Hydrogéologie appliquée Science et ingénierie des eaux souterraines Alain Dassa

Hydrogéologie appliquée Science et ingénierie des eaux souterraines Alain Dassargues Direction artistique : Élisabeth Hébert Conception graphique : Élizabeth Riba Mise en page : Lumina Datamatics, Inc. © Dunod, 2020 11 rue Paul Bert, 92240 Malakoff www.dunod.com ISBN 978-2-10-079434-8 III Préface Hydrogéologie : je voudrais commencer ici par une petite perspective historique. Tout le monde connaît (ou croit connaître !) le cycle de l’eau : il pleut, l’eau qui tombe ruisselle, grossit le débit des rivières et s’infiltre dans le sol. Cette eau finit par aboutir aux rivières ou à la mer, où elle s’évapore, forme des nuages et retombe en pluie… C’est ce que l’on appelle le cycle de l’eau per ascensum, l’eau monte au ciel puis retombe en pluie… Mais cette vision du cycle de l’eau est en fait assez récente, elle ne date que du xviie siècle ! Auparavant, et cela depuis les grands philosophes grecs, en particulier Aristote, on vivait sur la croyance d’un cycle dit per descensum où l’eau de nos rivières et de nos sources nous viendrait de la mer, qui s’infiltrerait directement dans les terres le long des côtes avec un trajet descendant, puis remonterait aux sources et aux rivières… ! À bien y réfléchir, ce cycle est faux, mais n’est pas idiot ! D’abord, il faut expliquer pour- quoi les rivières coulent quand il ne pleut pas. Quand il pleut, tout le monde voit couler l’eau vers les ruisseaux puis les rivières, on comprend aisément comment ça marche. Mais s’il cesse de pleuvoir pendant un jour, dix jours, cent jours et plus, et que les rivières coulent toujours ? Que se passe-t-il ? Ensuite, autre problème, les rivières se jettent dans la mer avec des débits souvent énormes, et le niveau de la mer ne monte pas ! Que se passe-t-il ? Le cycle per descensum est capable d’expliquer ces deux mys- tères : l’eau de la mer s’infiltre dans les terres, c’est pourquoi le niveau de la mer ne monte pas, puis elle ressort par les sources et alimente ainsi les rivières, c’est pourquoi les rivières coulent quand il ne pleut pas ! Mais il y a quand même deux petits problèmes : l’eau de mer est salée, l’eau des sources et des rivières est douce ; comment cela se fait-il ? Ensuite, l’eau dans ce cycle remonte des points bas (la mer) vers les points hauts (les sources en altitude des rivières) sous forme de « veines » : pourquoi ? Sur ces deux questions, pour les philosophes grecs, c’est l’évaporation de l’eau de mer dans le sous-sol par la chaleur contenue dans la terre qui expliquait l’absence de sel, cette eau évaporée remontant dans le sol sous forme de vapeur et se condensant dans des grottes en altitude où il fait froid, et coulant ensuite vers les sources… C’est intéressant, mais c’est faux ! À la décharge des philosophes grecs, il faut savoir qu’ils avaient sous leurs yeux un exemple de migration d’eau de mer dans les terres, exemple qui est cependant unique ou très rare. Il s’agit de l’île de Céphalonie, dans le mer Ionienne, où au port d’Argostoli, on peut voir de l’eau de mer s’engouffrer dans les terres dans un canal et disparaître dans le sous-sol. Le courant y est si vif qu’au xixe siècle, on y avait installé des moulins, les « moulins de la mer ». On explique aujourd’hui ce phénomène par une forte infiltra- IV Préface tion d’eau de pluie sur les hautes montagnes qui couronnent l’île (1 628 m), cette eau de pluie descend en profondeur, se mélange à l’eau de mer venant du canal cité et ressort de l’autre côté de l’île par des sources d’eaux saumâtres en mer. L’eau de mer est ainsi « aspirée » par cette eau douce par effet Venturi. Ce mécanisme a été mis en évidence par une coloration de l’eau du canal, faite en 1963 par une équipe d’hydrogéologues autrichiens (J. Zoetl et V. Maurin), le colorant étant ressorti en mer. Il reste cependant de cette théorie grecque ancienne une idée fausse bien ancrée dans la tête des gens, à savoir que l’eau dans la terre circule sous forme de « veines » iso- lées, comme le sang dans le corps d’un homme, et que pour trouver de l’eau, il faut trouver la « veine » par où elle passe, c’est ce que proposent les sourciers1. En réalité, l’eau souterraine circule en général en « nappe » et pas en veine, à quelques exceptions notables près, comme dans les milieux calcaires dits « karstifiés », où