LES ÉLÉMENTS DE GÉOMÉTRIE DE CLAIRAUT : RUPTURE OU HÉRITAGE ? Alain Bernard Édi

LES ÉLÉMENTS DE GÉOMÉTRIE DE CLAIRAUT : RUPTURE OU HÉRITAGE ? Alain Bernard Éditions Kimé | « Philosophia Scientiæ » 2022/2 26-2 | pages 19 à 42 ISSN 1281-2463 ISBN 9782380720754 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-philosophia-scientiae-2022-2-page-19.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Éditions Kimé. © Éditions Kimé. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Éditions Kimé | Téléchargé le 19/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.0.27.169) © Éditions Kimé | Téléchargé le 19/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.0.27.169) Les Éléments de géométrie de Clairaut : rupture ou héritage ? Alain Bernard Université Paris-Est Créteil ; Centre Alexandre Koyré, Paris (France) Résumé : D’un point de vue patrimonial, le célèbre texte des Éléments de géométrie de Clairaut, publié la première fois en 1741, est traditionnellement considéré comme le début d’une riche histoire plutôt que son aboutissement, en raison notamment du succès considérable qu’il a eu dès sa parution et de la manière dont Clairaut en a défendu le projet, en rupture apparente avec le modèle euclidien. Nous proposons ici une image un peu différente qui s’appuie sur la nature très particulière de la production géométrique foisonnante dans laquelle le traité de Clairaut s’insère et doit être compris. Nous présentons tout d’abord le côté paradoxal de l’ouvrage, qui revendique non seulement une grande originalité mais aussi une non moins grande conformité au genre des « éléments » de géométrie spéculative. Nous indiquons ensuite cinq raisons majeures qui montrent que le texte était en effet largement conforme aux attendus de l’époque, y compris dans sa revendication d’accessibilité et de rupture vis-à-vis du modèle euclidien. Nous dégageons deux originalités de l’ouvrage : le fait de confondre les caractéristiques des géométries spéculatives et pratiques dans un seul et même ouvrage ; et le fait d’écrire un ouvrage de géométrie suivant un « ordre analytique », mais sans algèbre. Abstract: From the patrimonial point of view, the famous “Elements of geometry” published for the first time in 1741 par Alexis Clairaut is traditionally regarded as the starting point of a rich tradition, rather than the legacy of 17th and 18th geometry. This is due to the considerable success of the treatise from the time it was published onwards as well as to the brilliant way in which Clairaut opposed his project to the Euclidean model. Here we propose a slightly different view through the characterization of the highly particular nature of the flourishing production of geometrical treatises in the light of which the publication of Clairaut’s work must be understood. We shall first present the paradox inherent to Clairaut’s treatise, namely that the Philosophia Scientiæ, 26(2), 2022, 19–42. © Éditions Kimé | Téléchargé le 19/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.0.27.169) © Éditions Kimé | Téléchargé le 19/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.0.27.169) 20 Alain Bernard author claims both a high level of originality and a high level of conformity to the genre of “elements” in speculative geometry. We then indicate five major reasons why the text actually conformed to the contemporary expectation for new and “disruptive” geometries. Two original points of the treatise are thus highlighted: the fact that it blurred the traditional frontier between speculative and practical geometry; and the fact that this work in geometry follows an “analytical order” but without algebra. 1 Introduction : la valeur patrimoniale du texte de Clairaut et la question de son originalité Le texte des Éléments de géométrie de Clairaut, publié la première fois en 1741, tire sa valeur patrimoniale du fait qu’il est habituellement considéré comme le début d’une riche histoire plutôt que son aboutissement. Cela vient en partie du succès considérable que ce texte a eu dès sa parution (voire avant cette dernière) et qu’il a gardé jusqu’à aujourd’hui1. D’autre part, ce texte se présente et a été présenté comme un texte original car allant contre l’ordre euclidien. D’un point de vue formel, en effet, il ne commence pas par des « éléments2 », au sens propre d’un ensemble préliminaire de définitions, d’axiomes ou de postulats, mais par une préface et quatre introductions mi-historiques, mi-philosophiques aux quatre grandes parties de l’ouvrage3 qui débouchent essentiellement sur la discussion de problèmes 1. Les éditions, traductions et mentions de l’ouvrage de Clairaut sont répertoriées systématiquement sur le très beau site d’Olivier Courcelle, Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) www.clairaut.com, qui a repris et largement complété les travaux de repérage bibliographique de René Taton. Pour les Éléments de géométrie, voir [Courcelle 2017] ainsi que [Zinsser & Courcelle 2003]. Pour l’évaluation de sa réception, voir [Lubet 2021], [Sander 1982, 124–141]. 