CAMBODGE: ALÉAS HISTORIQUES ET DYNAMIQUES SPATIALES Jean-François FERRÉ * M 1/1

CAMBODGE: ALÉAS HISTORIQUES ET DYNAMIQUES SPATIALES Jean-François FERRÉ * M 1/1994 10 J.-F. Ferré Mappemonde 1/94 APPE ONDE La préhistoire cambodgienne: l’ancrage spatial dans le Mékong inférieur Le peuple khmer est issu d’un large brassage, dès le néoli- thique, de peuplements australoïdes, mélanésiens et indonésiens venus du sud, mongoloïdes venus du nord. Les stations paléoli- thiques du IIe millénaire avant notre ère (Samrong Sen, Mlu Prei) permettent de certifier l’établissement des Khmers, prati- quant déjà agriculture, pêche, domestication des animaux, pote- rie ou tissage au sein de groupes animistes (Aymonier, 1900). La vallée inférieure du Mékong, le «Grand Fleuve» (Tonlé Thom) et la région des «Quatre Bras» (quatre faces en cambod- gien: le Mékong supérieur et inférieur, le Tonlé Sap et le Bas- sac) sont les lieux d’établissement d’une «civilisation de la mousson» (fig. 1). L’espace pré-khmer: le royaume du Funan (Ier-VIe siècle) Cet État mythique s’enracine dans l’«indianisation» progressive de la Basse-Cochinchine par voie terrestre et maritime (fig. 2). Le centre de gravité de ce royaume môn-khmer (famille linguis- tique spécifique) s’établit dans le golfe de Siam autour de la cité portuaire d’Oc-éo et de la capitale Angkor Borei: la façade maritime joue un rôle fondamental et de grandes routes com- merciales l’attestent (Moura, 1883). L’espace du Cambodge est soumis depuis longtemps à la pression d’États voi- sins expansionnistes. Les événements dou- loureux qui secouent l’État khmer rappel- lent la précarité de sa construction. • CAMBODGE • DYNAMIQUE SPATIALE • ESPACE • MÉKONG • TERRITOIRE The Cambodian territory has long been subject to the pressure of expan- sionist neighbours. The dramatic events which trouble the Khmer state are a reminder that its construction remains shaky. • CAMBODIA • MEKONG • SPACE • SPA- TIAL DYNAMICS • TERRITORY El espacio de Camboya queda sometido desde hace mucho tiempo a la pre- sión de estados vecinos expansionistas. Los acontecimientos dolorosos que sacuden el estado jemer recuerdan la precariedad de su construcción. • CAMBOYA • DINÁMICA ESPACIAL • ES- PACIO • MEKONG • TERRITORIO RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN * Enseignant, Classes préparatoires, Lycée Bergson, Angers. Phnom Laang Mlu Prei Tonlé Sap Mékong Bassac Samrong Sen Laang Spean 0 300 km Frontières du Cambodge actuel Site préhistorique N 1. Le Cambodge préhistorique 11 J.-F. Ferré Mappemonde 1/94 L’espace khmer proprement dit: le Cambodge préangko- rien (VIe-VIIIe siècle) Grands vassaux du Nord, installés autour des chutes de Khône (confins du Laos), les «fils de Kambu» ou Kambuja, dynastie «de race solaire», se lancent à la conquête du Funan ou «royau- me de la montagne» (1). Cette phase capitale, illustrée par le souverain Bhavavarman Ier se déclenche au milieu du VIe siècle: le Tchen-la (nom donné par les Chinois au pays Kambuja) consolide rapidement sa conquête à partir de l’axe médian du Mékong où siège la capitale Sambor Preikuk; un puissant royaume unifié s’étend de la cordillère annamite au Tonlé Sap (Grand Lac) à l’ouest. L’espace cambodgien est ainsi délimité; plus continental que le Funan, il se recentre sur les plaines agri- coles de la région des «Quatre Bras» (Giteau, 1957). Le royaume d’Angkor: puissance et splendeur de l’espace khmer (IXe-XIIe siècle) La dynastie d’Angkor doit sa fondation au prince Jayavarman II (802-850) retenu comme otage à Java, puis revenu fonder sa nouvelle capitale au nord-ouest du Grand Lac (fig. 3): la plaine est large, l’eau abondante, les relations continentales sont aisées. Le culte devaràjà (roi-dieu) est codifié et s’allie parfaitement au bouddhisme indien mahàyàna (du Grand Véhicule) (2). Les successeurs confortent l’État angkorien, qui s’étend de la basse vallée du Ménam à l’ouest (Siam), à la chaîne annami- tique à l’est, et du Laos au nord au delta du Mékong au sud (Barraclough, 1983). L’architecture du «temple montagne», temple personnel du souverain, symbole du mont central de l’univers (mont Meru de la cosmologie indienne) incarne la puissance universelle du monarque. Toutes les capitales royales d’Angkor sont édifiées entre le IXe et le XIIIe siècle de Yaçovarman Ier (889-900) à Sùryavarman II (1113-1150: Angkor Vat) ou Jayavarman VII (1181-1218: Bayor et Angkor Thom); elles sont au centre d’un large espace cultivé (Maspero, 1904). Toutefois, le royaume s’épuise dès le Xe siècle, sa stabilité étant précaire du fait de son étendue et parce que des pressions exté- rieures apparaissent: dès 1177, les Cham du royaume indianisé du Champa à l’est (actuel Viêt-nam méridional) s’emparent d’Angkor et n’en sont que difficilement chassés (fig. 3). La chute d’Angkor: l’écroulement de l’espace angkorien (XIIIe-XVe siècle) Outre la décadence du culte du souverain, qui ne correspond pas à la nouvelle forme de bouddhisme qui se répand (3), la royauté d’Angkor est minée par d’interminables luttes de succession, alors qu’un double danger s’annonce: la toute-puissance de l’empire du Siam, voisin occidental, consolidé par la dynastie thaï d’Ayuthia (1350); et l’accentuation, à l’est, de la poussée des Cham (fig. 3). Pour ces deux puissants royaumes, la vallée du Mékong est une ligne de partage idéale de l’espace indochi- nois (Groslier, 1973)! Le transfert de la nouvelle capitale à Phnom Penh en 1434 conclut cette période, mais annonce des siècles de menaces pour l’intégrité territoriale du pays khmer. Oc-éo Sambor Preikuk Mékong Tonlé Sap Grandes cités «Hindouisation» de la péninsule Invasion du Funan par le Tchen-la Routes commerciales Extension du Cambodge préangkorien Funan Tchen-la (Kambuja) Angkor Borei A N N A M SIAM 0 300 km N N Attaques mongoles (1257-1292) Invasion des Cham (1177) Capitale éphémère (Xe) Invasion siamoise (XIVe-XVe) Nouvelle capitale (1434) Royaume d’Angkor (extension maximale) Capitale du royaume DAÏ VIÊT LAOS CHAMPA Sultanat de MALAKAT SIAM CHINE 0 300 km T o n l é S a p M é k o n g Phnom Penh Koh Ker Angkor Ayuthia 2. Du royaume pré-khmer au Cambodge préangkorien 3. La période d’Angkor 12 J.-F. Ferré Mappemonde 1/94 Le Cambodge moderne: l’espace national en sursis (XVIe- XIXe siècle) Durant quatre siècles, le royaume cambodgien est en partie désintégré: les deux voisins l’envahissent à plusieurs reprises, la capitale est maintes fois transférée (fig. 4). La perte de la Cochinchine est définitive au XVIIIe siècle, annexée par les Vietnamiens. Les monarques khmers sont très affaiblis, beau- coup étant réfugiés, voire couronnés, à Bangkok (Krung Thep)! Les premières missions européennes se succèdent (Portugais puis Espagnols au XVIe siècle, Hollandais au XVIIe siècle), marquant une dépendance extérieure accrue (fig. 4). Le roi Ang Duong (1847-1859) est assez lucide pour entrevoir la survie de l’espace khmer dans le cadre de la diplomatie internationale: il lui faut épouser la rivalité coloniale franco-anglaise pour conso- lider la situation de son pays. Son fils Norodom Ier (1859-1904) parachève cette démarche en se plaçant sous la protection de la France (août 1863) qui y développe des infrastructures, dans le cadre de l’Indochine française (fig. 5), et contribue à améliorer la cohésion de l’espace territorial khmer. Le Cambodge contemporain: l’implosion du XXe siècle (1940-1993) À son avènement, en 1941, Norodom Sihanouk reste dans la même ligne: il sait qu’il lui faut composer avec des partenaires régionaux puissants (fig. 6), tout en exploitant le jeu diploma- tique international: les accords de Genève (juillet 1954) recon- naissent la neutralité de son pays; ceux de Paris (décembre 1954) entérinent l’indépendance nationale. Mais déjà le pays est entré dans une folle spirale de drames contemporains. Dès le début de la seconde guerre mondiale, le Siam envahit le quart nord-ouest du Cambodge (fig. 7-1940-1954); plus tard les Japonais occupent le reste du pays. Suivent des coups de force (Son Ngoc Than), la guérilla révolutionnaire (partisans Khmers rouges au nord du Tonlé Sap) les infiltrations du Viêt-minh. N Missions européennes Invasions du Siam + front de progression Incursions birmanes au Siam (XVIe) Perte de la Cochinchine (XVIIIe) Incursions vietnamiennes Capitales successives du Cambodge A N N A M L A O S MALAISIE BIRMANIE SIAM CHINE TONKIN 0 300 km M é k o n g Phnom Penh Angkor Lovêk Oudang N L’Indochine française (1877-1954) 0 300 km M é k o n g CAMBODGE SIAM LAOS ANNAM COCHINCHINE TONKIN MALAISIE BIRMANIE (Royaume Uni) CHINE Phnom Penh Saïgon Vientiane (Bangkok) Krung Thep Hanoï Hué 4. Les crises du Cambodge moderne 5. Le protectorat français N 0 300 km M é k o n g CAMBODGE THAÏLANDE LAOS V i Ê T - N A M MALAISIE BIRMANIE CHINE Phnom Penh Vientiane Bangkok Hanoï 6. Le Cambodge contemporain 13 J.-F. Ferré Mappemonde 1/94 Le Samdech, «chef aimé du peuple», est dans une situation de plus en plus inconfortable et la guerre du Viêt-nam, aux portes de l’État khmer, précipite les événements (fig.7-1960-1970): la piste Hô Chi Minh, qui ravitaille en hommes et en matériel les maquis du Viêt-cong au sud, emprunte en partie le territoire cambodgien; ces mêmes maquisards utilisent comme base de repli la frontière orientale khmère, Saïgon se réservant un droit de poursuite. Finalement, les États-Unis d’Amérique font basculer Phnom Penh dans la guerre en soutenant le coup d’État du général Lon Nol (mars 1970), qui proclame la République khmère (octobre 1970) et étend la zone des combats au bassin du Mékong. Le neutralisme cambodgien a vécu. Exilé uploads/Geographie/ histoire-du-cambodge.pdf

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