- 2 - CAMILLA LÄCKBERG La Princesse des glaces roman traduit du suédois par Len

- 2 - CAMILLA LÄCKBERG La Princesse des glaces roman traduit du suédois par Lena Grumbach et Marc de Gouvenain ACTES SUD - 3 - Camilla Läckberg, 2003 Titre original : Isprinsessan Éditeur original : Bokförlaget Forum, Stockholm Actes Sud, 2008 pour la traduction française - 4 - à Wille - 5 - 1 La maison était abandonnée et vide. Le froid pénétrait le moindre recoin. Une fine pellicule de glace s’était formée dans la baignoire. La peau de la femme avait commencé à prendre une teinte légèrement bleutée. C’est vrai, elle ressemblait à une princesse, là dans la baignoire. Une princesse des glaces. Le sol sur lequel il était assis était glacial, mais le froid lui importait peu. Il tendit la main et la toucha. Le sang sur les poignets s’était coagulé depuis longtemps. Jamais son amour pour elle n’avait été plus fort. Il caressa son bras, comme s’il caressait l’âme qui désormais avait déserté le corps. Il ne se retourna pas en partant. Il ne s’agissait pas d’un adieu, mais d’un au revoir. - 6 - Eilert Berg n’était pas un homme heureux. Il respirait avec difficulté, de petites bouffées blanches sortaient de sa bouche, mais la santé n’était pas ce qu’il considérait comme son plus grand problème. Svea avait été si belle dans sa jeunesse et il avait eu du mal à patienter avant de pouvoir convoler en justes noces avec elle. Elle avait à l’époque l’air si douce, aimable et un peu timide. Sa véritable nature s’était révélée après une trop courte période de fantaisie juvénile. Depuis près de cinquante ans maintenant, c’était elle qui portait la culotte, et avec fermeté. Mais Eilert avait un secret. Pour la première fois il entrevoyait une possibilité d’un peu de liberté à l’automne de sa vie, et il entendait ne pas la rater. Il avait travaillé dur comme pêcheur toute sa vie, et ses revenus avaient tout juste suffi à faire vivre Svea et les enfants. Désormais ils ne disposaient que de leurs maigres retraites. Sans économies, il n’avait pu envisager aller s’installer ailleurs, seul, pour refaire sa vie. Puis cette opportunité s’était présentée comme un don du ciel et elle était d’une simplicité enfantine. Si des gens avaient envie de payer des sommes indécentes pour une heure de travail par semaine, c’était leur problème. Il n’irait pas s’en plaindre. En un an seulement, les billets dans la boîte en bois derrière le tas de compost avaient fini par former une liasse impressionnante et d’ici peu il aurait assez d’argent pour pouvoir s’échapper vers des cieux plus cléments. Il s’arrêta pour reprendre son souffle dans le dernier raidillon et frotta ses mains percluses. L’Espagne, ou la Grèce peut-être, dégèlerait le froid qu’il sentait l’emplir. Eilert pensait avoir encore au moins dix ans devant lui avant que son heure ne sonne, et il avait l’intention de les utiliser au mieux. Pas question de les passer à la maison en compagnie de bobonne. La promenade matinale quotidienne avait été son seul moment de tranquillité et lui avait permis en outre de faire un peu d’exercice dont il avait bien besoin. Il suivait toujours le - 7 - même chemin et ceux qui connaissaient ses habitudes sortaient souvent pour bavarder un moment. Il avait particulièrement apprécié les discussions avec la jolie fille dans la maison tout en haut de la montée à côté de l’école de Håkenbacken. Elle n’y venait que le week-end, toujours seule, mais se donnait le temps de parler de la pluie et du beau temps. Mlle Alexandra s’intéressait au Fjällbacka d’autrefois, et ça, c’était un chapitre qu’Eilert aimait bien discuter. Et mignonne aussi, la demoiselle. Ça, c’était quelque chose qu’il appréciait encore, même à son âge. Oh, bien sûr, certaines rumeurs avaient couru sur cette fille, mais si on commençait à écouter ce que disaient les bonnes femmes, on ne ferait bientôt plus que ça. Un an auparavant, elle lui avait demandé s’il pouvait envisager de jeter un coup d’œil à sa maison les vendredis matin, puisque de toute façon il passait devant. C’était une vieille maison et la chaudière, tout comme la tuyauterie, étaient peu fiables, et elle n’avait pas très envie d’arriver dans une maison glaciale pour le week-end. Elle lui donnerait une clé, juste pour entrer et vérifier que tout était en ordre. Il y avait eu pas mal de cambriolages dans le secteur, et il devait aussi contrôler les fenêtres et les portes. Ce n’était pas une mission spécialement pesante et une fois par mois il