LE MAROC NOTES D'UN VOYAGEUR (1858 -1859) par M. Léon GODARD, prêtre ALGER 1859
LE MAROC NOTES D'UN VOYAGEUR (1858 -1859) par M. Léon GODARD, prêtre ALGER 1859 2 LE MAROC ________ NOTES D'UN VOYAGEUR (1858 -1859) Quand on examine la situation actuelle des Etats musulmans, on est frappé du caractère ex- ceptionnel que présente le Maroc, au double point de vue de la politique intérieure et des rela- tions avec les peuples chrétiens. Des bords du Danube à la Nubie, de la Tunisie à la Perse, un mouvement de réforme et de progrès s'opère au sein des gouvernements de l'islam. Partout de généreuses tentatives ont pour but de corriger autant que possible le vice des lois et de l'admi- nistration, et de faire entrer les mahométans en part des avantages de notre civilisation mo- derne. Il est permis de croire que les princes ne réussiront pas à relever les nations qu'ils gou- vernent, à moins qu'elles n'abandonnent complètement le Coran pour l'Evangile, ce que nous n'osons pas espérer; mais on ne pourrait sans injustice refuser un tribut d'éloges aux efforts de Mahmoud II et d'Abd-ul-Medjid, de Méhémet Ali, d'Abas el de Saïd-Pacha, d'Ahmed-Bey et de Mohammed, son successeur, pour assouplir le mahométisme aux conditions de la civilisa- tion européenne. Les noms que je viens de citer forment un singulier contraste avec celui d'Abd-er-Rahman, le vieux chérif qui se cache à Mequinez aux regards du monde chrétien et à ceux même de ses sujets. Plus les autres souverains, ses coreligionnaires, travaillent à diminuer l'ignorance et le fana- tisme de leurs peuples, à introduire les améliorations matérielles et morales qu'il semble pos- sible d'emprunter à l'Europe, plus Abd-er-Rahman s'enfonce dans les anciens préjugés hostiles à la lumière et à toute salutaire influence. Grâce à ce système, le Maroc est un pays très peu connu; ses richesses sont en grande partie latentes et inutiles à ses propres habitants; il des- cend de jour en jour de la barbarie à l'état sauvage, et rien n'annonce qu'abandonné à lui- même il puisse, dans un temps donné, mettre un terme à cette décadence. Il a une frontière commune avec l'Afrique française; il n'est séparé de l'Europe que par un canal étroit où pas- sent et repassent continuellement de magnifiques navires à vapeur et à voiles; de Gibraltar, l'Angleterre contemple ses rivages; l'Espagne les touche de la main, et, chose étonnante ! il nous reste aussi étranger que la Chine ou l'Afrique centrale. Celle-ci a eu ses explorateurs sérieux, ses Barth, ses Vogel, ses Richardson, ses Owerveg, ses Livingstone ; à cette heure même, les pionniers de la civilisation l'attaquent par le Fezzan, par le Sénégal, par le Nil et les Gallax, par le Niger, par le Cap, par Libéria et le Dahomey. L'empire des chérifs reste pour ainsi dire seul en dehors de l'action de l'Europe et de ses investigations scientifiques. Cependant l'opinion publique, en France particulièrement, n'est pas indifférente aux questions qui regardent l'empire des chérifs ; je n'en voudrais pour preuve que la facilité avec laquelle se sont écoulés la plupart des écrits publiés sur le Maroc dans ces dernières années. Les éditions en sont épuisées. Ce n'est pas que les auteurs de ces livres aient pénétré au cœur du pays et qu'ils en aient révélé les mystères, Non, car le voyageur est arrêté par le manque de sécurité et le mauvais vouloir des autorités marocaines. Toutefois on a recueilli avec empressement les moindres détails que les visiteurs d'une partie du littoral livraient à la publicité. C'est que le Maroc, tout le monde l'a compris, doit, dans un prochain avenir, subir la conquête euro- péenne, ou se transformer, en ouvrant à notre influence, à nos explorations, à notre commerce, 3 non seulement ses abords, mais les régions lointaines, du Tafilet et de l'Oued Drâa. Lever le plus petit coin du voile dont il s'enveloppe, c'est faire une bonne action car c'est hâter, au moins dans les voeux de tous, le moment où la pression violente ou morale de l'Europe chan- gera, pour le bien général, la situation déplorable de ce vaste pays. CARTES DU MAROC Géographiquement, le Maroc n'est connu que d'une manière bien imparfaite. Sauf quelques itinéraires plus ou moins exacts et qui souvent ne s'accordent guère entre eux, nous n’avons que des notions éparses, des renseignements vagues ou qui se rapportent à des temps déjà trop éloignés. Une bonne carte du Maroc est une œuvre impossible aujourd'hui. Nous devons le dire, quelque soit le mérite de celle de M. le capitaine Beaudoin, gravée au dépôt de la guerre, quelque labeur que se soit imposé M. Renou, pour sa