensemble à Bordeaux ou dans celui d’un Plan Global de Déve- loppement à Saint-Nazaire, illustrent avant tout une volonté de ré-appropriation collective, par les collecti- 35 N° 21, mars 2004 E E S O O Requalification, ré-appropriation et urbanité Arnaud Gasnier GREGUM - UNIVERSITÉ DU MAINE ESO - UMR 6590 CNRS vités locales, des espaces en déshérence, en crise, en friche dont les images de désindustrialisation, de chô- mage, de dégradation du paysage urbain, de paupéri- sation et de traumatisme pouvant être liées à des évè- nements douloureux passés (à Saint-Nazaire, la base sous-marine a cristallisé pendant longtemps la mémoire de la Seconde Guerre mondiale), illustrent les causes principales du réaménagement volontariste et pro- grammé souhaité. De manière classique, les objectifs principaux sont de créer de nouveaux quartiers attrac- tifs en centre ville pour renforcer le rayonnement et l’at- traction des agglomérations, de développer une offre innovante en matière de loisirs urbains et de com- merces, de mettre en valeur les qualités paysagères des sites requalifiés, de reconquérir les friches indus- trielles ou encore de désenclaver certaines parties de la ville continue, quartiers denses et anciens des villes centres et des agglomérations. Si les objectifs affichés demeurent sensiblement les mêmes d’une opération d’aménagement ou de renouvellement urbain à une autre, il n’en demeure pas moins que la recherche de nouvelles identités urbaine et sociale est omniprésente: A Roubaix, l’an- cienne piscine municipale construite en 1932 dans le style Art déco et transformée en musée d’Art et d’In- dustrie, devient un lieu de culture et de mémoire à la gloire de l’industrie textile qui a pourtant représenté, dans un passé proche, des situations de crise et de relégation de toutes sortes. De même, Escale Atlan- tique, équipement touristique et récréatif dans la BSM de Saint-Nazaire, montre, à travers la reconstitution et la théâtralisation d’un paquebot, le désir politique pré- gnant de reconstruire une identité urbaine basée sur le savoir-faire local en matière de construction aéro- navale et sur la ré-appropriation du port et du littoral (opération Ville/Port). La seconde forme institutionnelle abordée dans ce rapport à l’appropriation concerne celle des espaces collectifs privés (centres ou parcs commerciaux et de loisirs) dont l’organisation polycentrique montre l’écla- tement de la centralité au sein des aires urbaines partagé entre les centres traditionnels, les centres plus récents dans la ville continue et ceux actuelle- ment en cours de remplissage et d’extension aux entrées des agglomérations. Il faut attendre le milieu des années quatre-vingt pour voir se multiplier les implantations de grandes et moyennes surfaces spé- 36 Travaux et documents cialisées autour des hypermarchés formant alors de plus ou moins longs corridors commerciaux renforcés depuis peu par la greffe de nouveaux équipements de loisirs (services de restauration, multiplexes cinéma- tographiques). Montrés du doigt sur la question de la banalisation architecturale des parcs commerciaux, de la mono fonctionnalité et de l’inaccessibilité par les transports collectifs, les promoteurs et distributeurs de centres commerciaux intègrent de plus en plus dans leurs réflexions les différentes manières d’aménager des « lieux de vie », conviviaux et festifs, qui ne soient plus seulement des lieux de vente mais des espaces capables de transformer le besoin en désir/plaisir. Le développement du Fun Shopping et des Entertain- ment centers montre combien la recherche de nou- veaux services ludiques, récréatifs, d’ambiances et de décors, est utilisée pour renforcer l’attraction et l’ap- propriation de l’espace (qui reste toujours fondamen- talement marchand). Odysséum, le parc ludico-com- mercial de Montpellier accessible depuis le centre-ville par le tramway, concentre, autour d’un réseau d’espaces publics piétonniers, un musée des sciences, une patinoire sportive et ludique, un plané- tarium en 3D, un cinéma dynamique, une salle Imax, de grandes enseignes commerciales, un ensemble de restaurants et d’équipements sportifs. Prochainement, de nouvelles surfaces commerciales et un aquarium devraient compléter l’offre existante. Ces concepts de centres commerciaux à carac- tère ludique en périphérie de ville sont appliqués éga- lement dans les opérations de requalification urbaine des espaces centraux traditionnels. Dans ce dernier cas, les volets culturel, historique, patrimonial sont davantage recherchés et valorisés à l’exemple de Bercy Village à Paris, quartier dédié pendant plu- sieurs siècles au commerce du vin, où boutiques et restaurants se sont installés dans les anciens chais patrimonialisés, le long du cours Saint-Émilion récem- ment restauré. Ces boutiques « branchées « aux niches marketing spécifiquement attachées aux domaines de la décoration, du bien-être, de la nature, des saveurs…, visent la clientèle des « Bobos », les bourgeois bohèmes, par une gamme de produits assez peu bon marché dans un environnement reva- lorisé par le Parc de Bercy, le musée des Arts forains et l’ambiance historique du lieu. Quelle que soit l’échelle du projet d’aménagement Requalification, ré-appropriation et urbanité ou de réaménagement, les objectifs politiques et éco- nomiques affichés par les acteurs partenaires, la mixité recherchée des modes de gestion et des fonc- tions culturelles, commerciales, ludiques ou touris- tiques, publics ou privés, les outils utilisés restent tou- jours à peu près les mêmes. Ces modes d’action aboutissent alors au raisonnement contestable sui- vant: la fonction et l’aménagement d’un lieu détermi- neraient l’usage, voire l’appropriation (A. Gasnier, 1994). Tous les projets de requalification observés jusqu’ici sont pensés dans des cadres territoriaux qui sont attachés à une ou plusieurs logiques de fonc- tionnement dont les normes de conduite et les com- portements proscrits sont parfois très rigides, au point de limiter l’urbanité en annihilant des formes d’appro- priation potentielles dans tel ou tel espace, uploads/Geographie/ gasnier.pdf

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