JACQUES CARTIER PAR H. EMILE CHEVALIER PARIS LEBIGRE-DUQUESNE, LIBRAIRE-ÉDITEUR

JACQUES CARTIER PAR H. EMILE CHEVALIER PARIS LEBIGRE-DUQUESNE, LIBRAIRE-ÉDITEUR RUE HAUTEFEUILLE, 16 A M. LE Dr. A. GUÉRIN CHIRURGIEN DE L'HÔPITAL SAINT-LOUIS La dédicace de ce livre, mon cher docteur, vous revient de droit. Ce m'est un plaisir autant qu'un honneur et un devoir de vous l'offrir. Esprit initiateur, distingué non-seulement parmi les plus distingués de votre noble profession, mais encore parmi ceux qu'on estime dans les sciences, les arts et les lettres; membre du conseil général d'un des principaux départements de la vieille et glorieuse Bretagne, Breton vous-même, vous ne refuserez pas à mon héros, à votre compatriote, Jacques Cartier, la faveur que je revendique pour lui. Laissez-moi, mon cher docteur, rappeler ce que j'en disais, il y a quelques mois 1: «Saluez avec moi, saluez, je ne dirai pas le premier découvreur, mais le premier colonisateur français,—un Breton, homme du forte souche, de coeur haut et droit,—qui ait baisé la terre d'Amérique! Note 1: (retour) Voir ma Notice sur Sagard et son oeuvre.—Tross, éditeur. «Jacques Cartier! l'une de nos illustrations. Ah! le mot est chétif: un de nos génies, devrais-je dire. Et, pas une statue ne lui a été érigée chez nous! A lui pas un monument, pas une inscription, un symbole de la reconnaissance générale! O Athéniens! Athéniens! En France, il ne se trouve peut-être pas cent mille personnes sachant qu'il a existé un Jacques Cartier! «Un jour, je me pris du pieux désir d'aller visiter la ville natale de ce hardi marin, à qui nous dûmes la moitié de l'Amérique. Je m'attendais à ce que là au moins, à Saint-Malo, je rencontrerais quelque chose, un buste, un morceau de pierre à l'angle d'une rue, un signe qui me rappelât notre Jacques Cartier 2, lui que connaissent, que vénèrent les plus ignorants des Canadiens-Français, à qui tous ont élevé un autel dans leur coeur; lui dont j'avais vu le portrait, le nom, en vingt endroits, dans les édifices publics, sur les places, les routes, les navires, soit à Montréal, soit à Québec. Et a Saint-Malo rien! je n'ai rien trouvé!... Si..... Dans la cour d'une auberge, JACQUES CARTIER 1 vous apercevrez une misérable effigie de plâtre, qui se dégrade et demain tombera en poussière..... Athéniens! Athéniens! Note 2: (retour) De vrai, les édilités de Saint-Malo et de Saint-Servan ont, depuis quelques années, donné son nom à deux rue. «Et cette cour d'auberge, qu'est-ce encore? La cour de l'ancien hôtel de Chateaubriand 3! Note 3: (retour) De même, à Vitré, l'habitation occupée jadis par madame de Sévigné est aujourd'hui convertie en hôtellerie. «Douleur sur douleur! «A une heure de distance, si votre âme n'est point navrée assez, vous pourrez voir, enfouie dans le fumier, les immondices une ferme, une masure s'en allant, elle aussi, de décrépitude. «On la nomme les Portes-Jacques-Cartier. «C'est là tout ce qui reste de l'habitation, de la mémoire du grand homme, de celui que François Ier n'appelait jamais que «nostre cher et bien-amé Jacques Cartier.» Eh bien, mon cher docteur, ce que je demande pour Jacques Cartier, notre Christophe Colomb à nous Français, l'un de ceux qui devraient faire marque dans nos annales historiques, l'un des plus ignorés pourtant; ce que je demande, c'est un monument élevé soit à Saint-Malo, soit à Rennes, soit même à Paris,—pourquoi non?—qui transmette désormais à la postérité le souvenir de ce grand homme. Ce que je vous demande à vous, mon cher docteur, pour l'honneur de nos compatriotes, et au nom d'un million de Français reconnaissants qui, de l'autre côté de l'Atlantique, béniront votre oeuvre, c'est de vous mettre à la tête d'un mouvement ayant pour but de rendre à l'un de nos plus illustres, de nos plus vertueux citoyens, à Jacques Cartier, l'hommage que la légèreté, plus encore que l'ingratitude, a négligé de lui rendre jusqu'à ce jour. Une statue à Jacques Cartier, au découvreur du Canada! H. EMILE CHEVALIER. Paris, 2 janvier 1866. AU LECTEUR. Dans un cadre de pure imagination, l'auteur de ce livre a tenté de mettre en relief la belle et noble figure de Jacques Cartier; il a tenté aussi de tracer une esquisse des moeurs bretonnes et de Saint-Malo au seizième siècle. Néanmoins, autant qu'il a été en son pouvoir, il s'est, avec grand scrupule, conformé à la vérité historique. Facilement, il l'espère, le lecteur discernera la réalité de la fiction à travers la gaze légère répandue sur l'ensemble de l'oeuvre, pour en marier toutes les parties. En cela, l'auteur s'est proposé de faire lire le récit The Project Gutenberg eBook of Jacques Cartier, by Émile Chevalier H. EMILE CHEVALIER 2 de nos grandes découvertes maritimes aux personnes qui se sentent peu dégoût pour les anciennes chroniques. Puisse la réussite égaler son intention! 