Paul Mansion Gauss contre Kant sur la géométrie non euclidienne In: Revue néo-s

Paul Mansion Gauss contre Kant sur la géométrie non euclidienne In: Revue néo-scolastique. 15° année, N°60, 1908. pp. 441-453. Citer ce document / Cite this document : Mansion Paul. Gauss contre Kant sur la géométrie non euclidienne. In: Revue néo-scolastique. 15° année, N°60, 1908. pp. 441- 453. doi : 10.3406/phlou.1908.2180 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-5541_1908_num_15_60_2180 XII. GAUSS CONTRE KANT SUR LA GÉOMÉTRIE NON EUCLIDIENNE*). 1. Objet de cette Noie. Depuis un quart de siècle, on s'est occupé plusieurs fois de la géométrie non euclidienne dans ses rapports avec la Critique de la raison pure. Mais la plupart des auteurs qui ont examiné cette question, p. ex., Helmholtz, A. Krause, C. Sentroul, L. Nelson, W. Meinecke, ne semblent pas avoir connu les recherches les plus remarquables au point de vue philosophique, sur les principes de la géométrie. En particulier, la plupart de ceux qui ont écrit sur ce sujet, Vassilief et Veronese exceptés, ont négligé les cri tiques que Gauss a nettement formulées, il y a plus de trois quarts de siècle, contre le postulat fondamental de Kant : V espace est une représentation nécessaire a priori qui est le fondement de toutes les intuitions extérieures. (Kritik der reinen Vernunft, éd. von Kirchmann,p.75.) Les assertions de Gauss sur ce point sont tellement caté goriques qu'il faut admettre ou bien que Kant s'est radica lement trompé dans ses vues sur l'espace, ou que Gauss n'a pas compris la Critique de la raison pure. Pour ceux qui connaissent la profondeur et la tournure philosophique du génie de Gauss et qui savent la place presque unique qu'il occupe dans l'histoire des sciences *) Cette étude a été présentée, le 3 septembre 1908, au Congrès inter national de Philosophie de Heidelberg (31 août-5 septembre 1908). 442 GAUSS CONTRE KANT mathématiques et physiques (théorie des nombres, haute analyse, géométrie infinitésimale, physique, astronomie, théorie des erreurs d'observation), il est bien difficile d'ad mettre la seconde alternative. Gauss a été contemporain du mouvement d'idées soulevé par la Critique de la raison pure. Il a dû examiner à fond un livre dont des considé rations sur l'espace sont une des bases essentielles et qui faisait tant de bruit à une époque où lui-même se livrait aux profondes méditations, qui, après un quart de siècle d'efforts, devaient lui faire trouver la géométrie non eucli dienne. L'autre alternative, au contraire, n'a rien d'invraisem blable a priori. Kant a montré, dans la Critique de la raison pure même et ailleurs, qu'il ne connaissait que très mal les éléments des mathématiques ; il ne s'est nullement tenu au courant des recherches qui ont paru de son temps, sur les premiers principes de la géométrie. Dans la présente Note, nous allons faire connaître les vues essentielles de Gauss sur l'espace en les situant dans l'histoire de la géométrie non euclidienne, entre les re cherches qui les préparent et celles qui les complètent sur la métaphysique de la géométrie. Nous indiquerons ensuite l'erreur singulière de Kant touchant le prétendu paradoxe des objets symétriques, qui a été l'origine de son postulat fondamental sur l'espace ; enfin nous signalerons les lacunes de son information ma thématique et ses conséquences. 2. Les précurseurs inconscients de la découverte de la géométrie non euclidienne : Proclus, Saccheri, Lambert, Legendre. Contrairement à une opinion très répandue, il n'est pas vrai qu'après Euclide, son célèbre cinquième postulat ]), ou postulat des trois droites, ait été admis comme J) « [Qu'il soit demandé que,] si une droite rencontrant deux droites [situées dans un même plan], fait avec celles-ci, d'un même côté, des angles intérieurs dont la somme soit moindre que deux droits, les deux droites prolongées indéfiniment se rencontrent du côté où la somme est inférieure à deux droits. » SUR LA GÉOMÉTRIE NON EUCLIDIENNE 443 évident par les géomètres. Au contraire, ils n'ont cessé d'essayer de le démontrer, dans l'antiquité, au moyen âge, à la Renaissance, au xvne, au xvine, au xixe siècle. Il y a plus. Dès l'antiquité, on en a douté : Proclus, à propos du cinquième postulat d'Euclide, se demande si deux droites d'un plan ne peuvent pas être asymptotes l'une de Vautre. Or ce doute de Proclus, qui n'a pas échappé aux géomètres de la Renaissance, est, au fond, l'idée-mère de la géométrie lobatchefskienne qui peut s'en déduire logiquement tout entière. — Dans la Divine Comédie (Par. XIII, 101-102) Dante exprime un doute semblable, qui a été signalé par Halsted. Saccheri (1667-1733) est le créateur de la Critique des postulats. Pour voir si le postulat des trois droites est indépendant des vérités géométriques admises antérieure ment, il établit un système logique de géométrie indépen dant de ce postulat et prouve que, dans ce système, deux droites se coupent, ou sont asymptotes ou ont une perpen diculaire commune et divergent indéfiniment (1733). Le livre de Saccheri ne passa pas inaperçu : il fut analysé par Kltigel, en 1763, dans une dissertation critique sur les principaux essais de démonstration de la théorie des parallèles. Le célèbre mathématicien suisse, Lambert (1728-1777), l'un des correspondants de Kant, ajoute aux résultats de Saccheri le beau théorème : Si l'on rejette le cinquième postulat d'Euclide, la surface d'un triangle est proportionn elle à l'excès de deux droits sur la somme de ces angles (1766; publié en 1786). Corollaire : la géométrie métrique dépend d'une constante spatiale, à déterminer par l'obser vation. En 1794, Legendre (1752-1833) donne, dans la note II de la première édition de ses Eléments de Géométrie (et aussi dans toutes les éditions subséquentes), un essai de démons tration fonctionnelle d'une proposition équivalente au pos tulat des trois droites. Cette démonstration renferme une 444 GAUSS CONTRE KANT erreur de raisonnement qu'il suffit de corriger, comme l'a indiqué Gauss (Wer&e, VIII, p. 168), pour retrouver, de la manière la plus simple, l'importante remarque de Lambert sur la constante spatiale. Saccheri, Lambert, Legendre ne sont que des précur seurs inconscients de la meta géométrie ; car tous trois détruisent de leurs propres mains l'édifice de la géométrie non euclidienne (lobatchefskienne et, ça et là, riemannienne) qu'ils ont commencé à élever : Saccheri, au nom de faux principes sur les infiniment petits, Lambert et Legendre, parce qu'ils trouvent invraisemblable que la géométrie dépende d'une constante spatiale, comme la géométrie des figures tracées sur une sphère dépend de son rayon. 3. Gauss (1777-1855). La constante spatiale. Gauss, à vingt-deux ans, était parvenu à démontrer enfin avec rigueur le principe fondamental de l'analyse algébrique (1799), ce que n'avaient pu faire ni Euler, ni Lagrange ; à vingt-quatre, il avait publié ce livre prodigieux, les Dis- quisitiones arilhmeticae (1801) où il dépassait d'un seul coup, Euler, Lagrange et Legendre, dans la plus difficile des sciences mathématiques, l'arithmétique^supérieure. C'est à ce profond penseur qu'il était réservé de voir clair, le premier, dans la queslion du postulat des trois droites et de faire de la notion de constante spatiale la pierre angul aire de la philosophie de la géométrie. Depuis 1792 (Wcrke, VIII, pp. 238, 221, 213, 200), il ne cessait de méditer sur le mystère du cinquième pos tulat ; en 1794, il avait retrouvé le théorème de Lambert (Werke, VIII, p. 266) et auparavant, très probablement, celui de Saccheri (Ibid., pp. 163-164, 202-209). Mais ce n'est que vers 1816 (Ibid., pp. 175-176) qu'il est en pos session de la métrique non euclidienne. Dès lors il est cer tain que le postulat est indémontrable, il voit l'extrême importance de la notion de constante spatiale, et il crée dans sa tête, pour lui seul, la géométrie non euclidienne, SUR LA GÉOMÉTRIE NON EUCLIDIENNE 445 avec l'intention d'en faire plus tard un exposé complet, à publier après sa mort. Montrons-le par quelques citations de ses lettres. (A). 1816, 11 avril. « Dans un triangle equilateral,... le côté est une fonction de l'angle, fonction où entre en même temps une ligne constante » (Werke, VIII, p. 169). (B). 1817, 28 avril. « Je suis de plus en plus convaincu que la nécessité de notre Géométrie ne peut être prouvée..: On ne devrait pas placer la Géométrie à côté de l'Arithmé tique qui est purement a priori, mais la mettre sur le même rang que la Mécanique » (Ibid., p. 177). (C). 1819, 16 mars). « J'ai poussé la géométrie astrale [c.-à.-d. non euclidienne] assez loin pour pouvoir résoudre tous les problèmes aussitôt que la constante =C est donnée » (Ibid., p. 182). (D). 1824, 8 novembre. « Je puis résoudre tout pro blème de géométrie non euclidienne à l'exception de la détermination d'une constante qui ne se laisse pas obtenir a priori. Plus cette constante est grande, plus on se rap proche de la géométrie euclidienne, qui correspond à une valeur infinie de la constante ». « Si la géométrie non euclidienne était la vraie [géométrie réalisée dans la nature] et si cette constante était dans un certain rapport avec les grandeurs accessibles à nos mesures sur la terre ou au ciel, on pourrait l'obtenir a posteriori « (Ibid., p. 187). (E). 1829, 9 avril. « Nous devons reconnaître humble ment que si le nombre est uploads/Geographie/ gauss-contre-kant-sur-la-geometrie-non-euclidienne.pdf

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