Cinéma documentaire Les fondateurs (2) Walter Ruttmann, Joris Ivens, Jean Vigo,

Cinéma documentaire Les fondateurs (2) Walter Ruttmann, Joris Ivens, Jean Vigo, Luis Buñuel Symphonies urbaines / cité-symphonies • Manhatta, 1921, de Paul Strand et Charles Sheelers (sur un poème de Walt Whitman) • Berlin, symphonie d'une grande ville, 1927, de Walter Ruttmann • L'Homme à la caméra, 1929, de Dziga Vertov • Pluie, 1929, de Joris Ivens • À propos de Nice, 1930, de Jean Vigo • Douro Faina fluvial, 1930, de Manoel de Oliveira - Affinité du cinéma et des villes - Mise en mouvement des masses Walter Ruttmann (1887-1941) Berlin, symphonie d’une grande ville (1927) « Depuis que je suis venu au cinéma, j'ai toujours eu l'idée de faire quelque chose avec la matière vivante, de créer un film symphonique avec les milliers d'énergies qui composent la vie d'une grande ville. (...) C'est étrange comme Berlin essayait d'échapper à mes efforts pour saisir avec mon objectif sa vie et son rythme. (...), mais les parties les plus difficiles furent celles de la ville endormie. Il est plus facile de travailler avec du mouvement que de donner une impression de repos absolu et de calme de mort. » Walter Benjamin, « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », Épilogue, 1939. • Fascisme : esthétisation de la vie politique, cinéma mis au service de la production de valeurs cultuelles. • Qu’advienne l’art, le monde dût-il périr : Mot d’ordre du fascisme. Attend de la guerre la satisfaction esthétique et artistique. L’art pour l’art. • Riefenstahl : exacte illustration de l’esthétisation de la politique par le fascisme. • « Aujourd’hui l’humanité s’offre en spectacle à elle-même. Elle s’est suffisamment aliénée à elle-même pour être capable de vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de tout premier ordre. Voilà l’esthétisation de la politique que pratique le fascisme. Le communisme y répond par la politisation de l’art. » > Vertov, Vigo, Buñuel, surréalisme. • Berlin, symphonie d’une grande ville : symptôme de l’esthétisation des rapports politiques et sociaux : de l’indifférence et de la formalisation des rapports sociaux à l’ordonnance esthétisée des foules de Riefenstahl. Siegfried Kracauer, De Caligari à Hitler : une histoire psychologique du cinéma allemand, 1947. • Musique a pour but de renforcer la tendance formelle de la production. Approche superficielle qui repose sur les qualités formelles des objets plus que sur leurs significations. Accentue uniquement les schémas de mouvement. Caractère abstrait, machines n’ont plus rien à voir avec leur fonctions. Éclipse de la signification. • Contrastes sociaux comme expédients formels plus que protestations sociales. Indifférence. « Que tout un chacun demeure indifférent à ses compagnons humains, c’est une déduction que l’on peut faire de la formalisation des contrastes sociaux. » • Humains projetés dans sphère de l’inanimé. Gens de Berlin assument le caractère d’un matériau qui n’a pas encore été poli. Matériau usagé est jeté au rebut. Impression de destin sur le public. • Différence d’attitude entre Vertov et Ruttmann : Vertov n’est pas indifférent au contenu. Ruttmann met l’accent sur le rythme plus que le contenu, évite commentaire critique de la réalité, Ruttmann fuit le contenu, ne l’évalue pas, alors que Vertov le souligne. • Attitude formelle ou formaliste de Ruttmann envers une réalité qui exigeait la critique, l’interprétation. Symptôme de sa retraite en une neutralité ambiguë. Berlin… produit de la paralysie de la société. Joris Ivens (1898-1989) - Misère au Borinage (1933) De la symphonie urbaine (Pluie, 1929) au documentaire social et politique (Misère au Borinage, 1933, avec Henri Storck) : « Ce retour à la simplicité signifiait en réalité toute une révolution stylistique pour moi. C’était une approche juste, car j’estimais nécessaire d’éviter toute pitié personnelle vis-à-vis de ces gens. Il fallait surtout mettre en lumière la dureté de leur existence, sans aucune sensiblerie ni pitié. Chaque scène devait dire : j’accuse. Une accusation contre le système social qui causait une telle misère et de telles privations. La caméra devait être effacée. » Jean Vigo (1905-1934) - À propos de Nice (1930) « Jean Vigo et Boris Kaufman viennent de terminer leur film, À propos de Nice. Ciel bleu, maisons blanches, mer éblouie, soleil, fleurs multicolores, cœur en liesse, telle apparaît d’abord l’ambiance niçoise. Mais ce n’est là que l’apparence éphémère, fugitive, et que la mort guette, d’une ville de plaisirs. Par-delà cet aspect mortel, les jeunes cinéastes d’À propos de Nice ont voulu dégager le devenir d’une