74 Franc,;oise FERRAND lité, les taureaux, les compagnons de la Table Ronde 11.

74 Franc,;oise FERRAND lité, les taureaux, les compagnons de la Table Ronde 11. Créant des visions, l'imaginaire va ainsi se libérer dans l'invention de paysages nouveaux: il suffit d'óter le placage du commentaire al1égorique: seule subsiste la représentation de l'espace naturel. Yu le plus souvent par le héros, le paysage, dans l'univers des premiers romans médiévaux, s'il est l'héritier du paysage idéal des Anciens, prend d'abord appui sur la représentation symboli­ que, pour étre traversé par une conscience individuel1e avant que la quéte de la présence dans l'ordre et l'harmonie des formes na­ turel1es ne laisse place aux songes et aux visions de l'étonnant, de l'insolite et du terrifiant. 11. La Queste del Saint Graal, roman des XII et XIII' siecles, éd. A. Pauphilet, Paris, Champion, 1980, pp. 148-149. DU MOT PAYSAGE ET DE SES EQUIVALENTS DANS CINQ LANGUES EUROPÉENNES par Catherine Franceschi Il est courant d' ordonner l'apparition de mots européens équivalents a paysage de la maniere suivante: le néerlandais landschap (fin Xyeme), l'al1emand landschaft, l'anglais lands­ cape, enfin le fran<;ais paysage, puis ses dérivés italien et espag­ nol paesaggio et paisaje; chacun de ces termes étant entendu dans le champ de la représentation. Cette liste ne retient pas l'emploi attesté de paese dans le champ de la représentation, ni l'usage préalable du mot landschaft dans le sens de "pays, con­ trée" J. Ce constat appelle une reprise du travail sur ces mots 2, dont l'abord se fera apartir des deux questions suivantes: depuis quand les mots paysage et équivalents existent-ils dans leur langue respective? Depuis quand sont-ils présents dans le champ de la représentation ? y répondre suppose d'ouvrir un grand nombre de dictionnai­ res: ceux d'aujourd'hui pour la datation des occurrences qu'ils indiquent; ceux d'hier, parmi les premiers imprimés aux Xypme et XYIIeme siecles, et particulierement les dictionnaires bilingues 1. Signalé dl!;ns G. ROUGERIE et N. BEROUTCHACHVILI, Géosystemes et paysages. Rilan et méthodes, Paris, A. Colin, 1991. 2. On trouvera ici un état provisoire (en date de septembre 96) de ce travail, en cours de réalisation dans le cadre d'une these al'EHESS, sous la direction d' Augustin Berque, sur le theme: "La notion de paysage en Europe, de ses origines anos jours". 77 76 Catherine FRANCESCHI et plurilingues qui resituent les mots dans les langues de chaque époque, enregistrent les sens les plus couramment admis et trans­ mettent leur transposition d'une langue aune autre. L'acces aces demiers est facilité par les bibliographies de dictionnaires exis­ tantes et l'extraordinaire richesse du fonds de la Bibliotheque Nationale de Paris, acet égard. C'est en effet apartir des ouvra­ ges disponibles en ce lieu que cette enquete s' ébauche J. Ce qui suit présente un état des lieux provisoire que des travaux ultéri­ eurs completeront. La situation des mots de six langues - fran<;ais, allemand, néerlandais, anglais, italien, espagnol - sera tout d'abord préci­ sée, puis résumée sous la fonne de séries chronologiques provi­ soires. Mais la consultation simultanée des dictionnaires unilin­ gues et plurilingues permet d'aller un peu plus loin. En effet, elle met en évidence le regard des langues entre elles, sous lequelles sens des mots se définissent et se fixent par analogie, différence, comparaison, selon les caso Hors de toute attente, cette circula­ tion des mots entre les langues 'donne acces ades images effecti­ vement nommées paysage. Il en sera fait état, en instaurant un dialogue entre le fran<;ais, l'italien et l'anglais. Cette trouvaille - car c'est ainsi qu'elle s'est présentée - conduit aréinterroger la fonnation du mot paysage lui-meme, lors de la rencontre de pays et du suffixe -age. Conclure sera ouvrir sur les questions que posent les résultats obtenus. Mot aMot dans six langues européennes 4 Aux deux questions posées initialement, les dictionnaires 3. La liste des dictionnaires consultés est reportée en bibliographie, et leur présentation limitée au minimum nécessaire pOUI s'y référer. 