2. Dans tout l’article, nous écrivons « éléments » sous cette forme, pour désigner plutôt un genre d’ouvrage ou une notion générale. L’écriture « Éléments » est réservée aux titres d’ouvrages ou bien d’articles (dans l’Encyclopédie). L’orthographe est modernisée dans les deux cas, les textes du dix-huitième siècle dont celui de Clairaut, emploient souvent « élémens », sans « t ». 3. La première partie discute, au titre des « moyens les plus naturels d’employer pour parvenir à la mesure des terrains » [Clairaut 1741, 1] six grands problèmes de nature pratique, mais qui introduisent les premières connaissances élémentaires de géométrie plane. La seconde partie, de nature plus théorique, introduit des problèmes permettant de « comparer des figures rectilignes » [Clairaut 1741, 73] par des méthodes « exactes » (règle et compas). La troisième aborde « la mesure des figures circulaires, et de leurs propriétés » [Clairaut 1741, 105] et la quatrième [Clairaut 1741, 145 sq.] traite de la mesure des solides. Nous ne discuterons pas ici © Éditions Kimé | Téléchargé le 19/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.0.27.169) © Éditions Kimé | Téléchargé le 19/10/2022 sur www.cairn.info (IP: 154.0.27.169) Les Éléments de géométrie de Clairaut : rupture ou héritage ? 21 enchaînés entre eux selon un ordre analytique : des « problèmes clés » d’ordre général (qu’ils soient de nature pratique ou non) sont progressivement réduits à des problèmes plus élémentaires ou bien à des définitions et théorèmes qui sont ceux de la « géométrie ordinaire ». De surcroît, Clairaut explicite cette stratégie d’exposition dans l’importante préface du traité, qui est reproduite dans bien des recensions du texte : Clairaut revendique en effet cette construction originale comme allant contre l’ordre d’exposition euclidien, qui irait essentiellement par théorèmes, le terme « théorème » étant pris dans un sens philosophique très général, de vérité qui n’a pas été justifiée au préalable4. Il ne fait aucun doute, comme nous le verrons, que tout ceci a été regardé comme une originalité de l’ouvrage dès sa publication. Mais conclure de là qu’il s’agit d’un texte hautement original dans son contexte de parution serait une erreur. Cela reviendrait en effet à faire l’ellipse de ce qu’était ce contexte et tout particulièrement la « soif de nouveautés » en matière de textes de géométrie qui caractérise le premier dix-huitième siècle, ainsi qu’à présupposer un peu vite qu’un texte d’Euclide était alors un objet unique et bien identifié, l’équivalent de ce que nous font connaître aujourd’hui les éditions modernes d’Euclide5. Le lecteur géomètre du dix-huitième connaît surtout des adaptations d’Euclide à des degrés divers, qui l’assortissent au minimum d’un nombre important de commentaires ou bien, à l’autre extrême, d’Éléments de géométrie ou de mathématiques qui ne gardent que le titre de l’ouvrage d’Euclide mais en revoient complètement l’ordre. L’objet de cette étude est donc de réévaluer au mieux la question de l’originalité du texte séminal de Clairaut en le rapportant plus précisément à son contexte d’apparition et de réception ainsi qu’à la nature de ses références implicites les plus probables6. Notre objectif est d’indiquer les différentes traditions d’écriture de la géométrie auxquelles ce manuel emprunte de manière plausible, en énumérant les caractéristiques qui en faisaient un objet sinon banal, du moins assez courant pour qu’on puisse le comparer à d’autres types de géométries à l’époque. Ce premier objectif revient à esquisser une première caractérisation du genre alors en pleine évolution des « éléments », que ce soit plus en détail ces quatre parties et les principaux « problèmes clés » introduits dans chacune, que ce soit dans l’introduction ou dans le corps de chaque livre. On en trouve une présentation et une analyse générale, fondée sur l’examen d’une réédition, dans [Sander 1982, 10–62]. Une autre présentation plus synthétique mais partielle de l’ouvrage se trouve en français dans [Barbin 1991]. 4. En ce sens, même un « problème » au sens euclidien est un « théorème » aux yeux de Clairaut. 5. Les traductions modernes (Heath, Vitrac, uploads/Geographie/ scie-262-0019.pdf

  • 9
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager