Geographedumonde année 2006 Bruno Judde de Larivière Agrégé de géographie Ensei

Geographedumonde année 2006 Bruno Judde de Larivière Agrégé de géographie Enseignant aux Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan (56) Je rassemble ici sous un même format des posts de mon blog. Ma rédaction pour 'Geographedumonde' a commencé en octobre de cette année-là. A l'époque je mettais en ligne en même temps 'Une Poignée de Noix Fraîches', ce qui explique le nombre réduit d'entrées. Celles-ci augmenteront par la suite ! * 10 octobre. Du couple improbable ville-voitures (un péage urbain à Stockholm) Dans le numéro 831 de Courrier International (du 5 au 11 octobre 2006), un article tiré du Wall Street Journal fait le point sur la situation de l’automobile à Stockholm, quelques mois après l’instauration d’un péage urbain dans la capitale suédoise. Les journalistes (Leila Abbud et Jenny Clevstrom) insistent sur le fait que les habitants ont plébiscité par référendum le projet et que les observateurs étrangers sont nombreux sur place. Il y aurait donc quelques découvertes sensationnelles à attendre ? Rappelons d’abord que la Suède compte un septième de la population française – un peu moins de 9 millions d’habitants – pour une superficie assez proche de celle de l’Hexagone (450 000 contre 550 000 km²). Plus de 80 % des Suédois vivent en ville. Un sur cinq réside dans ou à côté de la capitale. Les auteurs de l’article évaluent en effet à environ deux millions le nombre d’habitants que compte l’agglomération de Stockholm. A proximité du littoral sud-est du pays, celle-ci s’étend sur des îles fluviales entre un lac (Mälaren) et la mer Baltique. En l’absence de reliefs contraignants et malgré l’omniprésence des eaux de surface, les routes et autoroutes ont facilité l’étalement de l’agglomération, par étalement de ses périphéries (périurbanisation). Le résultat est que le plan de Stockholm ressemble à une étoile. Les extrémités de chacune des branches se trouvent distantes d’au moins vingt-cinq kilomètres du centre (sauf vers l’est). L’aéroport international (Arlanda) est à une quarantaine de kilomètres au nord, tandis que cinquante kilomètres séparent la banlieue sud-ouest de Södertälje de celle – au nord-est – d’Akersberga. Un périmètre parisien ou londonien pour deux millions d’habitants. Seule la voiture permet à un citadin de l’agglomération de circuler, au moins lorsque les transports en commun ne desservent pas les trajets visés. Or les îles de la partie centrale de Stockholm ne sont desservies que par un petit nombre de ponts routiers. Ceux-ci bloquent fatalement la circulation, entraînant aux heures de pointe des bouchons importants. Mais les journalistes ne s’intéressent pas à ces considérations géographiques. La grande affaire est ailleurs : le péage, « une expérience grandeur nature de contrôle des comportements destinée à réguler plus efficacement le trafic pendant la journée et à engager davantage d’usagers à emprunter les transports publics. » Les résultats paraissent néanmoins incohérents : 22 % de baisse à l’intérieur du périmètre payant, mais pas « d’impact significatif sur le nombre d’usagers des transports en commun. » On cherchera en vain une remarque négative sur les conséquences d’une surveillance des allers et venues des habitants. Je préfère insister sur deux points. Le premier est qu’en Suède, comme dans de nombreux pays occidentaux, il y a une contradiction majeure entre une politique générale favorable pendant plusieurs décennies à l’utilisation de l’automobile – elle l’est encore en grande partie – et des décisions ponctuelles visant au contraire à l’enrayer. Pour que les voitures occupent une place plus limitée (souhaitable ?), il faut que leur nombre diminue, en particulier dans des espaces urbains aux dimensions fixes. Dans un Etat de droit, le seul procédé acceptable est l’impôt, seul garant d’une égalité de traitement entre citoyen. A condition que les électeurs valident la hausse des taxes sur l’essence, ou sur les voitures. L’autre condition est que les densités urbaines augmentent – au contraire de ce que l’on observe dans le cadre de la périurbanisation – avec une desserte conséquente en transports en commun. Etablir un péage – octroi comme ici à Stockholm, c’est reconnaître que l’on délaisse la majeure partie de l’agglomération, en dehors du centre-ville. Le péage ne risque t-il pas en outre d’accentuer la gentryfication (concentration des ménages les plus aisés dans les quartiers centraux) d’un côté et la périurbanisation de l’autre ? Dans le premier cas, les plus favorisés sont ceux qui n’ont pas besoin de façon quotidienne de leur voiture (et qui se trouvent donc dispensés de péage) alors que dans le second cas, les automobilistes correspondent à des citadins habitant en périphérie ; certains par goût, d’autres parce qu’ils n’ont pas les moyens de payer un loyer ou d’acheter un logement en cœur de ville. * 12 octobre. L'Arménie, sur les ruines de l'empire Ottoman Puisque les Arméniens sont à l'ordre du jour, il est stimulant de réfléchir à partir de la question du génocide de 1915. Le flot des réactions et commentaires risque fort de noyer une analyse distancée. Essayons tout de même d'aller au-delà des remarques instinctives. Dans son article intitulé Arménie : la France légifère à nouveau sur l'Histoire, Patrick Roger indique les réticences de certains députés devant un recours à la loi, qui prévoit désormais une condamnation en cas de contestation du génocide arménien. Ils expliquent à qui veut les entendre que des élus ne peuvent se substituer à des historiens. Mais on trouve aussi - explique l'auteur - d'autres députés désireux de faire campagne sur ce sujet. Le journaliste rappelle ensuite les contradictions du président de la République : Jacques Chirac a publiquement approuvé l'idée d'une intégration de la Turquie dans l'Union Européenne, pour se contredire un peu plus tard - lors d'un voyage à Erevan - en évoquant une sorte de clause préalable pour l'entrée de la Turquie : la reconnaissance officielle par le gouvernement du génocide arménien. Mon métier me pousse ici à partir d'une double démarche, en commençant par reconstruire mentalement une carte de l'Asie mineure (c'est la géographie). Avant 1914, l'Arménie est une province orientale de l'empire Ottoman. Les chrétiens arméniens bénéficient d'une relative liberté de culte, et ils disposent d'une certaine liberté de déplacement. Or le territoire concerné est ici montagneux, et se caractérise par un climat quasi continental, lorsqu'il n'est pas nuancé par des influences maritimes (Méditerranée et mer Noire). Les Arméniens vivent alors du commerce et de l'élevage : à l'imitation des autres peuples montagnards de l'empire, si ce n'est en bonne entente avec eux. Ils se trouvent par conséquent dans un espace théorique très vaste, libre de toutes frontières de Bagdad à Vienne. Dépendant administrativement d'Istanbul et économiquement des plaines cultivées du littoral de la mer Noire. Qu'est-ce que l'Arménie, aujourd'hui ? C'est un petit pays - 30 000 km² pour 3 millions d'habitants - sans accès à la mer, dont les frontières ont été fixées - au sud avec la Turquie - lors des traités de paix suivant l'armistice de 1918 (Sèvres et Lausanne). Ses autres frontières (y compris l'enclave arménienne du Karaback en Azerbaïdjan) suivent un tracé établi par les autorités de Moscou pour délimiter ce qui était à l'époque l'une des trois républiques soviétiques caucasiennes : sans souci de limites naturelles, ou de droits des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les dirigeants soviétiques cherchent à diviser pour régner dans le sud Caucase. On trouve donc, près d'un siècle après le génocide arménien, un pays souffrant d'une double situation d'enclavement et de confinement. Mais il convient d'approfondir l'approche géographique par une reconstitution du contexte de 1915. Moins d'un an après le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, le front s'est stabilisé à l'ouest. Aucune offensive ne parvient à faire sortir les armées française et anglaise de cet enlisement. L'agresseur se retrouve certes dans la même situation, mais avec la satisfaction de remporter des victoires décisives à l'Est contre les armées russes. Qui chercherait à extraire la question de l'empire Ottoman - entraîné dans une coalition avec l'Allemagne et l'Autriche- Hongrie - tomberait dans un contresens. En vérité, les Etats-majors et/ou les gouvernements alliés cherchent à affaiblir l'ennemi. Par tous les moyens. Certains veulent apparemment profiter de la situation pour s'imposer en Asie mineure et en Mésopotamie, d'autres veulent mener un combat contre les empires jugés oppresseurs des peuples. Les motifs importent peu. En soutenant des leaders nationalistes arméniens, Paris, Londres et Moscou veulent déclencher un éclatement de l'empire Ottoman, qui par ricochet permette d'affaiblir un allié des Centraux. C'est une manoeuvre inutile au plan militaire, parce qu'aucune unité ottomane ne combat en Europe et parce que l'aide d'Istanbul à l'Allemagne n'est que diplomatique. C'est en outre une manoeuvre risquée : ni les uns, ni les autres ne disposent des moyens logistiques et des effectifs militaires disponibles pour venir au secours des rebelles arméniens bientôt victimes en 1915 de la féroce répression des armées ottomanes. S'en sont- ils préoccupés ? On retiendra pour finir que les ruines de l'empire Ottoman n'en finissent pas de fumer ; et pas uniquement à l'est de la Turquie. On gagne en tout cas à prendre de la hauteur par rapport aux travaux des parlementaires. * 13 octobre. L'Arménie, sur les ruines de l'empire Ottoman uploads/Geographie/ geographedumonde-2006.pdf

  • 11
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager