1 Bruno Drweski Pridniestrovie ≠ Transnistrie 2012 Editions du Présent Littérai

1 Bruno Drweski Pridniestrovie ≠ Transnistrie 2012 Editions du Présent Littéraire Arad 2 Collection IMAGO MUNDI, vol. I Collection dirigée par: Raoul Weiss Texte original 2012 ©Présent Littéraire SRL, Roumanie - www.le-present-litteraire.com I.S.B.N. : 978-606-93122-3-0 3 La courte guerre qui s’est déroulée en 1992 le long du Dniestr a opposé très violemment deux formations étatiques indépendantes nées au moment de la désintégration de l’URSS. Depuis, un calme précaire règne dans cette région, mais les séquelles du conflit continuent à peser sur les populations locales (1) : cessez-le–feu le long de l’ancienne ligne de front, crimes de guerre restés impunis, disparus non retrouvés, absence de reconnaissance internationale de l’entité où vit plus d’un demi-million d’habitants, double taxation des produits locaux aux frontières, double homologation exigée, et donc coûts supplémentaires pour les produits provenant du Dniestr, non reconnaissance des documents d’identité, de voyage et des diplômes émis par Tiraspol, fermeture de l’espace aérien pridniestrovien, interruption du trafic ferroviaire normal, impossibilité d’importer des produits décrétés « stratégiques » en provenance des pays occidentaux, rumeurs malveillantes sur les activités commerciales déployées sur les bords du Dniestr, etc.. Cette situation pesante dure maintenant depuis plus de 20 ans. Et pourtant, les gens continuent à vivre là-bas, ils ne quittent pas massivement le pays, c’est plutôt le contraire qui se produit, si l’on compare avec les deux États voisins. Comment une telle situation est-elle possible ? Pourquoi les autorités locales jouissent-elles d’une crédibilité réelle auprès de leurs concitoyens pour que l’entité qu’elles dirigent continue à perdurer envers et contre tout ? Car le gouvernement de Tiraspol n’a aucune relation officielle avec aucun État indépendant reconnu internationalement, même s’il bénéficie d’une sympathie assez large au sein des populations de l’ex-URSS et, en conséquence, au sein de beaucoup des dignitaires de la plupart des États de la CEI, voire d’autres pays d’Europe ou du tiers-monde, dès lors qu’ils découvrent la situation existante (2). Nous verrons dans cet ouvrage les raisons économiques et sociales qui peuvent aider à comprendre ce phénomène assez extraordinaire. Nous verrons les racines culturelles multiethniques de cette société, qui contribuent aussi à expliquer son acharnement à refuser de se soumettre aux injonctions des institutions dominant le monde d’aujourd’hui. Nous examinerons aussi les fondements légitimateurs de la « République moldave de Pridniestrovie » (Transnistrie). Mais, avant d’aborder ces sujets, commençons par un petit peu d’histoire, de géographie, et de géopolitique. Car c’est là que se trouvent les racines de la situation actuelle, et c’est là que nous trouvons les éléments qui ont permis aux habitants de cette entité d’imaginer la constitution d’un État qui, sous sa forme actuelle, n’avait jamais existé auparavant …et qui pourtant n’est pas né de rien. 4 Dis moi comment tu t’appelles et je te dirai qui tu es Le nom officiel du pays, et sa traduction dans les langues occidentales, pose lui même la problématique que nous allons développer dans cet ouvrage. Issue de l’ancienne République socialiste soviétique de Moldavie créée en 1940 comme conséquence du pacte germano-soviétique, l’entité d’abord soviétique puis indépendante qui a été créée en 1990 sur les bords du Dniestr revendique jusque dans son appellation officielle son origine moldave, comme c’est le cas pour sa voisine de l’ouest, aujourd’hui indépendante (la « République de Moldova »), et comme les provinces moldaves situées à l’ouest de la rivière Prut et faisant partie de la Roumanie. Mais l’identité moldave est une identité complexe. La moldavité qui s’est développée le long du Dniestr est restée plus fidèle aux fondements historiques de la première culture moldave qui s’était formée au Moyen-âge. Mais d’autres populations et d’autres cultures se sont aussi développées le long du fleuve Dniestr au cours de l’histoire. L’actuelle entité étatique ayant pour capitale Tiraspol s’est établie le long de la rive orientale du Dniestr, sur plus de 200 km de rivage, mais aussi dans deux enclaves situées à l’ouest du même fleuve (Bendery et Kitskany), d’où son appellation dans les deux langues slaves officielles du pays (russe et ukrainien) de « Pridniestrovie » ou, « pays situé le long du Dniestr ». Ce préfixe « pri » n’existant pas dans les langues latines, le nom du pays dans la troisième langue officielle, le moldave, se traduit en français par « République moldave du Dniestr », en moldave « Nistru ». Nous pouvons donc accepter deux appellations pour désigner cette entité étatique : soit « Pridniestrovie », c’est- à-dire la transcription de l’appellation du pays dans deux