19 février 1868. JACQUES CARTIER PROLOGUE. LA MORT D'UN AVENTURIER. Le soleil brille dans toute sa glorieuse splendeur; le ciel est pur, d'une sérénité parfaite; pas un nuage léger, cotonneux, pas une tache ne trouble son éblouissant azur; la transparence de l'atmosphère ne saurait être surpassée que par son incroyable sonorité; calme, immobile, l'air semble comme arrêté dans l'espace; jamais les heureuses contrées napolitaines n'offrirent au regard enchanté des régions éthérées plus brillantes; jamais Olympe plus souriant n'inspira la Muse antique; jamais d'une main plus délicate, plus caressante, l'Aurore aux doigts de rose n'ouvrit les portes de l'Orient. Saisissant, effroyable contraste, toutefois! Ce ciel, il a l'éclat, l'inflexibilité, je pourrais dire le tranchant du métal. Que de sa voûte immense, incommensurable, votre oeil s'abaisse sur la terre, et, partout autour de lui, à la place d'opulentes frondaisons, aux nuances diverses, harmonieusement fondues, à la place de fleurs chatoyantes et variées, de fruits savoureux, de pourpre et d'or, il ne rencontrera, que désolante uniformité; il s'aveuglera aux brûlantes réverbérations d'une nappe d'argent mat, qui s'allonge, s'allonge monotone et s'allonge encore, jusqu'aux bornes de l'horizon. Alors, vous maudirez les magnifiques rayons de l'astre diurne; alors, vous alliez horreur de ce bleu intact qui lui sert de cadre, de la solennelle quiétude dont vous êtes environné; alors, peut-être, vous surprendrez-vous à faire des voeux pour que les nuées, les brouillards, la bruine, voire les ouragans, les tempêtes de neige succèdent brusquement à ces décevantes promesses d'une belle journée de juillet. C'est que, hélas! nous ne sommes ni en été, ni sous le fortuné climat de l'Ausonie, mais, en plein hiver, dans le vestibule même du sauvage empire hyperboréen. Cette plaine d'albâtre, qui sans fin se déploie devant nous, c'est l'océan Atlantique, au 50° parallèle de latitude nord environ; c'est la mer figée, solidifiée par le froid, sur une étendue de plusieurs lieues, dans une des vastes baies septentrionales de l'île de Baccaléos ou Terre-neuve4. Note 4: (retour) Voir la Fille des Indiens rouges par H. E. Chevalier. The Project Gutenberg eBook of Jacques Cartier, by Émile Chevalier AU LECTEUR. 3 Et quel froid! Malgré ce soleil si insolemment provocateur; ce ciel si railleusement en tenue de fête; malgré cette atmosphère si traîtreusement séduisante, il gèle à pierre fendre, sans métaphore aucune:—le thermomètre est descendu à 33° au-dessous de zéro. Aussi, quoique la vue porte loin et très-loin, n'aperçoit-on d'abord signe de vie humaine ou animale dans cette vaste solitude, dont la blancheur marmoréenne, la rigidité sépulcrale apparaissent comme un suaire jeté sur la création terrestre, immolée aux rigueurs de quelque farouche divinité polaire. Mais regardons encore, regardons mieux. Ne semble-t-il pas que, là-bas, tout là-bas, du sein d'un monticule de glaçons, jaillit un mince filet de vapeur? Avançons. Cette vapeur prend des formes, dessine ses contours; elle monte en spirale; de grise elle devient bleuâtre. Ce n'est donc pas une de ces brumes follettes que l'on voit souvent, dans le royaume boréal, surgir des crevasses ouvertes par le froid à travers les congélation?. Mais c'est de la fumée, la fumée d'un feu de branchages. Le désert est habité. Poursuivons notre route dans cette direction et, bientôt, nous nous heurtons au pied d'une véritable bastille de glace. Une rayure brunâtre, serpentant jusqu'au sommet, indique un sentier. En deux minutes, ce sentier est parcouru et voici se présenter un bien curieux spectacle. Dans l'enceinte des banquises, entassées les unes sur les autres, à plus de cinquante pieds de profondeur, se trouve pris, scellé comme dans une inébranlable muraille de granit, un navire jaugeant soixante dix à quatre-vingts tonneaux, sur le pont duquel est construite une cabane provisoire, qui occupe tout l'espace compris entre les deux gaillards. Du milieu de cette cabane s'élance une haute cheminée, et aux deux extrémités se dressent les deux mâts du vaisseau, dont on a abattu les huniers jusqu'aux chouquets. Inutile d'ajouter que les parties visibles du bâtiment, la cabane, les mâts, la cheminée même, sont revêtues d'une épaisse couche de cristaux superposés, qui scintillent comme des milliers de pierreries aux rayons du soleil. Si la pauvre embarcation court grand risque d'être, lors de la débâcle, écrasée, réduite en pièces, par les effrayantes masses qui la surplombent, elle a au moins en ce moment, l'avantage de se trouver quelque peu abritée contre les mortelles intempéries de la saison. Aussi les uploads/Geographie/ jacques-cartier-by-chevalier-h-emile-henri-emile-1828-1879.pdf

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