GUSTAVE GAUTHEROT LES SUPPLICIÉES DE LA TERREUR PARIS L I B R A I R I E A C A D

GUSTAVE GAUTHEROT LES SUPPLICIÉES DE LA TERREUR PARIS L I B R A I R I E A C A D É M I Q U E P E R R I N ET C?\ L I B R \ I R E S - É D I T E U R S 35. QUAI DES GHAHns-AUGL'STlRS, 35 Tous droit» de traduction et de reproduction réservés pour tous pars. Biblio!èque Saint Libère http://www.liberius.net © Bibliothèque Saint Libère 2009. Toute reproduction à but non lucratif est autorisée. LES SUPPLICIÉES DE LA TERREUR INTRODUCTION L'AGE DU FER M. Pierre de la Gorce raconte que, dans son enfance, il a connu quelques-uns des survivants de l'époque révolutionnaire : parfois, c r des pro- fondeurs de leur mémoire, ils ramenaient à la surface leurs souvenirs », et c ils parlaient en paroles pressées, comme par surabondance d'im- pressions ou besoin de se décharger » : d'autres fois, t e les mots, coupés par l'émotion, s'échap- paient lentement et tombaient un à un comme des larmes »; soudain « ils s'interrompaient, passaient sur leur front leur main toute ridée, fermaient les yeux pour ne rien voir, et tout affamés d'oubli pour eux-mêmes, souhaitant que l'oubli fût pareil pour leurs descendants, ils retombaient dans un silence dont ils ne sortaient plus » (i). Pourquoi tant d'horreur? Nous l'expliquerons (i) Histoire religieuse de la Révolution Françuise, t. III p. 5i4 (Paris, Pion, 1918). 2 LES SUPPLICIÉES DE LA TERREUR assez en évoquant les pires visions demeurées au fond de ces yeux. Mais pourquoi rompre le silence qui s'imposait aux témoins vieillis? C'est que la postérité peut tirer de grandes leçons des crimes des bour- reaux et de l'attitude des victimes. Les crimes des bourreaux ? On a nié, il est vrai, que ce fussent des crimes. Michelet, pos- sédé alors par le Démon de la Révolution, a osé écrire que 1793 marque « l'avènement de la loi, la résurrection du droit et la création de la justice )>. A cette conception « romantique » res- tent fidèles d'érudits historiens, et l'un d'eux fait encore honneur aux bourreaux d'avoir obéi aux nécessités de la défense nationale : « La nation, explique-t-il, se sentit frappée par devant et par derrière et craignit de périr : alors la Révolution voila, suspendit les principes de 89 et tourna contre ses ennemis les moyens violents d'ancien régime qu'ils employaient contre elle. Le gouver- nement prit une étiquette terroriste, non pas certes par préférence ou par système, mais pour ras- surer les Parisiens, pour se maintenir à Paris, sans émeute. Dans la pratique, il essaya de faire prévaloir une politique humaine et modérée... On en vint à rétablir des tribunaux d'exception,... mais toujours dans la vue de sauver l'indépen- dance nationale, et nullement par fanatisme politique. » Après les lois de ventôse et de prai- rial an II, « personne n'osa plus contrarier la défense nationale »,car « les quelques centaines de personnes qui furent guillotinées en vertu INTRODUCTION 3 de ces lois servirent d'exemple » (i)... Que penser d'un tel jugement ? Il reflète une légende utile à certains intérêts politiques, mais il n'a rien de commun avec la vérité historique (2). L'histoire des femmes guillotinées le démon- tre, à elle seule, surabondamment. * « * A Paris seulement, et en moins de quinze mois, — d'avril 1793 à juillet 1794, — la guil- lotine abattit plus de 2600 têtes, dont 374 têtes féminines. En 1794. jusqu'au Neuf Thermidor (27 juillet), la chute de ces dernières suivit, sauf pour mars et mai, une constante progression : 9 en janvier; i3 en février; (11 en mars); 43 en avril; (4i en mai); 82 en juin; 100 en juillet. Il y en avait eu vingt-quatre pour la seule « fournée » du 25 juin... Têtes d'aristocrates? Dans la porportion d'un quart environ, et nous verrons si les nobles dames méritaient mieux leur sort que les autres. En très grande majorité, les milliers de victimes de la Révolution étaient gens du peuple : ouvriers, paysans, soldats, domestiques. Ces gens-là étaient assurément « aristocrates », au sens où on l'en- (1) A. Aulard (professeur à la Sorbonne de 1884 à iga3). Histoire politique de la Révolution Française (Paris, Colin, 1909). la Terreur, p. 358, 35g, 36a, 366. (a) Il faut lire à ce sujet la très remarquable étude d'Au- gustin Gochin : La Crise de l'Histoire Révolutionnaire, Taine et Af. Aulard (Paris, Champion, 190g). à LES SUPPLICIÉES DE LA TERREUR tendait, mais tout confirme la conclusion de Taine : « C'est l'élite du peuple qui, dans le peuple, fournit