trouvait une enveloppe portant son nom dans la boîte aux lettres de la maison, avec une somme d’argent royale à ses yeux. De plus, il trouvait agréable de se sentir utile. Pas facile de rester oisif après avoir travaillé toute une vie. La grille était de travers et grinça quand il l’ouvrit côté jardin. La neige n’était pas déblayée et il envisagea de demander à l’un des garçons de venir lui donner un coup de main. Ce n’était pas un boulot pour une femme. Il sortit maladroitement la clé et prit garde à ne pas la faire tomber dans la neige profonde. S’il était obligé de se mettre à genoux il ne pourrait plus se relever. L’escalier couvert de glace était traître, et la rampe lui fut utile. Eilert était sur le point de glisser la clé dans la serrure quand il vit que la porte était entrouverte. Étonné, il l’ouvrit et entra dans le vestibule. — Ohé, y a quelqu’un ? - 8 - Elle était peut-être déjà arrivée ? Pas de réponse. Il vit sa propre haleine sortir de sa bouche et se rendit soudain compte que la maison était glaciale. Brusquement, il ne sut plus quoi faire. Quelque chose n’allait pas, vraiment pas, et quelque chose lui dit qu’il ne s’agissait pas simplement d’une chaudière défectueuse. Il passa dans les pièces. Tout semblait intact. Un ordre impeccable y régnait, comme d’habitude. La vidéo et la télé étaient à leur place. Après avoir inspecté le rez-de-chaussée, Eilert monta les marches vers l’étage. L’escalier était raide et il dut s’agripper à la main courante. Arrivé en haut, il entra d’abord dans la chambre. Une chambre très féminine, très chic et aussi bien tenue que le reste de la maison. Le lit était fait et il y avait une valise posée au pied, qui semblait ne pas avoir été défaite. Il se sentit brusquement un peu bête. Elle était peut- être arrivée plus tôt que prévu, avait découvert que la chaudière ne marchait pas et était sortie trouver quelqu’un pour la réparer. Pourtant il ne croyait pas lui-même à cette explication. Quelque chose n’allait pas. Il le sentait dans les articulations, comme parfois il pouvait sentir l’approche d’une tempête. Il poursuivit lentement sa progression dans la maison. La pièce suivante était des combles aménagés, avec toit mansardé et poutres apparentes. Deux canapés se faisaient face de part et d’autre d’une cheminée. Quelques magazines étaient éparpillés sur la table basse mais sinon, tout était à sa place. Il retourna au rez-de-chaussée. Là non plus, rien ne semblait dérangé. Ni la cuisine ni le séjour n’avaient l’air différent des autres jours. La seule pièce qui restait était la salle de bains. Quelque chose le fit hésiter avant de pousser la porte. Tout était toujours calme et silencieux. Il resta indécis un instant, comprit qu’il était ridicule et ouvrit résolument la porte. Quelques secondes plus tard, il se rua sur la porte d’entrée aussi vite que son âge le lui permettait. Au dernier moment, il se rappela que les marches étaient glissantes et attrapa la rampe à temps pour ne pas dégringoler dans l’escalier, la tête la première. Il progressa tant bien que mal dans la neige couvrant l’allée du jardin et pesta contre la grille récalcitrante. Une fois sur le trottoir, il s’arrêta, désemparé. Il vit, un peu plus bas dans - 9 - la rue, quelqu’un qui s’approchait d’un bon pas et reconnut bientôt Erica, la fille de Tore. Il lui cria de s’arrêter. Elle était fatiguée. Fatiguée à en mourir. Erica Falck arrêta son ordinateur et alla dans la cuisine remplir sa tasse de café. Elle se sentait harcelée de tous les côtés. L’éditeur voulait un premier jet du livre pour août et elle venait à peine de s’y mettre. Le livre sur Selma Lagerlöf – le cinquième dans sa série de biographies des femmes écrivains suédoises – aurait dû devenir le meilleur, mais l’inspiration lui manquait complètement. Il y avait maintenant plus d’un mois que ses parents étaient décédés, mais le chagrin était aussi vif aujourd’hui que lorsqu’on lui avait appris la nouvelle. Faire le tri dans leur maison s’était révélé plus fastidieux que ce qu’elle avait cru. Tout réveillait des souvenirs. Il lui fallait plusieurs heures pour remplir un seul carton, chaque objet étant bourré d’images d’une vie qui tantôt semblait terriblement proche et tantôt très, très lointaine. Enfin, ça prendrait le temps qu’il faudrait. Pour l’instant, l’appartement à Stockholm était loué, et elle se disait uploads/Geographie/ la-princesse-des-glaces-by-lackberg-camilla.pdf

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