4. L'évolution de I'orthographe des mots conduit a adopter l'ortho­ graphe de I'occurrence lorsque c'est d'elle dont il s'agit, et I'orthographe DU MOT PAYSAGE ET DE SES EQUIVALENTS d'hier et d'aujourd'hui commencent arépondre par une ou deux dates, selon que la premiere occurrence connue du mot est celle ou non de sa premiere mention dans un dictionnaire. Ce regard sur les langues des XVém, XVFnle, de XVIIéme siecles met également au jour l'utilisation de mots équivalents a paysage aujourd'hui inusité, tels les deux mots anglais landskip et paisage, ou l'emploi du mot espagnol pais dans le champ de la représenta­ tion. Enfin, l'approche comparative entre plusieurs langues met en évidence des différences d'apparition des mots selon les langues. Il est possible de distinguer deux cas principaux: les langues 011 les mots existent depuis longtemps, re<;oivent des équivalents latins et sont employés ultérieurement dans le champ de la représentation par extension de sens (cas des mots allemand, néerlandais et italien : landschaft, landschap et paese) ; les lan­ gues 011 les mots n'ont pas d'équivalents latins, et apparaissent dans le courant du XVFme siecle (cas de paysage et de ses dérivés italien et espagnol paesaggio et paisaje). L'histoire des mots de la langue anglaise (landskip, paisage, landscape) est intennédiai­ re entre ces deux groupes en lien avec l'histoire de la langue elle-meme 5• Paysage en franr;ais Les dictionnaires latin-fran<;ais sont formels: le mot paysage n'a pas d'équivalent latin, tandis que le mot pais ou pays traduit les termes orbis, regio, tractus, natio, patria, terra. (R. Estienne, 1539). Le terrne latin pagus, quant a lui, est traduit par village actuelle lorsqu'il s'agit du mot, en général. Dans tous les cas, I'italique est employé pour parler du moto 5. 11 ne sera pas fait état dans cet article de I'histoire des langues, ni de I'histoire des dictionnaires, mais leur influence sur la connaissance des occurrences des mots, acquise ace jour, ne doit pas etre oubliée. 79 78 Catherine FRANCESCHI (R. Est., 1531), puis village, bourg (Nicot, 1621). Paysage se pré­ sente donc comme un mot nouveau dans la langue. Cela a été souligné par de nombreux auteurs, dont J. Martinet, dans un article sur l'étymologie et les sens du mot paysage 6. Ce mot est mentionné pour la premiere fois en 1549, dans le dictionnaire de Robert Estienne, l'un des premiers ainverser la présentation des mots. Le premier est en fait l'édition de 1539, Ol:! R. Estienne commence par inverser les mots de ses dictionnaires précédents (latin-fran<;ais), sans introduire de mots nouveaux. Dans cette édition de 1539, l'absence du mot paysage confirme le fait qu'il ne correspond a rien en langue latine. Ceci ne signifie pas pour autant qu'il n'avait pas déja été inventé. Ceci signifie seulement que paysage est un mot de la langue dite "vulgaire". Dix ans plus tard, son usage est suffisamment répandu pour que R. Estienne estime nécessaire d'en faire état. 11 l'enregistre dans l'édition de 1549, sous la forme paisage, ala suite de la longue liste d'exem­ pies d'emploi du mot pais ou pays, en le définissant de la ma­ niere suivante: PA ISAGE, mot commun entre les painctres 7. Cette définition sera reprise in extenso dans les dictionnaires postérieurs (Nicot, 1606, 1614, 1625). Elle sera précisée par Richelet en 1680, et modifiée par Furetiere en 1690, soit a la fin du XVIIémc seulement. Richelet enregistre des différences de pro­ nonciation, avant de le définir exclusivement et explicitement dans le champ de la représentation : Pai:mge, s. m. Les peintres prononcent pésage, mais ceux qui 6. J. MARTINET, "Paysage: signifiant et signifié", in Lire le paysage, lire les paysages, St Étienne, CIEREC, 1983, p. 66. 7. Cette définition est reprise avec exactitude dans le Trésor de la Langue Franfaise, mais interprétée dans la plupart du autres dictionnaires. DU MüT PAYSAGE ET DE SES EQUIVALENTS ne sont pas peintres prononcent péisage. C'est un tableau qui représente quelque campagne. [Un beau pai·sage. Aimer les palsages] (1680). Peu de temps apres, le dictionnaire de Furetiere enregistre d'autres sens du mot dans le registre de l'aspect et de la percep­ tion, en mettant au second plan sa définition dans le champ de la représentation, ce qui introduit une ambigu"ité relative al'appari­ tion du mot dans ce champ-Ia: PAISAGE. S. m. Aspect d'un pays, le territoire qui s'étend jus­ qu'ou la veue peut porter. Les bois, les collines et les rivieres font les beaux paisages. Palsage, se dit aussi des tableaux ou sont représentées quelques veues de maisons, ou de campagnes. Les veues des Maisons Royales sont peintes en paisages a Fontainebleau et aiJleurs (1690). Que disent les occurrences a cet égard ? 1493 est la date de la premiere occurrence textuelle signalée dans un dictionnaire: le Dictionnaire étymologique et historique, Larousse, 1971: Paysage 1493, Molinet, "Tableau représentant un pays". Les 50!ans qui séparent cette occurrence de la définition de R. Estienne lui conferent une importance d'autant plus grande qu'elle situe sans ambigu"ité l'introduction de ce mot dans le champ de la représentation. Il importe done de la retrouver dans le texte de cet auteur, dont le seul connu acette époque est Jean Molinet, poete et chroniqueur de la Maison de Bourgogne, puis bibliothécaire de Marguerite uploads/Geographie/ les-enjuex-du-paysage.pdf

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