la principale jonchée; c'est con- tre l'aristocratie subalterne, contre les hommes les plus capables de faire le bien et de bien conduire le travail manuel, contre les travailleurs les plus recommandables par leur activité, leur frugalité, leurs bonnes mœurs, que la Révolu- tion, dans sa rigueur contre la classe inférieure, a le plus souvent sévi (i). » Gomqient a-t-elle sévi? Dans son célèbre troi- sième numéro du Vieux Cordelier, Camille Des- moulins comparait les terroristes aux pires empe- reurs romains et empruntait à Tacite son fouet cinglant : «... Les tribunaux, protecteurs de la vie et des propriétés, étaient devenus des bou- cheries où ce qui portait le nom de supplice et de confiscation n'était que vol et assassinat... Rome a souffert le gouvernement d'un monstre... qui, pour tout dire en un mot, souhaitait que le peuple romain n'eût qu'une seule tête pour le mettre en masse à la fenêtre », à la « fenêtre » de la guillotine. La guillotine était en effet un instrument de règne, et un instrument légal. Les juges du tribunal révolutionnaire, Fouquier- Tinville lui-même, n'étaient que des exécuteurs : les vices de forme qu'on leur reprocha plus tard étaient peccadilles à côté des crimes des (x) Origines de la France contemporaine, ÏII, livre IV, c h . r r . — Dans Taine et M. Aulard, Augustin Gochin a définitive- ment fait justice des attaques lancées naguère par le second contre le premier. INTRODUCTION 5 législateurs qui, eux, étaient les véritables assas- sins. « Ce sont, disait encore Tacite par le stylet de Camille Desmoulins, ce sont les despotes maladroits qui se servent des baïonnettes : l'art de la tyrannie est de faire la même chose avec des juges. » Ces législateurs, pourtant, n'étaient pas, selon le mot que Wallon applique à Robespierre et à Saint-Just, « des scélérats de naissance ». C'é- tait Leur doctrine qui était scélérate, « Je suis un esclave de la liberté, gémissait Robespierre avant le Neuf Thermidor, un martyr de la république, la victime autant que l'ennemi du crime. » Il avait d'ailleurs prononcé, le 3o mai 1791, un discours en faveur de l'abrogation de la peine de mort : « ravir à l'homme la possibilité d'expier son forfait par un repentir ou par des actes de vertu, lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu, à l'estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire, dans le tombeau encore tout couvert de la tache récente de son crime », était à ses yeux « le plus horrible raffi- nement de cruauté ». Mais il prit à ce « raffine- ment » une part prépondérante, et il la prit parce que l'idole du jour, — nommée Peuple, — était altérée de sang. Lui et ses pareils de la Législative et de la Convention n'agirent pas, — comme beaucoup de criminels ordinaires, — sous l'empire d'une aveugle et passagère impul- sion ; ils montèrent et perfectionnèrent soigneu- sement, longuement, en toute connaissance de cause, les rouages de la machine à décapiter. 6 LES SUPPLICIÉES DE LA TERREUR Cette œuvre législative dura vingt-deux mois, d'août 1792 à juin 1794, et il faudrait en suivre ici le processus, étape par étape. Le Tribunal Cri- minel du 17 août 1792, créé au lendemain de la prise des Tuileries, fut une première ébauche du Tribunal révolutionnaire : élu par les assemblées des Sections parisiennes, — en fait par quelques milliers de purs sans-culottes, — il était censé représenter le peuple, juger au nom du peuple, par conséquent « souverainement et en dernier ressort » (1). Installé par la Commune de Paris — dont la dictature s'imposait à l'Assemblée Législative, — il en exécuta les ordres. Lorsque, durant les Massacres de Septembre, le Peuple, le peuple fictivement représenté par quelques bandes de sicaires, voulut opérer lui-même, le Tribunal s'effaça devant lui, et son Bulletin du 3 septembre en explique les « jugements » : « Le bien de la chose publique a malheureuse- ment rendu indispensables » ces « événements imprévus »... C'était pour sauver la Patrie que furent égorgés, dans la -seule nuit du 2 au 3 sep- tembre, mille soixante-dix-neuf prisonniers I En mars 1793, le Tribunal révolutionnaire proprement dit, — d'abord appelé Tribunal cri- minel extraordinaire, — • fut établi par la Conven- tion d'après les mêmes principes : v Que m'im- porte d'être appelé buveur de sang! s'écria Dan- ton (qui avait été Ministre uploads/Geographie/ les-suppliciees-de-la-terreur-000000563.pdf

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