2 La France et l’Angleterre à Madagascar Alfred Jacobs 2e période, Paris, 1859

2 La France et l’Angleterre à Madagascar Alfred Jacobs 2e période, Paris, 1859 Exporté de Wikisource le 15/11/2019 3 LA FRANCE ET L'ANGLETERRE A MADAGASCAR LA REINE RA V ANALO ET LA SOCIETE MALGACHE. I. Three Visits to Madagascar during the years 1853, 1854, 1856, etc., by William Ellis, London 1858. — II. Madagascar possession française depuis 1642, par M. Barbier du Bocage, 1858. — III. Rapport sur la 4 colonisation de Madagascar, par M. Bonnavoy de Prémot, 1856. La grande île de la mer des Indes, dépendance naturelle du continent africain, se montre, comme lui, opiniâtrement rebelle à l’invasion étrangère. Aux persévérans efforts de l’Europe, elle oppose la longue ligne de ses sombres forêts, les deltas marécageux de ses fleuves, l’inimitié ou la circonspection de ses habitans. L ’Angleterre, partout ailleurs si heureuse, y a vu presque entièrement échouer jusqu’ici les plus habiles tentatives de sa politique. La France y a planté son drapeau au temps où, avec Richelieu et Colbert, elle était colonisatrice ; aujourd’hui même, elle y conserve des droits que, tous les cinquante ans, elle renouvelle : c’est ainsi qu’en 1840 notre artillerie a tonné sur ses rivages pour saluer dans une nouvelle prise de possession le nom et les couleurs de la France. V aine formalité ! Madagascar s’appartient à elle-même. Les Antilles, les îles de l’Océanie, Java, Bornéo, les archipels situés sous l’équateur ont vu leurs rivages occupés, leurs chaînes intérieures pénétrées par la Hollande, l’Espagne, la France, l’Angleterre, tandis que Madagascar, exclusive et fermée, défie la conquête européenne ; ses habitans, et faut-il les en blâmer ? ont réussi à écarter les envahisseurs. En cela même consiste l’originalité du spectacle que nous présente la grande île : ailleurs nous avons entendu les bruits de la civilisation débordant comme une marée montante, 5 nous avons vu le malheureux sauvage se débattre entre le fusil du squatter et la Bible du missionnaire, presque autant épouvanté des austérités prêchées par celui-ci que des coups portés par celui-là. Ici au contraire nous sommes en présence d’une société grossière, peu cultivée, parfois cruelle, mais originale, personnelle, n’ayant presque rien emprunté à l’Europe, pleine de méfiance à son égard. Si le sang coule, c’est entre Hovas et Sakalaves, sans que les blancs aient été mis en tiers dans la querelle, et il est presque aussi difficile de pénétrer dans Atanarive, la capitale de la reine Ranavalo, que d’arriver jusqu’à Yédo ou à Pékin. Visiter Atanarive était le but que se proposait le révérend William Ellis, et pour l’atteindre il a fallu, de 1853 à 1856, que le persévérant voyageur s’y reprît à trois fois. Ce missionnaire, qui a longtemps évangélisé la Polynésie, y a laissé, et particulièrement aux Sandwich, de vifs et bons souvenirs. Était- ce seulement le soin d’intérêts religieux et commerciaux qui cette fois le guidaient et lui faisaient rechercher avec tant d’insistance son admission à la cour hova ? Il semble permis d’en douter ; mais, alors même que le missionnaire voyageur n’aurait pas cru devoir mettre le public dans la confidence complète des négociations qui pouvaient lui être confiées, sa relation telle qu’il nous l’a donnée n’en est pas moins très intéressante : elle nous transporte au cœur de l’île, offrant à la fois un spectacle curieux et un nouveau sujet d’étude sur des races assez différentes de celles que nous avons vues jusqu’ici ; elle nous permet de nous arrêter encore au grand problème de l’avenir et de la destinée des peuples sauvages ; enfin elle nous fournit, au milieu des détails de la narration, d’utiles élémens pour rechercher quelle part d’influence peut être réservée sur cette 6 terre hostile à la France et à l’Angleterre. I M. William Ellis quitta l’Angleterre en avril 1853. Au cap de Bonne-Espérance, il s’adjoignit un compagnon de voyage, M. Caméron, missionnaire comme lui, auquel un long séjour dans l’île avait rendu la langue malgache familière, et tous deux débarquèrent, au mois de juin suivant, à Port-Louis, capitale de Maurice. V oici quel était à ce moment l’état de Madagascar. V ers 1816, le chef hova Radama avait réussi à dominer la plupart des tribus indépendantes qui se partageaient l’île ; puis il avait conclu avec l’Angleterre un traité par lequel il abolissait la traite, et admettait les missionnaires à la condition qu’on lui servirait une subvention annuelle en armes et en munitions. L ’Angleterre exerçait ainsi un véritable protectorat et semblait près d’hériter de l’ancienne influence française ; mais de grands changemens n’avaient