Qu'est-ce que la ville créative ? LA VILLE EN DÉBAT Collection dirigée par Jacq

Qu'est-ce que la ville créative ? LA VILLE EN DÉBAT Collection dirigée par Jacques Donzelot Elsa Vivant Qu'est-ce que la ville créative ? Ouvrage publié avec le concours du Plan Urbanisme Constrnction Architecture www. 11.rba nism e. eq uipement .go11 v .Jr /pue a Presses Universitaires de France ISBN 978-2-13-057883-3 Dépôt légal - 1 re édition : 2009, novembre © Presses Universitaires de France, 2009 6, avenue Reille, 75014 Paris Introduction La ville créative, alternative à la ville industrielle ? La décentralisation et la trans1t1on postindustrielle ont partout ainené les collectivités locales à repenser leurs politiques urbaines. Les villes pionnières sont souvent celles qui ont subi le plus durement la crise industrielle : face à la montée du chômage, à la f uite des capitaux et à la constitution de vastes friches sur les anciennes emprises industrielles, elles ont mis en œuvre des actions destinées à renouveler leur tissu économ.ique et urbain. Pour rendre leur territoire à nouveau attractif dans ce contexte concurrentiel, elles ont amélioré la qualité des services aux entreprises. Les progrès des technologies de con1n1unication et la baisse des coûts de transport ont conduit à une réorga­ nisation à l'échelle planétaire de la production et à la concentration, dans quelques grandes villes du monde, des activités stratégiques à forte valeur a joutée. Les attirer et les conserver constitue l'en jeu ma jeur des politiques écononuques et urbaines des villes. Cette compétition interurbaine pour l'attraction des capitaux et des entreprises explique l'apparition de 2 Qu'est-ce que la ville créative ? nouvelles logiques entrepreneuriales dans la gestion urbaine. Allégen1ent de la fiscalité, extension des réseaux de télécommunication (câblage fibre optique), an1élioration de l'accessibilité (liaisons grande vitesse et aériennes) et développement d'un parc in1mobilier adapté aux exigences des entreprises ont été les pre­ mières recettes de cette quête d'attractivité, mises en scène dans le cadre de grands projets urbains. Pour convaincre les cadres des entreprises à haute valeur ajoutée de venir s'installer dans des villes en déclin industriel, une attention particulière a été portée à l'amélioration du cadre de vie : les espaces verts, les espaces publics et surtout la vie culturelle. Cette in1portance donnée à l'attraction de certaines catégories de population a été ref om1ulée et théorisée par certains chercheurs dont Richard Florida est cer­ taine111ent le plus connu. Selon lui, le développen1ent économique serait directement lié à la présence de celle qu'il appelle « la classe créative ». En eff et, dans leur choix de localisation résidentielle, les travailleurs « créatif s » (cadres, ingénieurs, designers, chercheurs) privilégieraient les qualités d'un espace urbain valori­ sant et favorisant la créativité, à savoir une grande tolérance et une atn1osphère « cool », détendue et bohème. La force de la ville tiendrait à sa din1ension créative, révélée par son dynan1Îsn1e culturel et artis­ tique, seul capable de con jurer les eff ets de désinvestis­ sements dus au déclin industriel. Les grandes villes ont tou jours été l'espace d' épanouissen1ent de la singula­ rité et de la créativité. Mais il s'agissait d'une faculté n1arginale. À présent, pour R. Florida, le bouil­ lonnement créatif passe au centre de la ville et de son activité. Il devient n1ême le n1oteur de son développe­ ment économique. Introduction 3 La classe créative Que recouvre exactement cette expression de « classe créative » ? Ses n1.em.bres sont ceux qui se trouvent employés pour résoudre des problèn1.es con1.plexes, pour inventer des solutions nouvelles, en dehors d'une logique de production routinière et répétitive, dit Richard Florida. Cette classe serait composée de deux groupes, distincts par le degré de créativité de leur acti­ vité prof essionnelle. Le prenuer groupe, cœur de la classe créative, est constitué par des professionnels enga­ gés dans un processus de création, payés pour être créa­ tif s, pour créer de nouvelles technologies ou de nouvelles idées, con1.n1.e les scientifiques, les cher­ cheurs, les ingénieurs, les artistes, les architectes, etc. Le second groupe réunit des prof essionnels habituellen1.ent classés dans les services de haut niveau, qui méritent d'être associés à cette classe créative car ils résolvent des problèmes con1.plexes grâce à un haut niveau de qualifi­ cation et une f orte capacité d'innovation. Ce sont les juristes et les avocats d'affaires, les financiers et les mana­ gers de hed ge f unds, les n1.édecins, mais aussi les maquil­ leurs, les techniciens du spectacle, etc. Tous exercent une activité dont la principale valeur a joutée réside dans la créativité. Le flou du qualificatif « créatif» permet donc d'agréger dans une n1.