L’impact des réfugiés sur l’environnement écologique des pays d’accueil (Afriqu
L’impact des réfugiés sur l’environnement écologique des pays d’accueil (Afrique subsaharienne) Richard Black * Les rapports entre déplacements forcés de populations et changements envi- ronnementaux sont un sujet de préoccupation croissante de la communauté inter- nationale, comme en témoigne la récente multiplication de publications et de rapports [Lassailly-Jacob, Zmolek, 1992; Black, 1994 a; Jacobsen, 1994; Hœrz, 1995; OMI, 1996]. C’est surtout à la suite du sommet de Rio sur l’environnement et le développement, en 1992, que le bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) commença à accorder une importance accrue aux questions liées à l’environnement dans la planification des programmes d’assis- tance aux réfugiés. En 1993, le HCR fonda le bureau du Senior Coordinator for Environmental Affairs (OSCEA, connu aujourd’hui sous le nom d’Environment Unit), qui fut chargé d’élaborer des « directives écologiques » dans les programmes d’action [HCR, 1996 a]; il s’efforça également de coordonner des interventions sur l’environnement en Afrique lors de crises naissantes liées aux réfugiés, notamment au Rwanda. Une telle préoccupation concernant l’impact négatif des réfugiés sur l’environ- nement n’est pas nouvelle [Simmace, 1987] et n’est pas non plus du seul ressort du HCR. Par exemple, dans son Food Aid Review, le Programme alimentaire mondial (PAM) qualifie l’impact potentiel des réfugiés sur les environnements locaux comme étant « énorme », citant tout particulièrement le déboisement autour des installations de réfugiés au Pakistan et au Malawi. En même temps, des organisa- tions comme l’International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies (IFRC), CARE International et l’Agence allemande de coopération technique (GTZ) ont consacré une attention croissante aux problèmes d’environnement dans les régions touchées par les réfugiés [von Buchwald, 1992; CARE-ODA, 1994; Hœrz, 1995]. En 1993, Ferris [1993] soulignait que deux gouvernements – ceux du Honduras et de la T urquie – avaient invoqué les risques environnementaux poten- tiels pour refuser d’accueillir des réfugiés. Enfin, on observe qu’en Afrique, ce même argument a été repris par le gouvernement tanzanien en réponse à la crise des réfugiés rwandais en 1994-1996. Autrepart (7), 1998 : 23-42 * Géographe, maître de conférences, School of African and Asian Studies, University of Sussex, Great Britain. Cet article a été traduit de l’anglais par Michael Taylor et revu par Véronique Lassailly-Jacob. brought citation and similar papers at core.ac.uk provided by H Pour justifier de la thèse présentée précédemment, cet article s’appuie sur l’ensemble des connaissances relatives aux changements environnementaux dans les zones du Tiers Monde touchées par des afflux de réfugiés, un bilan qui a été présenté récemment [Black, 1994 a]; il examine également les publications les plus récentes sur ce thème, tout particulièrement celles qui concernent l’Afrique noire. Trois types de changements environnementaux potentiels analysés dans l’article de 1994 qui vient d’être cité sont à nouveau abordés ici – à savoir les modifications subies par la flore et la faune (élargissant ainsi la discussion anté- rieure sur le déboisement), les dégradations des sols et, enfin, la qualité et la quan- tité des ressources en eau. Les justifications mises en avant sur l’étendue de ces changements et leurs effets sur l’utilisation des ressources naturelles, à la fois par les communautés d’accueil et les populations déplacées, sont également exami- nées. Par ailleurs, cette discussion veut être contextualisée grâce à des références spécifiques qui posent la question de savoir si les réfugiés peuvent avoir un impact sur l’environnement, et plus particulièrement si ces mêmes réfugiés doivent être considérés comme des « déprédateurs exceptionnels de ressources », selon l’argument avancé dans plusieurs rapports récents [Jacobsen, 1994; Hœrz, 1995]. Enfin, les effets à court terme de l’installation des réfugiés sur le plan sanitaire tout comme leurs répercussions socioéconomiques ne sont pas abordés dans cet article. C’est l’environnement défini comme l’ensemble des ressources naturelles dont la conservation est primordiale à moyen et à long termes qui sera le cadre d’investigation de cette étude. Les effets sur l’environnement des mouvements de réfugiés sont-ils un sujet de préoccupation? Selon le HCR, à la fin de 1996, on recensait officiellement plus de 13 millions de réfugiés à travers le monde. Parmi ces réfugiés, un peu plus de 4 millions, soit 31% du total, se trouvaient en Afrique noire [HCR, 1996 b], alors qu’ils étaient environ 5,2 millions en 1992. Cependant, malgré cette baisse, on constate qu’un grand nombre de réfugiés actuels en Afrique se sont déplacés récemment. En 1996, on dénombrait, uniquement en Afrique noire, un total de seize mouve- ments de fuite d’un pays à un autre concernant plus de 50 000 réfugiés, dont environ la moitié étaient survenus depuis 1990 (fig. 1). On remarque également que ces chiffres ne tiennent pas compte de l’importante population rwandaise réfugiée en Tanzanie entre 1994 et 1996 et qui fut rapatriée de force en décembre 1996. Une des premières déclarations du HCR, expliquant pourquoi les questions d’environnement liées aux réfugiés devaient apparaître comme un sujet de préoc- cupation distinct des autres, se trouve dans un rapport de la « Section Programme and Technical Support » (PTSS), publié en automne 1991; ce document révèle trois conditions particulières aux déplacements massifs de réfugiés : – la disproportion entre les fortes densités de population et les ressources dis- ponibles dans les zones d’accueil des réfugiés; – la tendance à installer les camps de réfugiés dans des zones écologiquement fragiles; 24 Richard Black – et, parmi les réfugiés, le manque de motivation à préserver l’environnement, dû au traumatisme de la guerre et du déplacement et au fait que « la terre qu’ils occupent ne leur appartient pas » [HCR, 1991]. Depuis 1991, on retrouve ces « conditions particulières » dans de nombreux rap- ports, surtout dans ceux émanant du HCR ou financés par le HCR. De plus, dans un document écrit en 1991 sur « les Réfugiés et l’environnement », une autre condi- tion particulière apparaît, celle de l’imprévisibilité des mouvements de réfugiés [Gurman, 1991]. Enfin, dans son évaluation écologique des camps de réfugiés en Tanzanie, entreprise pour le compte du HCR, Ketel [1994] soulève un autre sujet de préoccupation, celui du comportement des organismes d’assistance, ce que l’au- teur nomme « facteur d’attitude » des organisations internationales et des organisa- tions non gouvernementales, qui pensent que leur mission principale est de veiller au bien-être des réfugiés et non pas de protéger à long terme l’environnement. Certes, chacun de ces arguments est plausible, mais il ne suffit pas de les répé- ter pour avoir la certitude que les sujets de préoccupation qu’ils soulèvent sont réellement justifiés. Par exemple, de fortes concentrations de populations peuvent avoir lieu lorsque des réfugiés franchissent en masse une frontière, comme ce fut le cas de l’exode des réfugiés rwandais vers la Tanzanie et le Zaïre en 1994. Cependant, les mouvements de réfugiés ne donnent pas tous lieu à des rassem- blements élevés de population. On peut citer des contre-exemples de dispersion de réfugiés dans le milieu rural en Afrique occidentale [Black, Sessay, 1995; Black et alii, 1996] et ailleurs. Et même si des densités élevées de population sont à constater, cela n’implique pas nécessairement une détérioration de l’environne- ment. C’est là une question qui doit être examinée empiriquement. Dans son étude sur l’impact écologique des installations de réfugiés, Jacobsen [1994] démontre que c’est l’association des réfugiés à de vastes camps officiels qui est « le facteur spécifique le plus important à prendre en compte lorsque l’on veut déterminer l’effet des réfugiés sur l’environnement local ». Cela n’est pas pure- ment une question de densité de population. Jacobsen soutient que les camps pré- sentent un ensemble unique de risques écologiques qui sont liés à l’utilisation massive de pesticides et d’insecticides (pour contrôler les vecteurs porteurs de maladies) et aux problèmes liés à l’eau potable et au stockage des déchets. À cela, il faut ajouter l’insuffisance fréquente de l’assistance, ce qui explique que les réfu- giés sont obligés d’utiliser les ressources locales pour subvenir à leurs besoins. Mais peut-être serait-il plus judicieux de considérer les grands camps de réfugiés comme des villes de taille moyenne. En effet, il s’agit souvent de villes champignons dont toute l’infrastructure de type urbain (aménagements sanitaires, approvisionne- ments en eau, en denrées alimentaires, en combustibles, etc.) doit être créée dans l’urgence. La création de tels équipements est précisément une des tâches que le HCR et la communauté internationale se doivent d’accomplir : les carences des pro- grammes d’assistance sont tout simplement des insuffisances en matière d’aide, et non pas la conséquence inévitable de la création de camps. En revanche, la viabilité d’une ville est fonction de sa base économique et, selon la théorie géographique clas- sique, de l’arrière-pays avec lequel celle-ci entretient des rapports d’échange. De ce point de vue, la viabilité – ou, au contraire, le danger écologique – d’un camp de réfu- giés relèverait du type d’économie qui soutient la nouvelle « ville-camp ». L’impact des réfugiés sur l’environnement écologique (Afrique subsaharienne) 25 Un autre sujet de préoccupation légitime du HCR et des agences d’assistance concerne l’installation de camps de réfugiés dans des zones écologiquement fra- giles ou vulnérables; entre autres, parce que uploads/Geographie/ l-x27-impact-des-refugies-sur-l-x27-environnement-ecologique-des-pays-d-x27-accueil-afrique-subsaharienne.pdf
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- Publié le Apv 15, 2022
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