de ses trois langues officielles (le russe et l’ukrainien), soit « Dniestr » (ou « Dniestrie »), du nom du fleuve qui a donné son nom au pays, dans la version de ce nom traditionnellement connue en français. On pourrait éventuellement aussi imaginer de reprendre le terme de « Nistru », du moldave, dans la mesure où cette appellation est la forme latinisée du nom du même fleuve, et que le français est une langue latine. On ne peut en revanche accepter le terme le plus communément répandu pour désigner ce pays en français et dans les autres langues occidentales, celui de « Transnistrie ». Même si beaucoup de dirigeants locaux, peu au fait des questions linguistiques et historiques, l’utilisent eux- mêmes lorsqu’ils parlent dans ces langues. En effet, d’un point de vue géographique, l’appellation « Transnistrie » (« au-delà du Nistru », ou Dniestr) n’a de sens que si l’on se place géographiquement du côté de l’ouest, de Chisinau, de Bucarest. C’est donc déjà un choix partial (3). À cela, il faut ajouter que, comme nous venons de le mentionner, une partie du territoire de cette république se trouve sur sa rive droite, occidentale, et donc que, même vu de Chisinau, ce territoire n’est pas entièrement situé « de l’autre côté » du Dniestr. 5 Mais il y a pire. Le terme de « Transnistrie » a été inventé pendant la Seconde Guerre mondiale lorsque l’État roumain, allié de l’Allemagne nazie, annexa les terres situées à l’est du Dniestr, jusqu’au Boh, et y procéda à de nombreux crimes contre les populations locales, et contre les Juifs et Tsiganes roumains amenés là pour y être tués. Reprendre donc ce terme aujourd’hui dans une langue occidentale est donc un crime contre la mémoire. Les seules appellations acceptables pour ce pays sont donc « Pridniestrovie », « Dniestr » ou « Nistru ». C’est donc celles que nous utiliserons dans cet ouvrage. Nous avons commencé à voir, en abordant cette question d’appellation, l’importance du facteur « légitimité » dans le règlement de la question moldave et, en conséquence, l’importance du facteur historique, par lequel nous commencerons ici notre périple dans ce territoire disputé et attachant. Symboles nationaux de la Pridniestrovie 6 Histoire mouvante et stabilisation russe Aussi loin que l’on remonte dans la nuit des temps, on constate que les terres situées le long du Dniestr ont été des terres de passage, et que des populations et des États très divers y ont laissé leurs traces. Sans même remonter en détail aux découvertes archéologiques et à la présence des populations nomades ou semi-nomades (Ougro-finnois, Indo-européens de différentes peuplades, Latins, Germains, Slaves, Huns, Avars, Hongrois, Petchenègues, Polovtses, Tatars, Turcs, etc.) qui ont traversé ou emprunté le Dniestr avant la constitution des États médiévaux, c’est à une liste impressionnante d’États successifs que nous avons affaire sur ce territoire depuis un millénaire : Ruthénie (Rous’) de Kiev, empire tatar de la Horde d’or, Lituanie, empire ottoman, Pologne, Russie, URSS (Ukraine soviétique puis Moldavie soviétique), Roumanie, Pridniestrovie. C’est incontestablement avec l’annexion de ces territoires à l’État russe que commence l’histoire d’une continuité de peuplement massif, sédentaire, et concentré sur ce territoire. Jusque-là, les terres situées le long du Dniestr étaient habitées par des populations éparpillées, rarement urbanisées, menacées en permanence, et donc très mobiles. Quelques centres comme Bendery ou Kamenka purent s’y développer, mais la règle générale resta, jusqu’au XVIIIe siècle, celle d’une histoire de peuplement mouvante et instable. Chaque État successif pouvait y faire passer ses armées, y établir des campements militaires ou des forteresses, mais aucun d’eux n’eut de véritable politique de peuplement, et les populations qui s’établissaient sur ces terres steppiques et ouvertes à tous les vents le faisait dans la précarité et l’insécurité quasi-permanente. C’est incontestablement l’irruption de la Russie sur les terres situées le long du Dniestr et de la mer Noire qui allait faire entrer ces territoires dans l’histoire du peuplement et du développement économique réguliers. Une vision un peu mythifiée de l’histoire russe s’appuie sur un soi disant conflit séculaire qui aurait existé entre l’islam et la chrétienté orthodoxe, et qui pourrait servir d’argument légitimateur pour l’expansion russe vers le sud et le sud-ouest de l’État des tsars. Cette expansion a bien eu lieu, et elle avait des causes géopolitiques, commerciales, géographiques. Mais le conflit entre l’État russe et l’Empire Ottoman en décadence au XVIIIe siècle fut simultané avec la poussée de la même Russie en direction de la Pologne et de la Suède, elles aussi en décadence au même moment, et pourtant États à dominante chrétienne. Et du côté « uploads/Geographie/ pridniestrovie-transnistrie.pdf

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