ên1.e catégorie des individus aux profils socio-écononuques et professionnels très variés : près de 30 % des actif s des économies occiden­ tales appartiendraient à cette classe créative, devenue donunante par son poids numérique, économique, social et culturel (Florida, 2002). Dans la nouvelle économie dite cognitive, où les outils de production et la matière première sont l'in- 4 Qu'est-ce que la ville créative ? f om1ation et la connaissance, la créativité constitue un avantage comparatif pour les entreprises, les individus et les territoires. Elle est f ournie par des individus qui se caractérisent par le partage de certaines valeurs conm1e l'affirmation de soi, le sens du mérite, mais aussi l'ouverture d'esprit. Ils apprécient l'anonymat des grandes villes et y recherchent des espaces de socialisa­ tion superficielle con1n1e les caf és. Les n1embres de cette classe choisissent leur lieu de vie en fonction de ses caractéristiques « créatives ». Leur présence et leur concentration en un territoire donné attireraient les entreprises à haute valeur ajoutée et permettraient leur développement. Réciproquen1ent, cela signifie que, pour attirer et pern1ettre le développement de ces entreprises dites créatives, il faut produire un cadre de vie qui satisfasse les goûts et besoins de ces travailleurs créatif s. Une théorie basée sur la construction de nouveaux indicateurs À quoi reconnaît-on une ville créative, off rant tous les services et aménités recherchés par les travailleurs dits créatif s, dont la présence assurerait le développe­ ment de la collectivité ? Richard Florida propose d'utiliser pour cela plusieurs indicateurs, chacun révé­ lant une qualité caractéristique de la ville créative : le talent (non1bre de personnes diplômées à bac + 4), la technologie (nombre de brevets déposés) et la tolérance. S'agissant de cette dernière, il propose de l' évaluer grâce à plusieurs indices : le pren1ier n1esure la diversité ; le second, le poids de la con1n1unauté homosexuelle dans la population ; le troisième, celui de la bohème artiste. Introduction 5 L'indice de la diversité (taux de personnes nées à l'étranger) perrn.et de souligner l'in1portance des travail­ leurs migrants dans la nouvelle économie. Le dévelop­ pen1ent d'Internet et de la Silicon Valley leur doit beaucoup : les principaux succès commerciaux d'Inter­ net (Google, Yahoo) ont été portés par des ingénieurs in1migrés ; un tiers des entreprises de la Silicon Valley ont été créées par des étrangers (Saxenian, 1999). R. Florida s'inquiète du danger que fait peser le durcis­ sement des conditions d'obtention de visa et de perrn.is de travail, aux États-Unis comme en Europe, sur cette écononue créative (Florida, 2005). Selon lui, par exen1ple, les tracasseries administratives et consulaires expliqueraient le déplacen1ent du centre de recherche et développern.ent de Microsoft de Seattle à Vancouver. En France également, la volonté politique de linuter l'immigration familiale (car « subie ») pour n'autoriser qu'une imrn.igration de travail pour des prof essions par­ ticulières ( « choisie » ) , comporte une évidente contra­ diction : les talents que l'on souhaite attirer ont une famille et leurs projets de rn.igration ne sont que rare­ ment individuels mais plutôt familiaux. Aujourd'hui, les jeunes ingénieurs indiens, spécialistes des nouvelles technologies, choisissent pour leur projet de migration et d'installation des pays où ils pourront faire venir leur fanulle. Ils se détournent de la Silicon Valley car leurs familles rencontrent trop de difficultés pour obtenir des autorisations de séjour. En n1ettant ainsi l'accent sur l'irn.migration corn.me condition d'attractivité pour les villes, R. Florida oppose les intérêts locaux aux poli­ tiques nationales de f ermeture des frontières par le dur­ cissen1ent des législations sur l' imnugration. L'indice gay s'obtient en corn.ptabilisant le nombre de ménages con1posés de personnes de même sexe se 6 Qu'est-ce que la ville créative ? déclarant concubins. Il est inspiré par des études conduites sur le thème de la gaytrification dans des quar­ tiers comme le Marais à Paris, Castro à San Francisco ou Church Street à Toronto. Les homosexuel(le)s investissent souvent des quartiers spécifiques, propices à la construction d'une communauté. Situés au cœur des agglomérations, ces quartiers ont une f orte visibilité et une grande accessibilité pour tous les membres de la communauté ; ils deviennent ainsi un lieu de rencon­ tres et de rendez-vous. Ces quartiers connaissent un processus de gentrification, tant par l'eff et de l'évolution de l'appareil commercial (par l'apparition de bars et lieux de rencontre) que par celle de leur peuplem_ent. La population gay qui s'installe dans ces quartiers a généralement un pouvoir d'achat élevé, en partie en raison du revenu de ses em.plois (qualifiés ou fortement rémunérés) , en partie aussi par son mode de vie propice uploads/Geographie/ la-ville-en-debat-elsa-vivant-qu-x27-est-ce-que-la-ville-creative-pdf.pdf

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