Pierre Cabanes LES PORTS D'ILLYRIE MERIDIONALE Le theme du Collogue porte sur l

Pierre Cabanes LES PORTS D'ILLYRIE MERIDIONALE Le theme du Collogue porte sur les Structures portuaires et les routes maritimes dans I' Adriatique a l'epoque romaine. Mon propos m'obligera, d'une part, a remonter bien plus tot dans le temps, puisque Jes ports d'Illyrie meridionale, essentiellement Epidamne-Dyrrhachion, Apollonia d'Illyrie et Orikos fonctionnent des la fondation des colonies a la fin du VII' siecle avant J.-C. et que leur creation est independante d'une presence romaine encore inexistante dans I' Adriatique a cette epoque. D'autre part, les informations dont nous disposons actuellement n'apportent que tres peu de renseignements sur la structure des installations portuaires; dans le cas d'Apollonia, on peut meme dire qu' on est encore a la recherche de la localisation precise du port; quanta Orikos et a Epidamne-Dyrrhachion, la fonction portuaire n'a prati­ quement jamais ete intetTompue depuis I' Antiquite. La rade d' Orikos, a I' a­ bri des Monts Acrocerauniens (les Monts Karaburun actuels), a vu se succe­ der la ville d'Oricum romaine, puis Jes installations de Pasha Liman a l'epo­ que ottomane, et la base sous-marine sovietique evoquee par lsmai'l Kadare dans son roman Le grand Hiver, qui raconte la rupture albano-sovietique dans l'hiver 1960-61 et Jes tensions tres fortes entre troupes sovietiques et alba­ naises, ces dernieres exigeant le maintien des submersibles sur place sous pavilion albanais et, pour l'obtenir, minant et barrant la sortie de la baie de Vlora, entre cap septentrional des Monts Karaburun et 'ile de Sazan. Son destin mibtaire n'est sans doute pas tennine! Quant au port d' Epidamne­ Dyrrhachion, ii a vu Jes navires romains frequenter le port de Dyrrachium, puis s'est transforme en Durazzo avant de devenir Dunes, le principal port albanais de cette fin du XX0 siecle. Le theme des routes maritimes concerne tres directement ces ports d'Illyrie meridionale: pourquoi les Grecs de l'epoque archaique se sont-ils interesses aces regions, au point d'y fonder des colonies, d'y developper des ports, apparemment etablis dans un site favorable, puisque 2.500 ans plus tard deux d' entre eux continuent a etre apprecies et frequentes par Jes flottes mar­ chandes ou militaires modernes. 121 PIERRE CABANES I. LA FONDAT!ON DES COLONIES (carte 1) Etienne de Byzance (1), a partir d'une citation d'un fragment perdu de Polybe (2) decrit bien Orikos comme la premiere localite sur la rive droite lors­ qu' on entre dans l' Adriatique, en venant du Sud. Selon le rnerne auteur, Hecatee de Milet considere qu'il s'agit seulement d'un comptoir, d'un port (ALµ17v), tout a fait comme Herodote (3) alors que plus tard, chez Apollodore, elle passe pour une polis. Deja, au debut du IP siecle avant J.-C., Orikos rec,;oit la visite des theores de Delphes, cornme une veritable cite (4), ce qui n'etait pas le cas dans Jes listes des thearodoques d'Epidaure et d' Argos au rv0 sie­ cle. C'est encore chez Etienne de Byzance qu'on peut puiser quelques indi­ cations sur l'origine d'Orikos: l'auteur associe Orikos aux Abantes et a Amantia et il decrit la fondation d'Amantia par des Abantes, originaires d'Eubee, a leur retour de la guerre de Troie (5). La breve presence d'Eretriens a Corcyre est attestee par Plutarque (6), avant qu'ils ne soient chasses par Jes Corinthiens de Chari crates. Cette fondation tres ancienne d' Orikos n' a, pour le moment, pas ete confirmee par des trouvailles archeologiques perrnettant (1) ETIENNE DE BYzANCE, s.v. "QgLxos: 'Exm:ai:os ALfLEVa xa:\.Ei: 'Hndgou ,ov "QgLxov EV T1J Eugc.omJ, '\um'.! OE Bou0gunos 11:0ALS, fLETC( oi: "QgLXOS ALµ17v". 'AnOAAOOWQOS oi: 6 0aUflUCTLC.O,aws 11:0A.LV au,17v ollk 1'.tynm C!QOEVL½WS, ws IlOA'llQlOS /:QMwp "ol OE '[{JV "QgLXOV ½U'WLXOUVTES, OL xal 11:QW'WL xdv,m 11:EQL ,17v doQo1'.17v 11:QOS i;ov 'Aoglav EX OEŠLWV ELOJl:A.EOVTL". (2) PoLYBE, V II, 14 d. (3) HeRoDoTE, IX, 93 emploie le meme terme AL[L17v; son texte pose question car ii indi­ que que I' A6os se jette dans la mer a proximite d'Orikos, apres avoir traverse le territoire d' Apollonia, ce qui suppose que la chora d' Apollonia soit directement au voisinage du port cl'Orikos; faut-il en conclure que Heroclote ignore la geographie de la region, ou bien faut-il au contraire y voir le temoignage d'un voyageur qui a circule par bateau clans ces regions pour se renclre a Thourioi, vers 445, et qui aurait clecrit un vaste territoire appartenant a Apollonia, apres son succes clans la guerre de Thronion, que 1' on elate vers 450, et clont temoignent Pausanias (V, 22, 2-4) et une inscription cl'Olympie publiee par E. Kunze (I 956, p.149-153), texte revise chez P.A. Hansen ( 1983, n. 390; cf. Corpus l 997, I. 2, n. 303). Cette cleuxieme interpretation confir­ merait un agranclissement considerable du territoire apolloniate vers le Sud, clans la plaine de Ylora et la vallee de la Shushica, et renforcerait I' identification de Thronion avec la future Amanti1', au village de Ploc,;a. Cette situation ne semble pas avoir dure longtemps, puisque, chez le Pseudo-Scylax, § 26, Orikos para1t voisine du territoire cl' Amantia et au § 27, !'auteur preci­ se que les Orikoi habite une partie du territoire des Amantins. (4) PLASSART 1921, p. 22, c. IV, 43. (5) ETIENNE DE BYZANCE, s.v. 