LES ARTICLES EN LIGNE DE KADATH Jacques Gossart M a i 2 0 1 9 La civilisation d
LES ARTICLES EN LIGNE DE KADATH Jacques Gossart M a i 2 0 1 9 La civilisation de l'Indus et le mythe aryen - Tome deuxième - La civilisation de l'Indus et le mythe aryen – Tome deuxième – 1 le passe present Jacques Gossart « Entrée la dernière sous le faisceau des études qui se préoccupent de l’histoire de l’humanité, la Civilisation de l’Indus y a pris en quelques années une place particulièrement importante. Comme toute création humaine, elle est insépa rable tant de celles qui l’ont précédée que de celles qui lui étaient contempo raines […]. » (Jean-Marie Casal, 1905-1977, archéologue, fondateur de la Mission archéolo gique de l’Indus)1 Dans un premier article2, nous avions pris connaissance du cadre, tant géogra phique que préhistorique, dans lequel la brillante civilisation de l’Indus, dite aussi « harappéenne » et « indo-gangétique », s’était développée durant la deuxième par tie du IIIe millénaire AEC (avant l’ère commune). Nous avions ensuite découvert cette civilisation dans ses caractéristiques essentielles : urbanisation sophistiquée, société apparemment plutôt pacifique, tournée vers les activités commerciales et artistiques florissantes. Enfin, nous avions clôturé cette première approche par la visite des cités 1 Casal, 1969, p. 20. 2 Gossart, 2019. III. LES INCONNUS DU GRAND FLEUVE Enfants de tous pays Une histoire de nez principales : Harappa et Mohenjo-daro. Il est temps à présent de nous poser cette ques tion : de quels parents la civilisation harappéenne est-elle née ? Il est extrêmement difficile de reconstituer les complexes mouvements de populations aux époques et dans les régions qui nous intéressent. Sur ces questions, différentes hypothèses, par fois fort divergentes, ont fleuri depuis la découverte des premiers centres harappéens. Certaines n’ont pas résisté à l’épreuve des faits et ont été plus ou moins rapidement abandonnées. Voici une synthèse de celles qui ont survécu. 2 Figure 1. (D’après Avantuputra7 & McIntosh3) Et d’abord, de quels peuples parlons-nous ? Une majorité raisonnable de spécialistes s’accorde sur le fait qu’aux temps qui nous intéressent, la région était occupée par des Dravidiens, ensemble de peuples non aryens et non himalayens dont la zone d’in fluence se serait étendue bien au-delà du sous-continent indien. Ainsi, selon l’historien et philosophe srilankais Ananda K. Coomaraswamy (1877-1947), les Dravidiens présen teraient des similitudes avec les populations prédynastiques égyptiennes et auraient été partie prenante dans l’épanouissement d’une grande civilisation proto-indo-médi terranéenne, qui s’étendait de l’Espagne jusqu’au Gange avant le troisième millénaire4. Jusqu’à récemment, on désignait les Dravidiens comme des « Caucasiens [terme vieilli qui n’est plus guère utilisé que dans le jargon officiel des services publics] non européens fortement colorés »5. Ils parlaient évidemment une langue dravidienne, et auraient sup planté des populations proto-australoïdes parlant des langues mundas6. 3 McIntosh, 2008. 4 a) Carnac, 1982, p. 32-36 ; b) Daniélou, 1983, p. 29. 5 Akoun, 1974, p. 57. 6 a) Daniélou, 1983, p. 23-30. b) Cohen, 2005, p. 85. c) Jones, 2015. Extension maximale de la civilisation harappéenne - zone en brun. 3 Figure 2. À gauche, cette statuette en bronze, mise au jour à Mohenjo-daro, représente une jeune femme, peut-être une danseuse, aux traits australoïdes. À droite, une Sri- Lankaise de type dravidien platyrhinien (au nez aplati). (Musée national de New Delhi / © Jacques Gossart) À l’appui indirect de cette présence dravidienne dans la vallée de l’Indus, on mentionne couramment une petite figurine en bronze découverte à Mohenjo-daro, représentant une jeune femme aux traits australoïdes, lesquels caractérisent les populations dravi diennes7, et que certains ouvrages qualifient de « danseuse ». Des chercheurs insistent aussi sur une prétendue ressemblance entre les Dravidiens et les Dasyu (ou Dāsa selon le contexte, « démon », « serviteur », « sauvage »…), ennemis des Ārya8 et vaincus par le dieu Indra. Les Dasyu sont en effet décrits comme de couleur noire et au nez aplati. L’indianiste Eugène Burnouf (1801-1852) remarque à ce propos que la forme du nez est un signe distinctif des classes sociales : « on l’appelle Indra de la racine Ind, régner, Arya comme les nobles seigneurs du temps, Sousipra, au beau nez, pour distinguer le chef, par ce signe de noblesse, des ennemis au nez aplati, que l’on appelait Dasyous […]. »9 Mais il faut dire aussi que ces affreux Dasyu sont dotés de « trois têtes et six yeux »10, ce qui ne facilite pas leur identification aux pauvres Dravidiens. La théorie d’une assimilation « Harappéens = Dravidiens », qui date de plus d’un siècle, s’est peu à peu ancrée dans les esprits et, à force d’être répétée de maîtres à élèves, elle s’est transformée en quasi-certitude. Et comme toutes les certitudes, elle commence à être ébranlée… mais n’anticipons pas. 7 Van Alphen, 1987, p. 8. 