Lorena A. Hicock L’histoire d’Helen Keller Traduit de l’américain par Renée Ros
Lorena A. Hicock L’histoire d’Helen Keller Traduit de l’américain par Renée Rosenthal Robert Laffont Titre original : THE STORY OF HELEN KELLER Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous les pays. © Lorena A. Hickok, 1958. © Éditions Robert Laffont, 1968, pour la traduction. « À la mémoire de Maîtresse qui entraîna une petite fille hors des ténèbres et lui donna le monde… » HELEN KELLER. LE SILENCE ET L’OBSCURITÉ Par une belle soirée du mois de septembre 1886, la famille Keller était réunie au salon. Le capitaine Keller lisait distraitement son journal. Il finit par le poser à côté de lui et regarda par-dessus ses lunettes sa fille aînée Helen qui, pelotonnée dans un fauteuil, serrait contre son cœur une grande poupée de chiffon. — Helen a maintenant six ans, dit le capitaine. Son esprit, en admettant qu’elle en ait un, est enfermé dans une prison. Il ne peut pas en sortir et personne ne peut lui ouvrir la porte pour l’aider. La clé a été perdue ; personne ne pourra la retrouver. Mme Keller, qui était en train de coudre, releva la tête. Ses yeux étaient pleins de larmes. La tante d’Helen se mit en colère : — Arthur, vous n’y connaissez rien. Moi je vous dis qu’Helen est beaucoup plus intelligente que tous les Keller réunis. — Helen est peut-être un génie, dit le capitaine tristement, mais à quoi celui lui servira-t-il ? Personne n’en saura jamais rien. Elle n’en profitera pas et n’en fera profiter personne. Les paroles de son père ne pouvaient pas blesser Helen : elle ne les entendait pas. Frappée à deux ans par une congestion cérébrale, elle était restée sourde-muette et aveugle. Il n’y avait, croyaient ses parents, aucun moyen de communiquer avec elle. Elle était murée pour toujours dans le silence et l’obscurité. Helen descendit de son fauteuil et se dirigea à tâtons, en se guidant sur le bord de la table, jusqu’au berceau qui se trouvait près de sa mère. Ce berceau, Helen le connaissait très bien ; c’était le sien, elle y avait dormi lorsqu’elle était toute petite. Ses mains savaient le reconnaître, le retrouver. Elle aimait y coucher sa poupée, la border, la bercer. Depuis quelque temps, Helen était inquiète ; le berceau n’était plus libre, la place était prise. La mère d’Helen la repoussait lorsqu’elle s’en approchait pour y coucher sa poupée. Il y avait quelqu’un dans le berceau, quelqu’un qui remuait bras et jambes, quelqu’un qui n’était pas une poupée. Helen n’avait aucun moyen de savoir que ce quelqu’un était sa petite sœur. « Quelqu’un » n’avait pas de prénom. Pour Helen, c’était « elle » la voleuse qui avait pris son berceau et qui prenait souvent aussi sa place favorite sur les genoux de sa mère. Une fois de plus, « elle » était là. La main d’Helen avait senti le petit corps chaud du bébé, bordé dans les couvertures moelleuses. En poussant des cris rauques et discordants qui ressemblaient plus aux grognements d’un chien qu’à une voix humaine, Helen arracha les couvertures et renversa le berceau pour chasser l’intruse. Heureusement, sa mère rattrapa le bébé avant qu’il tombât par terre. Le capitaine saisit Helen par les épaules et la secoua violemment : — V oilà qui règle la question du génie, dit-il avec amertume. Helen est en tout cas un génie malfaisant. Il faut l’envoyer dans une Institution spécialisée. Mme Keller, encore bouleversée par l’incident, se remit à pleurer : — Non… non… non ! supplia-t-elle. Nous ne pouvons pas l’abandonner… Ces maisons sont destinées à recevoir des débiles mentaux, des arriérés. Helen n’apprendra rien, on la laissera dans son coin toute seule, elle ne fera aucun progrès et elle sera très malheureuse loin de nous. Le capitaine Keller tenait toujours d’une main ferme Helen qui se débattait et donnait des coups de pied. Il reprit plus doucement : — Que pouvons-nous lui apprendre, nous ? Nous avons essayé de lui donner des leçons… Comment ? Nous n’en savons rien. Nous ne pouvons plus la garder ici. Elle est trop grande, trop forte, trop dangereuse pour sa petite sœur. Un jour elle la tuera. Pendant ce temps, dans la tête de la pauvre Helen, c’était une ronde de pensées vertigineuses qui se bousculaient. « Pourquoi me font-ils cela, pourquoi, pourquoi ? » Helen ne connaissait pas les mots. Tous les gens qui l’entouraient étaient pour elle des « ils ». Des « ils » qu’elle distinguait parfaitement : son père, sa mère, sa tante, Martha Washington, la fille de la domestique noire, qui jouait