'Arwnla: "'AfLav,[a'lAAUQLWV [LO'i:Qa, n1'.17olov 'QgLxou xal KEguxas, /:š 'AQav,wv ,wv &no Tgolas voo,17oav,wv <Jixwr1tvr]". Yoir aussi PsEuDo­ ScvMNos, 442-443. (6) PLUTARQUE, Quaestion.es graecae, 11, 293 ab; certains ont voulu rejeter cette courte presence eretrienne a Corcyre, faute de preuves archeologiques: c'est le cas d'Ecl. Will (I 955, p. 330, n. 6) et recemment de C.A. Morgan, K.W. Arafat (1995); en revanche, cette presence est acceptee par I. Malkin (1994, pp. l-9). 122 LES PORTS D'ILLYRIE MERIDIONALE Fig. I. L'Illyrie meridionale. 123 PIERRE CABANES de remonter a une date si haute, mais il faut dire que l'interet strategique du site a pratiquement interdit toute recherche archeologique approfondie; le seul article accessible, depuis la derniere guerre, est celui de Dh. Budina (7) qui decrit un petit theatre ou un odeon edifie, selon Jui, au I" siecle apres J.­ C. Avant lui, le site avait ete visite par le colonel Leake, le consul franc;:ais Pouqueville, Leon Heuzey; Carl Patsch en a dresse une bonne description (8); L. M. Ugolini y passe en 1926 et N.G.L.Hammond dans Jes annees suivantes. Quelques fouilles faites en commun par Jes archeologues sovietiques et alba­ nais, dans Jes annees 1958-60, ont permis de degager des couches archeolo­ giques remontant au VI0 siecle avant J.-C. (9). Strabon (10) fournit une indication supplementaire, qui est interessante, si elle est exacte: ii affirme qu' Orikos controle le mouillage, le port de Panormos, qui est une excellente rade situee sur la mer Ionienne au Sud d' Himara, done relativement proche a vol d'oiseau, mais difficile d'acces par voie de terre, puisqu'il faut franchir le col de Llogara a plus de mille metres d'altitude avant de plonger sur la cote ionienne. La rade, appelee Porto Palermo, a ete equipee par Jes Albanais apres 1960, comme une seconde base sous-marine, avec tunnel creuse sous la colline qui abrite le port au Nord. Il est difficile, a partir du passage de Strabon, de fixer la periode durant laquel­ le Orikos aurait etendu sa zone d'influence jusqu'a Panormos, au detriment d'Himara et des Chaones. Il est plus vraisemblable que Strabon utilise le terme Panormos pour designer soit le port meme d' Orikos, soit une zone d'ancrage dans la baie de Vlora; cette solution ramene Orilws a sa zone nor­ male d'action, sans extension lointaine et peu imaginable. L'aventure surve­ nue en plein hiver 48 a Cesar, dont Jes navires atteignent la cote a Paleste, sur la mer Ionienne, done au Sud du col de Llogara, l'a contraint a franchir cette passe avant de prendre Oricum. Elle permet de mesurer la difficulte des liai­ sons entre la baie de Vlora et la riviera albanaise sur la mer Ionienne, au Sud des Monts Acrocerauniens. C'est vers la fin du VII' siecle avant J.-C. que Jes Corcyreens et leur ancienne metropole Corinthe s'interessent a la fondation de colonies, au Nord et au Sud de I' embouchure du Shkumbi: la ville aux deux noms, Epidamne­ Dyrrhachion, semble avoir ete fondee vers 625 avant J.-C., tandis qu'au Sud (7) Buo1NA 1965; voir aussi BEAUMONT 1936, p. 164. (8) PATSCH 1904. (9) BLAVATSKI, lsLAMI 1960, pp. 89-91; BuDINA 1964. (10) STRABON, vn, 5, 8: ME,a o' 'AitOAAWVlav BUAALax17 xaL 'Q(?LXOV xaL 1:6 EJtLVELOV m'.noiJ 6 ITavogrwi; xal 1:a KEgauvLa og11, 11 agx11 wiJ 01:6rmwi; wiJ 'Iovlou x6),rrou xaL wiJ 'Aoglou. 124 LES PORTS D'ILLYRIE MERIDIONAL£ du fleuve, Apollonia d'Illyrie aurait vu le jour une generation plus tard ( 11). Pourquoi Corinthe et Corcyre se sont-elles interessees aces regions, au point de fonder deux cites, qui connaissent tres rapidement un developpement remarquable? On peut ecarter, en premier lieu, le desir de la part des deux puissances coloniales associees de controler Jes routes maritimes dans le canal d'Otrante: la situation des deux ports est trop septentrionale. La flotte corinthienne, pour gagner Syracuse fondee aussi par Jes Corinthiens, emprunte des routes plus au Sud, a partir du debouche dans la mer Ionienne du golfe de Corinthe, ou eventuellement en faisant uploads/Geographie/ les-ports-d-x27-illyrie-meridionale-cabanes-in-strutture-portuali-2001.pdf

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