pas tardé à survenir : Radama était mort en 1828, et c’était une de ses onze femmes, la reine Ranavalo, qui s’était saisie du pouvoir à la suite d’une révolution de palais. Cette espèce de Catherine II malgache avait déployé une énergie remarquable, comprimant les insurrections, étendant les conquêtes de son prédécesseur, fermant son île. En 1835, elle chassa les missionnaires anglicans et persécuta les chrétiens ; en 1843, elle expulsa tous les étrangers qui ne voulurent pas se reconnaître sujets malgaches. La France et l’Angleterre crurent devoir intervenir : on sait quelle fut la triste issue de l’expédition de Tamatave. À partir de ce moment, la reine adopta un système d’isolement complet, au grand détriment du commerce de Bourbon et de Maurice, qui s’approvisionnait à Madagascar de 7 riz et de bétail. Tel était l’état des choses en 1853, lorsque les deux missionnaires tentèrent de pénétrer jusqu’à la résidence royale. Ils se proposaient d’obtenir la remise en vigueur des traités de commerce, de demander l’ouverture d’un port et de régler quelques intérêts religieux. Ils étaient encore chargés, a-t- on dit, de prémunir la reine contre les craintes d’une agression française ; mais la relation du révérend Ellis ne permet pas de juger de l’exactitude de cette assertion. Ils prirent passage sur un des petits bâtimens de 60 à 80 tonneaux qui font le service de l’archipel africain, et après une assez rude traversée, car la mer conserve jusqu’à la hauteur du canal de Mozambique les grosses lames du cap des Tempêtes, ils se trouvèrent en vue de Tamatave. La ville, entourée de falaises et de montagnes, est bâtie dans une dépression du terrain. Ses maisons de bois et de chaume se détachent du fond sombre et triste des hauteurs voisines au milieu de bouquets verdoyans de cocotiers, de pandanus et d’autres arbres d’essence tropicale. Non loin d’une vaste bâtisse qui sert de douane et au pied du fort qui protège le mouillage étaient dressées treize longues perches, à l’extrémité desquelles se balançaient des crânes humains ; c’était un souvenir du débarquement anglo-français de 1845. À peine le petit bâtiment avait-il franchi la ligne de récifs qui protège la rade contre la haute mer et pris place au mouillage, qu’un canot se détacha de la côte ; il était monté par quelques hommes vêtus de grandes tuniques blanches maintenues à la ceinture par une écharpe. Le lamba, sorte de manteau indigène, retombait en plis amples sur leurs épaules ; ils ne portaient ni bas ni souliers, et étaient coiffés de chapeaux en jonc tressé aux larges rebords. Un officier, suivi de son secrétaire, monta sur le 8 pont ; c’était le maître du port. Il s’enquit du nom du bâtiment, du chiffre de son équipage et de l’objet de sa visite. Ce Malgache s’exprimait en anglais ; il avait fait partie d’une ambassade envoyée en Europe en 1837, et se trouvait avoir visité la France et l’Angleterre. Il se mit à causer familièrement, demandant des nouvelles de la politique et des théâtres ; il prévint les visiteurs qu’il n’y avait pas grand espoir que la reine se départît de ses mesures rigoureuses tant qu’on ne lui paierait pas une indemnité pour l’attaque de 1845, et il insista sur l’injustice qu’il y avait de la part de nations étrangères à assaillir un peuple parce qu’il prétendait faire prévaloir ses lois sur son territoire. Quant à une adresse que les négocians de Maurice avaient rédigée pour la reine Ranavalo, il ne pouvait pas s’en charger, cela regardait un officier spécial. En effet, cet officier, prévenu de l’incident, se présenta à bord, donna de l’adresse un reçu en langue malgache, et avertit que, pour l’envoyer à Atanarive et recevoir la réponse, c’était une affaire de quinze à seize jours ; le gouverneur de la ville pouvait seul décider s’il convenait, dans l’intervalle, d’autoriser les communications du schooner avec la côte. Le lendemain, un pavillon blanc hissé sur la douane fit connaître que cette autorisation était accordée, et nos missionnaires purent débarquer. À terre, ils furent traités fort amicalement. Leur ami, le maître du port, les conduisit à sa demeure, grande et solide construction indigène longue de cinquante pieds, haute de vingt à trente, entourée d’un vaste enclos consacré à diverses cultures, au milieu desquelles se dressent des étables et des huttes d’esclaves. La façade, sur laquelle s’ouvrent une porte et une série de fenêtres symétriques, est entourée d’un banc et ombragée par un large verandah. Les parois, faites de planches bien jointes, 9 sont tapissées intérieurement par uploads/Geographie/ la-france-et-l-x27-angleterre-a-madagascar.pdf

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