La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle ÉCOLE PRA
La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle ÉCOLE PRATIQUE DES HAUTES ETUDES — SORBONNE SIXIÈME SECTION : SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES CENTRE DE RECHERCHES HISTORIQUES Civilisations et Sociétés 7 MOUTON - PARIS - LA HAYE ANDRÉ MIQUEL La géographie humaine du monde musulman jusqu'au milieu du 11e siècle Géographie et géographie humaine dans la littérature arabe des origines à 1050 MOUTON - PARIS - LA HAYE A MES PARENTS © 1987 Mouton & C° and École pratique des Hautes Études Première édilion 1967. Deuxième édition 1973. Avertissement Ce livre n'est pas celui qu'il aurait dû être. Ou plutôt, il vient avant celui auquel on avait initialement pensé. Etudier les géographes arabes, dresser le panorama de l'Orient musulman au Moyen Age, c'était là une entreprise qu'on pouvait aborder de deux manières. En historien bien sûr : alors, il fallait peindre, à partir de ces textes et autant qu'ils le permettaient, le tableau d'un monde tel qu'il avait existé dans les faits. Mais l'idée était ancienne, les sentiers déjà battus, soit qu'on ait exploité les richesses de ces œuvres pour éclairer tel ou tel point particulier de l'histoire de l'Islam, soit que, en une visée plus ambi- tieuse à laquelle le nom de Maurice Lombard reste attaché, on ait véritablement voulu écrire l'histoire totale de cet Orient. Certes, il y avait, sur ce terrain même, encore beaucoup à faire. Mais le labeur du métier d'historien, plus en- core mon insuffisance en ce domaine, me dirigèrent ailleurs, vers des terrains qui me paraissaient vierges. Pourquoi, me disais-je, ne pas explorer les oeuvres de l'intérieur et, au lieu de m'essayer à dégager, à couper d'elles une réalité objective, celle de l'histoire, pourquoi ne pas prendre ces textes comme un tout, en les considérant comme témoins non pas tellement d'une réalité que d'une représentation de celte réalité, en visant, en un mot, non pas le monde recréé par notre recherche, à mille ans de distance, mais le monde senti, perçu, ima- giné peut-être par les consciences d'alors ? Qu'était-ce que la mer, un fleuve, une ville, l'impôt, les frontières, non pas en l'an mil, mais vus par un musulman de l'an mil ? Plonger au-dedans des textes, participer de leur Weltan- V I Géographie humaine du monde musulman schauung et, s'agissant de morts, tenter « de saisir ces nuances fugitives de leur personnalité (qui échappent à l'analyse scientifique, mais qui reçoivent une valeur du sentiment intuitif de la communication humaine et de l'expérience de l'amitié) » (Lévi-Strauss), voilà qui m'apparaissait comme une entreprise exaltante et neuve : qui valait, en tout cas, la peine d'être tentée. Mais dangereuse aussi : car, pour essayer de comprendre ces textes de l'in- térieur, il fallait à coup sûr leur appliquer des méthodes d'investigation éprouvées et sérieuses, mais aussi, pour juger d'eux avec toute la sympathie nécessaire, garder perpétuellement présents à la pensée les critères auxquels ils se référaient, les traditions qui les modelaient, les moyens d'expression dont ils disposaient. En un mot, l'étude des concepts, des idées, des images, supposait qu'on eût d'abord éclairé le climat dans lequel cette géographie avait pris naissance et auquel il fallait perpétuellement la rapporter. Par là et par là seulement, on pouvait éviter le danger des explications littéraires traditionnelles ou des faux comparatismes, qui nous enferment dans une référence incons- ciente et constante à notre propre sensibilité. J'avoue avoir été, à ce point de ma recherche, découragé, presque hésitant : dans mon impatience à dresser le tableau d'un monde mental que mes premières lectures me faisaient déjà présager comme passionnant, l'étude préalable à laquelle je me voyais forcé, sous peine de manquement à la probité, m'apparais- sait comme un obstacle, ou, pire, comme une redite après les travaux de Ham- mer-Purgstall, Reinaud, Ferrand, ~Wùstenfeld, Lelewel, de Gœje, Schwarz, Blachère, Minorsky, Munaggid et de tant d'autres, sans oublier la somme de toutes ces recherches : la magistrale Littérature géographique arabe de Kratchkovsky. Ceux qui m'avaient encouragé à entreprendre ce travail me firent alors remarquer que l'occasion m'était fournie de m'attaquer, par le biais des géographes, à une étude des formes fondamentales de la culture arabo- musulmane du Moyen Age. Cette culture s'exprime d'un mot, l'adab, mot-clé, presque magique et en tout cas fort mal connu, qui recouvre l'ensemble des comportements sociaux, et en particulier tous ceux qui touchent, justement, à la culture conçue comme un héritage collectif. Ici encore, partie difficile à jouer, qui le restera, de toute façon, tant qu'un dépouillement systématique de tous les textes où ce mot apparaît n'aura pas été mené à