quelquefois avec elle. « Ils » c’étaient des mains ; des mains qui la guidaient, qui la tiraient très vite en arrière au moment où elle allait se cogner contre un meuble, qui la relevaient quand elle était tombée, des mains qui lui donnaient à manger, qui lui donnaient des jouets. Il y avait les mains de sa mère, très douces, les mains de sa tante, un peu plus grandes, un peu moins adroites, celles de Martha, très petites, souvent poisseuses, et les mains grandes et fortes, très dures, de son père, qui en ce moment même la tenaient serrée et ne voulaient pas la lâcher. Avec ses mains à elle, Helen explorait le monde. Ses mains lui servaient d’yeux et d’oreilles. La petite fille, privée du sens de l’ouïe et de la vue, avait développé d’une façon extraordinaire son sens du toucher, ainsi que ceux de l’odorat et du goût. Elle reconnaissait les « ils » de loin à leur parfum ; de près, elle savait reconnaître leurs vêtements, « voir » s’il y avait quelque chose de nouveau. Elle savait trouver les premières violettes dans l’herbe ; elle connaissait la fourrure de Belle, son setter. Elle savait qu’il ne fallait pas serrer trop fort la coquille lisse et chaude des œufs car il s’en échapperait une matière visqueuse qu’elle ne pouvait retenir dans ses doigts. Ses petites mains avides, curieuses, sans cesse en mouvement, étaient déjà l’outil de sa pensée. Longuement, inlassablement, elle caressait le visage de sa mère, elle suivait du doigt le contour du nez, de la bouche. Elle ne s’étonnait pas de sentir quelquefois les joues de sa mère mouillées de larmes. Elle aussi, lorsqu’elle était malheureuse, elle avait les joues mouillées. Mais elle s’étonnait de sentir très souvent la bouche remuer. Elle essayait elle aussi de faire bouger ses lèvres. Pourquoi, pourquoi les « ils » faisaient-ils cela ? Était-ce un jeu ? Pourquoi n’y jouaient-ils pas avec elle ? À mesure qu’elle grandissait, Helen souffrait de plus en plus de son isolement. Les mains de sa mère qui lui caressaient les cheveux, ses lèvres qui l’embrassaient, ses bras qui la câlinaient lui étaient toujours indispensables mais ne lui suffisaient plus. Il lui venait des rages terribles parce qu’elle ne savait pas se poser à elle-même les questions auxquelles elle aurait tant aimé qu’on lui répondît. « Je voudrais comprendre, je voudrais parler, voir, entendre », hurlait la pauvre prisonnière à l’intérieur d’elle-même. Elle ne réussissait qu’à pousser des sons inarticulés qu’elle n’entendait pas. Au bout d’un certain temps, épuisée par sa révolte et son désespoir, Helen s’endormait. C’est ce qui arriva encore cette fois-là. Son père et sa mère la mirent au lit, puis retournèrent au salon. — Il n’y a rien à faire, dit le père. Nous sommes complètement désarmés, incapables de lui apprendre quoi que ce soit. — Je sais, reconnut la mère. Nous sommes trop faibles avec elle. Elle n’en fait qu’à sa tête. — Comment pourrions-nous la punir ? reprit le père, nous ne pouvons pas lui faire comprendre pourquoi on la punit. La mère secoua la tête : — Nous devrions écrire à Boston, à ce professeur dont nous a parlé le Dr Bell. Quelques mois plus tôt, les parents d’Helen, qui habitaient dans l’Alabama à Tuscumbia, avaient emmené la petite fille chez un célèbre médecin de Baltimore spécialiste des yeux. Il n’avait rien pu faire pour elle, mais avait suggéré qu’on la fît examiner par le Dr Alexander Graham Bell, à Washington. — Peut-être le Dr Bell pourra-t-il faire quelque chose pour guérir la surdité d’Helen, avait dit l’ophtalmologiste. Le Dr Bell est un remarquable savant. C’est en essayant de mettre au point un appareil pour redonner une certaine acuité auditive aux enfants sourds, qu’il a inventé le téléphone. Les Keller étaient allés avec Helen chez le docteur Bell. Il avait examiné la petite fille, puis l’avait gardée longtemps sur ses genoux. Il la regardait jouer avec sa montre. — Je ne peux rien faire pour elle, avait-il dit tristement. Mais essayez d’aller voir à Boston le professeur Michael Anagnos, qui dirige une école pour les enfants aveugles : « l’Institution Perkins ». Il y a, dans son école, une femme, Laura Bridgman, qui est sourde-muette et aveugle somme votre enfant. Il paraît que Michael Anagnos a trouvé le moyen de lui parler : en frappant avec ses doigts dans la paume de uploads/Geographie/ lorena-a-hickok-l-x27-histoire-d-x27-helen-keller.pdf
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- Publié le Nov 23, 2021
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