existent en effet des « veines », des rivières souterraines… Mais revenons au cycle de l’eau per ascensum. Cette théorie a été établie par un Fran- çais, Pierre Perrault (1611-1680), qui publia en 1674 un ouvrage2 où il démontrait que la quantité d’eau de pluie tombée annuellement sur le bassin de la Seine, était très lar- gement supérieure au volume d’eau écoulé en un an par la Seine vers la mer, qu’il avait estimé. Il n’y avait donc pas besoin de faire venir de l’eau de mer per descensum pour expliquer le débit des rivières quand il ne pleut pas, c’est tout simplement l’infiltration de l’eau de pluie dans le sous-sol qui alimente les nappes d’eau souterraines, lesquelles alimentent ensuite les sources et les rivières, cet écoulement souterrain étant très lent… L’eau qui manque à l’exutoire de la Seine par rapport aux quantités apportées par la pluie, est en fait celle qui est évaporée ou transpirée par la végétation. Presque au même moment, c’est un physicien anglais, Edmond Halley (1656-1742), qui donna son nom à la comète homonyme, qui démontra en 1687, pour la mer Médi- terranée, que la quantité d’eau qui s’évapore chaque année à la surface de la mer est supérieure au volume d’eau apporté annuellement par les fleuves. Il avait estimé l’éva- poration sur la mer en la mesurant dans un bac, et le débit des fleuves se jetant dans la Méditerranée. La différence entre l’eau évaporée et celle arrivant en Méditerranée par les fleuves est comblée par une entrée d’eau de l’Atlantique dans la Méditerranée par Gibraltar, ce courant d’eau entrant, en surface, s’accompagnant d’un courant profond sortant, amenant à l’Atlantique de l’eau plus salée, ce qui permet à la Méditerranée de conserver une salinité constante. Pas besoin là non plus de faire intervenir un flux per descensum de la mer vers la terre pour expliquer la stabilité du niveau des mers… ! Mais… nous arrivons au siècle des Lumières, il faut faire de la science expérimentale et « prouver » la validité des nouvelles théories, ou des anciennes. Un océanographe ita- lien, Louis Ferdinand de Marsilli, membre de l’Académie royale des sciences de Paris et professeur à l’université de Bologne dont il avait été le créateur, se charge de « prouver » que la théorie per descensum d’Aristote est la bonne. Pour cela, il la modifie légère- ment : l’eau de mer remontant de l’océan dans les continents ne s’évapore plus et ne se condense donc plus dans des grottes, elle est tout simplement filtrée par le « sable des plages », et cette filtration en extrait le sel ! Pour prouver sa théorie, Marsilli construit 1. Voir l’ouvrage controversé Le signal du sourcier par Yves Rocard, Dunod, 1962. 2. Pierre Perrault, De l’origine des fontaines : Lettre à M. Huguens au sujet des expériences, Paris, Pierre Le Petit, 1674. V Préface un dispositif expérimental (voir figure ci-après) dans lequel il constitue une cascade de pots de fleurs (il y en aura 19) dont on remplit le premier d’eau de mer, laquelle s’écoule dans le second, et ainsi de suite jusqu’au dernier. Selon la nouvelle théorie, l’eau filtrée du dernier pot serait devenue douce. Voici ce qu’il écrit au sujet de son expérience1 : Marsilli prétend donc que le « sable de plage » filtre le sel de l’eau de mer, car il voit sa densité diminuer le long du trajet d’un pot au suivant, ainsi que son goût salé. Il a fait deux expériences, l’une avec de la « terre de jardin », l’autre avec du « sable de plage » qui est, dit-il, plus efficace pour enlever le sel. Selon lui, si dans son expérience, l’eau 1. Histoire Physique de la Mer, Louis Ferdinand, comte de Marsilli, membre de l’Académie royale des sciences de Paris, à Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, M DCC XXV (1725). © Dunod - Toute reproduction non autorisée est un délit. VI   n’est pas encore totalement douce, c’est que le nombre de pots de fleurs n’est pas assez élevé ! La théorie d’Aristote est donc la bonne, dit-il : « …l’eau, qui passe au travers [du sable], quoiqu’en une petite distance, devient sur le champ presque insipide » ! En réalité, le sable est incapable de retenir le sel, ce qui a pu se passer dans l’expérience est que l’eau contenait des matières fines en suspension qui, elles, ont pu être filtrées. Il faut savoir uploads/Geographie/ hydrogeologie-appliquee.pdf

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