Description géographique de l'empire du Maroc, publiée par l'ancienne commission scientifique de l'Algérie, le territoire du Maroc est trop montagneux, trop accidenté pour que l'on puisse en dresser la carte sur les souvenirs des Arabes, comme l'a fait, non sans succès, M. Daumas, relativement aux plateaux uniformes du Sahara algérien. Ni les livres trop vieux de Léon, de Marmol, de Diégo de Torrès, ni les notes prises au crayon sous le coup de la mort par René Caillé, ni les itinéraires écourtés du renégat Badia y Leblich et des voyageurs, auxquels M. Renou s'est trouvé réduit, ne dissipent les nuages qui couvrent encore la majeure partie de ces contrées que nous aurions tant d'inté- rêt à connaître. OBSTACLES AU VOYAGEUR EUROPÉEN Le voyageur chrétien au Maroc est placé dans des conditions qui empêchent toute étude topo- graphique précise et sur une grande étendue. Il nous est permis, en droit, de voyager au sein de l'empire, et les Anglais, dans le traité signé à Tanger le 9 décembre 1856, ont introduit une disposition qui autorise les sujets et marchands de la Grande-Bretagne à résider où ils vou- dront sur les terres du Sultan (1) ; mais en fait, ce n'est guère praticable. Voulez-vous aller de Tanger à Tétuan ou à Larache, il faut être accompagné au moins d'un soldat, outre votre guide. La règle est de payer 20 francs au cavalier pour cette journée de marche. Mais s'agit-il de vous rendre de Tanger à Fez, un soldat ne suffit plus à vous protéger, il faut une escorte de quatre hommes, et encore ce n'est qu'une garantie imparfaite de sécurité. Par là le consul, vo- tre protecteur naturel, met à l'abri sa responsabilité, mais il ne peut assurer que la canaille ameutée par quelque marabout ne vous fera pas un mauvais parti, malgré vos gardes, Cela reste toujours au rang des probabilités assez graves pour qu'on en tienne compte. Aussi MM. les consuls, on le comprendra et nul ne leur en fera un reproche, sont plutôt disposés à détour- ner les voyageurs de pénétrer dans l'intérieur du pays, qu'à les engager dans cette périlleuse entreprise. Les routes où l'on rencontre le moins de difficultés sont celles de Tanger à Tétuan, de Tanger à Arzilla, à Larache, à Ksar-el-Kebir. Celle de Tlemcen à Ouchda n'est pas dan- gereuse, et l'on va sans crainte, accompagné d'un soldat, de Mogador à Maroc. Fez et Mequi- nez offrent plus d'obstacles. Sur d'autres chemins, on serait gravement soupçonné de faire des reconnaissances en vue de la conquête du pays et alors de grandes précautions deviendraient nécessaires pour se mettre à l'abri d'accidents fâcheux. Les Marocains n'admettent pas qu'un roumi voyage dans un but inoffensif de plaisir ou d'étude; on est à leurs yeux un ennemi, un espion. Conséquemment, il ne conviendrait point de se montrer muni d'instruments de mathématiques et d'avoir l'air de relever un plan ou 1 Article V. All british subjects and merchants wo may wish to reside in any part of the dominions of the sultan of Marocco shall have perfect security for their own persons and property, etc., 4 même d'essayer un croquis de paysage. Sans doute on peut s'aventurer plus ou moins hors des limites que nous traçons, et revenir sain et sauf ; mais ces coups-là ne servent pas à grand chose et ils ne sauraient se renouveler sans faire quelque victime. Quelques traits récents don- neront une idée de la difficulté de ces voyages. En septembre dernier, je me rendis de Tétuan à Ceuta par terre, muni d'un sauf-conduit que m'avait accordé, non sans peine, Khatib, ministre des affaires étrangères, arrivé à Tétuan de- puis peu de jours. Il paraît que, selon les conventions qui existent entre le Maroc et l'Espagne, nul Européen ne peut venir de l'intérieur au préside espagnol, sans une autorisation spéciale d'Abd-er-Rahman lui-même. Khatib céda aux instances que lui faisait M. Nahon, agent consulaire de France à Tétuan, et il me dit: « Pour l'amitié du consul général de France à Tanger, M. de Castillon, et par déférence pour le premier prêtre chrétien que nous ayons vu à Tétuan, je prends sur moi de te donner un laisser passer. » Je partis et pus examiner librement ce que la route offre d'in- téressant au voisinage de la ville: le port Negro, garanti par un petit fort construit en 1055 (1639), sous le pacha Mohammed Narsis ; le port d'Emsa, commandé aussi par un fortin qui date de 1078 (1662). Mais parvenu à travers uploads/Geographie/ le-maroc-1858-godard.pdf
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- Publié le Jan 07, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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