NATALIE THIBAULT LA DESHUMANISATION ET L'EXEMPLARITE DANS L'ESPÈCE HUMAINE DE R

NATALIE THIBAULT LA DESHUMANISATION ET L'EXEMPLARITE DANS L'ESPÈCE HUMAINE DE ROBERT ANTELME Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en études littéraires pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.) DÉPARTEMENT DES LITTÉRATURES FACULTÉ DES LETTRES UNIVERSITÉ LAVAL QUÉBEC 2007 © Natalie Thibault, 2007 RESUME Dans L'espèce humaine, Robert Antelme témoigne de son expérience dans les camps de concentration allemands. Privilégiant un style neutre, il choisit de limiter son récit aux mois passés dans le camp et cherche à inscrire son expérience personnelle dans un contexte global plutôt que de l'individualiser. Dans son témoignage, il fait la démonstration du processus de déshumanisation entrepris dans les camps, qui toucha non seulement les détenus mais également leurs bourreaux; les prisonniers se transforment en bêtes, alors que les nazis deviennent les rouages de l'immense machine concentrationnaire. L'usage de la métonymie permet d'illustrer les deux forces qui s'opposent dans le récit : d'une part le processus de déshumanisation mené dans les camps, et d'autre part l'irréductibilité de l'espèce humaine. Cette dernière en vient à dépasser la tentative de déshumanisation dans le texte, ce qui prouve que malgré l'extrême dureté des événements qu'il a vécus Antelme parvient à porter un regard humaniste sur l'expérience des camps. AVANT-PROPOS Mille mercis à ma directrice de maîtrise, Andrée Mercier, pour sa disponibilité, son écoute, sa collaboration de tous les instants et son infinie patience. Elle a su me soutenir, me comprendre et me guider; elle a surtout su demeurer proche malgré la distance. Je l'en remercie de tout cœur. Merci à Emmanuelle Ravel de m'avoir fait découvrir le texte poignant, sensible et essentiel qu'est L'espèce humaine. Merci à Bruno Chaouat et Julie Lachance de m'avoir donné accès à leurs travaux. Merci à Geneviève Dumais, Sofie Dumais et Sara Pogliani pour leur aide précieuse. Merci à Jean-Guy Hudon pour sa bienveillance et son amitié. Merci à Geneviève Émond pour son appui indéfectible. Son support, autant logistique qu'affectif, aura grandement contribué à l'aboutissement de ce projet. Merci à mes parents pour leur soutien. Merci à Jason, pour tout. TABLE DES MATIERES RÉSUMÉ AVANT-PROPOS ii TABLE DES MATIÈRES iii INTRODUCTION 1 CHAPITRE I : À PROPOS DE ROBERT ANTELME ET DE L'ESPÈCE HUMAINE _ 1 0 Le parcours de Robert Antelme 11 L'expérience concentrationnaire 12 Après les camps 15 Le statut littéraire de L'espèce humaine 20 CHAPITRE II : VERS UNE ANALYSE FORMELLE m, L'ESPÈCE HUMAINE 28 Le cadre temporel du récit 30 L'engloutissement total _ _31 Un flou temporel _33 Deux écarts significatifs 36 Sur le style de L'espèce humaine 38 Langue d'oppression, langue d'échange 40 Les niveaux de langage 44 La deshumanisation des détenus _47 La reconnaissance infinie de l'autre 48 Le détenu, une bête? 54 Entre l'ombre et la lumière 58 La déshumanisation des bourreaux 62 Une immense machine _63 La grande mascarade • _64 CHAPITRE III : LA MÉTONYMIE, PIERRE ANGULAIRE DU RÉCIT 70 Métonymie et processus de déshumanisation _ 73 La mort de plain-pied avec la vie _73 Des bruits de galoche, des toux 78 Une société de pieds et de hanches 80 C'est le corps qui aura décidé 84 Les mâchoires, les cuisses, les joues 87 Le wagon, la colonne, la cargaison 92 Métonymie et processus de généralisation 95 Le SS, l'homme de la route, l'homme du camp 95 II n'y a qu'une espèce humaine 99 IV CONCLUSION 103 BIBLIOGRAPHIE 110 ANNEXE A : REPÈRES BIOGRAPHIQUES DE ROBERT ANTELME 117 ANNEXE B : HIÉRARCHIE ET FONCTIONS AU CAMP DE GANDERSHEIM 123 INTRODUCTION Je rapporte ici ce que j'ai vécu. L'horreur n 'y est pas gigantesque. Il n 'y avait à Gandersheim ni chambre à gaz, ni crématoire. L'horreur y est obscurité, manque absolu de repère, solitude, oppression incessante, anéantissement lent. Le ressort de notre lutte n 'aura été que la revendication forcenée, et presque toujours elle-même solitaire, de rester, jusqu 'au bout, des hommes. Robert Antelme Avant-propos de L'espèce humaine L'année 2005 marque le soixantième anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz. Lors de la commémoration de cet événement historique, de nombreux témoignages ont été recueillis ou revisités : on a redonné la parole aux victimes, leur offrant l'opportunité de témoigner encore une fois de l'expérience horrifiante et incroyable que fut celle des camps de la mort. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, un nombre important de récits, de poèmes et de témoignages de toutes formes ont été publiés par ceux et celles qui ont vécu - et survécu à - l'horreur des camps de concentration. Ces écrits sont aujourd'hui considérés comme des documents historiques précieux, dont le contenu relate l'un des épisodes les plus lugubres de l'histoire de l'humanité. Les camps de la mort ne peuvent être considérés comme un simple élément relatif à la Seconde Guerre mondiale - en raison de leur caractère unique et phénoménal, qui tient au nombre important de victimes ainsi qu'à la mise sur pied rationnelle d'un véritable système d'extermination - et les récits qui en ont été faits ne peuvent être non plus assimilés à une littérature « de guerre ». Ils appartiennent à un corpus distinct, qui relate spécifiquement cet événement hors du commun, et que l'on nomme maintenant « littérature concentrationnaire ». Sur le lot de textes relatant l'expérience des camps — on en compte une centaine - un petit nombre seulement a su déborder le cadre du témoignage à portée historique. Ces œuvres sont maintenant prises en compte par les théoriciens de la littérature lorsqu'ils se penchent sur la production littéraire du XXe siècle. Comme l'expliquent Dominique Viart et Bruno Vercier dans leur ouvrage La littérature française au présent (2005), « la question [est] de réfléchir à la fois à ce que la littérature contemporaine peut dire des camps - de concentration et d'extermination - , à la trace qu'elle continue de porter de cette horreur du XXe siècle et à ce que l'expérience des camps, leur ombre portée si insistante dans notre mémoire,./»// à la littérature » (VIART 2005 : 170). La question du témoignage littéraire - fondée sur les premiers récits de survivants publiés à la fin des années 40 - est ici essentielle. Les rescapés des camps, qui ont témoigné de leur expérience, ont tous été confrontés au problème du « comment dire? »; c'est donc dans cette quête d'une forme d'expression qui permettrait de faire passer un message apparemment intransmissible que réside la valeur littéraire des récits de camps. Il s'agit de pouvoir avoir recours a l'imagination - c'est-à-dire aux outils de la littérature - tout en sachant que l'expérience dont on cherche à témoigner dépasse les limites mêmes de cette imagination : « La différence entre l'art du divertissement et l'exigence littéraire est ici décisive : "Les artistes authentiques d'aujourd'hui sont ceux dans les œuvres desquels l'effroi le plus extrême se prolonge dans un tremblement" » (VIART 2005 : 172)1. L'espèce humaine, du Français Robert Antelme, fait partie de ces témoignages considérés aujourd'hui comme des œuvres de littérature concentrationnaire. En effet, le texte d'Antelme permet la « transformation d'une expérience en langage », pour reprendre les mots de Georges Perec, rendant ainsi possible la transmission d'un vécu aussi incroyable que celui des camps. Arrêté à Paris pour faits de résistance en juin 1944, Robert Antelme passera onze mois dans les camps allemands de Buchenwald, Gandersheim et Dachau. Il sera rescapé in extremis en mai 1945; atteint du typhus, ayant perdu près de 45 kilos, il 1 Les propos cités par Viart et Vercier sont ceux d'Adorno, tirés de sa Dialectique négative (1966). mettra plus d'un an à se rétablir. C'est au lendemain de cette pénible convalescence qu'il écrira le récit de son expérience, qu'il intitula L'espèce humaine. Ouvrage unique d'un homme qui ne s'est jamais prétendu écrivain, L'espèce humaine demeure un récit décisif et un témoignage-phare de ce que furent les camps de concentration allemands. Publié en 1947 par une minuscule maison d'édition parisienne, le texte passera complètement inaperçu; il faudra attendre sa publication par la prestigieuse maison d'édition Gallimard, en 1957, pour que soit reconnu le travail d'Antelme. Depuis, plusieurs lectures importantes de l'œuvre ont été faites - mentionnons entre autres l'analyse de Maurice Blanchot parue pour la première fois en 1962 et celle de Georges Perec parue en 1963 - et plusieurs ouvrages consacrés à Antelme et à son texte ont été publiés, accréditant le caractère proprement littéraire de l'œuvre. Depuis la mort de Robert Antelme en 1990, on assiste à un notable regain d'intérêt pour L'espèce humaine: trois monographies et un recueil de textes portant sur l'œuvre ont été édités, ainsi qu'un certain nombre d'articles. De plus, sept traductions du texte - sur un total de huit - ont été publiées depuis 1993. Bien que les qualités esthétiques et littéraires de L'espèce humaine soient de plus en plus reconnues, il n'en demeure pas moins que peu d'études ont été consacrées à la forme du texte. Plusieurs se sont penchées sur les principaux enjeux et questions défendus et illustrés par Antelme dans uploads/Geographie/ nthibault-robertantelme-deshumanization-exemplarite.pdf

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