cité. » « Vers un cinéma social », Jean Vigo, 1930. Vous pensez bien que nous n’allons pas ensemble découvrir l’Amérique. (…) Il ne s’agit pas aujourd’hui de révéler le cinéma social, pas plus que de l’étouffer en une formule, mais de s’efforcer d’éveiller en vous le besoin latent de voir plus souvent de bons films (que nos faiseurs de films me pardonnent ce pléonasme) traitant de la société et de ses rapports avec les individus et les choses. Car voyez-vous, le cinéma souffre davantage d’un vice de pensée que d’une absence totale de pensée. Au cinéma, nous traitons notre esprit avec un raffinement que les Chinois réservent d’habitude à leurs pieds. Sous prétexte que le cinéma est né d’hier, nous jouons au bébé, à l’exemple de ce papa qui "gagate" pour mieux se faire comprendre de son poupon. Un appareil de prise de vues n’est tout de même pas une machine pneumatique à faire le vide. Se diriger vers le cinéma social, ce serait consentir à exploiter une mine de sujets que l’actualité viendrait sans cesse renouveler. Ce serait se libérer de deux paires de lèvres qui mettent 3 000 mètres à s’unir et presque autant à se décoller. Ce serait éviter la subtilité trop artiste d’un cinéma pur et la supervision d’un super-nombril vu sous un angle, encore un autre angle, toujours un autre angle, un super-angle ; la technique pour la technique. (…) Se diriger vers le cinéma social, ce serait consentir simplement à dire quelque chose et à éveiller d’autres échos que les rots de ces messieurs-dames, qui viennent au cinéma pour digérer. Et ce faisant, nous éviterions peut-être la fessée magistrale que nous administre en public Monsieur Georges Duhamel. « Vers un cinéma social », Jean Vigo, 1930. J’aurais voulu faire projeter aujourd’hui Un chien andalou, qui, pour être un drame intérieur développé sous forme de poème, ne présente pas moins, selon moi, toutes les qualités d’un film à sujet d’ordre social. (…) Un chien andalou est une œuvre capitale à tous les points de vue : sûreté de la mise en scène, habileté des éclairages, science parfaite des associations visuelles et idéologiques, logique solide du rêve, admirable confrontation du subconscient et du rationnel. (…) Un chien andalou hurle, qui donc est mort ? Elle est soumise à dure épreuve, notre veulerie, qui nous fait accepter toutes les monstruosités commises par les hommes lâchés sur la terre, quand nous ne pouvons supporter sur l’écran la vision d’un œil de femme coupé en deux par un rasoir. Serait-ce là spectacle plus affreux que celui offert par un nuage voilant la lune en son plein ? (…) Monsieur Buñuel est terrible. Honte à ceux qui tuèrent sous la puberté ce qu’ils auraient pu être et qu’ils cherchent tout le long du bois et de la grève, où la mer rejette nos souvenirs et nos regrets. Jusqu’au dessèchement de ce qu’ils sont au printemps venu. Cave canem… Prenez garde au chien, il mord. Se diriger vers un cinéma social, c’est donc assurer le cinéma tout court d’un sujet qui provoque l’intérêt ; d’un sujet qui mange de la viande. Mais je désirerais vous entretenir d’un cinéma social plus défini, et dont je suis plus près : du documentaire social ou plus exactement du point de vue documenté. Dans ce domaine à prospecter, j’affirme que l’appareil de prise de vues est roi, ou tout au moins président de la République. (…) « Vers un cinéma social », Jean Vigo, 1930. Le Monsieur qui fait du documentaire social est ce bonhomme suffisamment petit pour se poster sous la chaise du croupier, grand dieu du Casino de Monte-Carlo, ce qui, vous pouvez me croire, n’est pas chose facile. Ce documentaire social se distingue du documentaire tout court et des actualités de la semaine par le point de vue qu’y défend nettement l’auteur. Ce documentaire exige que l’on prenne position (…) S’il n’engage pas un artiste, il engage du moins un homme. Ceci vaut bien cela. L’appareil de prise de vues sera braqué sur ce qui doit être considéré comme un document, et qui sera interprété, au montage, en tant que document. Bien entendu, le jeu conscient ne peut être toléré. Le personnage aura été surpris par l’appareil, sinon l’on doit renoncer à la valeur "document", d’un tel cinéma. Et le but sera atteint si l’on parvient à révéler la raison cachée d’un geste, à extraire d’une personne banale et de hasard sa beauté intérieure ou sa caricature, si l’on parvient à révéler l’esprit d’une collectivité d’après une de ses manifestations purement physiques. Et cela, avec une force telle, que désormais le monde qu’autrefois nous côtoyions avec uploads/Geographie/ les-fondateurs-du-cinema-documentaire.pdf

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