bien. Mais à tout le moins pouvais-je me dire qu'à défaut d'exhaustivité, ma recherche sur les formes de la culture arabo-musulmane était, vue à travers les géographes, ori- ginale, rationnelle en tout cas, en ce sens qu'elle porterait sur un ensemble de textes bien délimités, dont elle pourrait faire un inventaire complet : qu'en un mot, avec les géographes, je tenais ce que les sociologues appellent une « population ». Il n'y avait plus qu'une difficulté, mais de taille : définir la géographie. Sur un point au moins, je ne pouvais hésiter longtemps : ce que je voulais étudier, c'était une espèce de conscience moyenne, cette définition écartant a Avertissement vu priori la recherche spécialisée et théorique des savants, dont la technicité, dans cette société comme dans les autres, échappait au plus grand nombre :je laissai donc de côté les traités de cartographie ou de géographie mathématique et astronomique pure, dont l'étude relève de l'histoire des sciences. Il me restait alors une masse énorme de textes qui, à défaut de m'amener jusqu'à la percep- tion d'une conscience populaire, cette grande absente de la littérature arabe classique, me donnait au moins l'image fidèle du public moyen de l'époque : public cultivé et non spécialisé, formé à Z'adab, capable, en cela, de s'intéres- ser à toutes les lumières du siècle, fussent-elles puisées à la géographie des mathématiciens, pourvu qu'on les mît à son niveau et qu'on les exprimât en un langage compris de tous : en un mot, comme le dit Griinebaum, qu'on les « littérarisât ». Ce premier clivage fait, nouvelle question : dans toute la production littéraire ainsi retenue, qui baptiser du nom de géographes, et où était la géographie ? Certes, en priorité, dans les œuvres qui s'étaient voulues telles, mais il n'y avait pas que celles-là. Les thèmes géographiques, s'intégrant peu à peu à la culture de l'honnête homme, gagnaient de proche en proche, passaient chez les encyclopédistes, les anthologues ou même dans les œuvres d'un propos plus restreint et fort éloigné a priori des préoccupations des géographes. Il fallait donc débusquer la géographie de ces repaires : je l'ai fait selon les principes ex- posés au tableau des auteurs, auquel je renvoie une fois pour toutes. Restait, relativement à la définition de la géographie, une dernière ques- tion, qui devait vite se révéler, à l'examen, comme un de ces faux problèmes nés de notre répugnance à sortir de nos propres systèmes de références et de classi- fication. Dans le principe, je devais être amené à choisir entre une des trois formes fondamentales de la géographie : mathématique, si l'on étudiait la terre dans ses relations avec les astres, physique, si l'on s'en tenait à la terre en elle- même, et humaine, si l'on s'attachait à ses habitants. Ayant exclu, avec les textes des astronomes et des cartographes, la première de ces trois géographies, je n'avais plus, en bonne logique, qu'à trancher entre les deux autres. Mais ces calculs étaient vite déjoués : je constatai en effet, ainsi que je l'ai dit un peu plus haut, que les thèmes de la géographie mathématique n'étaient pas absents des textes littéraires, lesquels se contentaient de les adapter à leurs formes d'expres- sion et à leur public, mais ne les répudiaient pas. Ce que j'avais laissé de côté avec les cartographes et les astronomes, c'était donc seulement l'expression mathématique, savante et abstraite, de ces thèmes, mais non ces thèmes eux- mêmes. Je pressentais déjà ainsi que tout choix entre les trois formes idéales de la géographie ne pouvait être qu'arbitraire, et que les textes ne m'y aideraient pas. Arbitraire pour arbitraire, je tentai un instant d'isoler, dans mes lectures, les thèmes de géographie humaine, d'un côté, ceux de géographie physique et astronomique, de l'autre. Peine perdue : les thèmes, chevauchant sans façon les limites que je voulais leur imposer, s'enchevêtraient sans arrêt et c'était moi, v i n Géographie humaine du monde musulman moi seul, qui décidais, ici ou là, selon nos critères d'aujourd'hui, de leur appartenance. Il fallait se résigner à l'évidence : la géographie arabe ne montrait en rien qu'elle fût moindrement consciente de recouvrir trois domaines différents. Ses titres pouvaient bien, le cas échéant, abuser le chercheur en lui laissant croire à une spécialisation quelconque, en réalité elle demeurait une science globale, insécable. Fondamentalement moniste, elle ne séparait pas la terre ni l'homme des autres créations ou créatures de l'univers, ne traitait pas différemment le métal de la plante, la ville uploads/Geographie/ la-geographie-humaine-du-monde-musulman-jusqu-x27-au-milieu-du-11-siecle 1 .pdf
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- Publié le Apv 01, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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