8 Les Ārya sont les supposés vainqueurs et successeurs des Harappéens, comme nous le verrons plus loin. 9 Cité in Langlois, 1870, p. 31. 10 Langlois, 1984, RV : 8.5.5.6. 4 La question de la population étant – très provisoirement – réglée, il nous reste main tenant à déterminer si la civilisation indusienne fut importée, ou influencée, ou en core d’origine purement locale. Faute de moyens d’investigation suffisants, et donc de données fiables, on a longtemps cru qu’elle avait été inspirée par la Mésopotamie : le concept de centre urbain aurait voyagé de Sumer et Akkad jusqu’en Indus via les cultures du Baloutchistan, ces dernières n’étant donc que des relais dénués de rôle civi lisateur propre. La position la plus radicale de ce point de vue fut sans doute celle du sumérologue américain Samuel Noah Kramer (1897-1990) avec son hypothèse « d’une colonisation directe par les Mésopotamiens dès le quatrième milénaire »11. Aujourd’hui par contre, la tendance s’est inver sée et c’est l’hypothèse d’une origine locale qui est largement privilégiée. Ainsi que le résume l’archéologue pa kistanais Muhammad Rafique Mughal, « La genèse de la première grande civilisation urbaine de l’Asie du Sud s’est donc bien produite sur le sol de l’Indus en dehors de toute influence directe d’autres régions. »12 Selon cette théorie, développée à partir des an nées 1970 avec la découverte du site de Mehrgarh, la culture harappéenne est l’aboutissement d’un développe ment amorcé dès le VIIe millénaire au sein des agglomérations du Balout chistan voisin, développement qui se poursuit aux IVe et IIIe millénaires, au Baloutchistan et dans la vallée même de l’Indus, mais aussi en Afghanistan, notamment à Mundigak. Le tepe (col line artificielle) de Mundigak, situé à une cinquantaine de kilomètres au nord de l’actuel Kandahar en Afghanis tan, a été fouillé de 1951 à 1958 par l’archéologue français Jean-Marie Casal. Au départ simple campement de nomades, le site s’est peu à peu transformé en village perma nent puis en véritable petite ville. Pour la période qui nous intéresse, on a identifié trois cités successives datées de ca. 2750 à ca. 2250 AEC. Les principales constructions recensées sont une muraille à contreforts, ainsi qu’une grande construction en briques crues dont la face nord était ornée de colonnes, et dénommée « palais » à défaut d’en connaître la destination précise. En outre, les fouilles ont livré des objets typiques de 11 Tosi, 1989, p. 121. 12 Rafique Mughal, 1989, p. 120. Locale ou importée ? Figure 3. Figurine féminine en terre cuite de Mundigak. (Domaine public) la civilisation harappéenne telle la figurine en terre cuite de la figure 3, ainsi que « des statuettes d’argile représentant un bœuf à bosse ».13 En réalité, le « sol de l’Indus » de Rafique Mughal déborde donc largement la vallée pro prement dite, s’étendant sur un million de km2 environ. Cela dit, l’estimation de la super ficie « officielle » dépend évidemment de l’endroit où l’on place les frontières d’un ter ritoire dont l’influence s’étendait justement « bien au-delà de ses frontières ». Selon les auteurs, on passe ainsi de 1 à 2,5 millions de km2.14 Parmi les sites les plus représentatifs du pré-harappéen, on distinguera d’abord celui de Mehrgarh, fouillé à partir de 1974 par une équipe française sous la direction de Jean-François et Catherine Jarrige. Il s’étale sur une superficie de plus de 250 hectares, traversant allègrement quelque six millénaires, depuis le néolithique acéramique jusqu’à l’âge du bronze. Classiquement, on distingue huit périodes (elles-mêmes sub divisées en sous-périodes), qui correspondent aux établissements successifs mis au jour lors des fouilles, soit (dates AEC et ca.) : • IA : néolithique acéramique, 7000-6000 ; • IB : néolithique céramique, 6000-5500 ; • II : 5500-4500 ; • III : chalcolithique (âge de la pierre / âge du bronze), 4500-3500 ; • IV à VII : âge du bronze, 3500-2500 ; • VIII : 2500-1800. À tous points de vue – culturel, commercial et militaire – sa situation était stratégique, à proximité de la passe de Bolan, lieu de passage important entre l’Asie centrale et la vallée de l’Indus. Mehrgarh bénéficiait en outre de conditions propices à un développement agricole harmonieux, car située à une altitude moyenne de 150 mètres, en bordure de la plaine de Kachi, et baignée par la Bolan, rivière qui descend de la passe du uploads/Geographie/ la-civilisation-de-l-x27-indus-et-le-mythe-aryen-t2.pdf
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- Publié le Dec 01, 2021
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