Pour toi Lounes. Lorsque les ténèbres engloutissent la clarté avec la hargne et

Pour toi Lounes. Lorsque les ténèbres engloutissent la clarté avec la hargne et la boulimie de la bêtise, et que l'on assiste amer au greffage morbide de l'identité millénaire, alors le mythe devient réalité. Et ces démons nous agressent à chaque instant. Nous refusons de plier. Le greffon ne veut pas prendre et les bourgeons éclosent plus bas avec la rapidité de la force de la vie qu'on étouffe. Nous n'aurons de paix que lorsque nous vivrons avec nous-mêmes et que nos ancêtres cesseront de se retourner dans leur tombe. La négation nous offusque à en mourir. Les tréfonds de notre âme en sont martyrisés. Matoub Lounes, tu chantes tout haut ce que tes frères ressentent tout bas. Victimes que nous sommes d'un système où le mot liberté veut dire : liberté des uns à disposer des autres. Tu es un baume au cœur outragé. Une preuve vivante de notre inénarrable attachement à rester debout. Le chant vient de ton âme et ta voix gonflée de rancœur et de colère nous réchauffe les os. Nous entrevoyons Taos Amrouche traverser les cieux de notre pays en compagnie d'un guerrier numide. Les tatouages de nos mères deviennent alors vérités absolues. Rien d'autre ne saurait ni ne pourrait nous guider. Lounes, tu nous as rappelés avec bonheur que même lorsque l'on perd son sang, l'atavisme se régénère. Y a-t-il loi de la nature plus belle ? La confiscation de notre liberté par ces gueux qui nous gouvernent a fait de notre peuple un troupeau malade où les meilleurs ont disparu, isolés ou vaincus, et les médiocres ont prit des allures d'astres scintillants. Pleure, ô vestales. Chante-leur, Lounes, que la démocratie a été le premier goût dans nos bouche, que nous l'avons tétée au sein de nos mères. Chante-leur notre soif de justice et de réparation. Chante, Matoub, chante ! Un poète peut-il mourir ? (1) Saint protecteur, Abderrahmane Saint aux pouvoirs surnaturels Où démêler l’écheveau de nos drames ? Parmi les puissances qui nous ont dominés, Depuis les conquêtes romaines, Pas un qui n’ait meurtri notre terre aux flancs. L’humiliation a pénétré le peuple, Le joug dont ses bourreaux l’accablent, Les siècles n’en ont pas émoussé le fer Heureux qui, pour son salut, fuit, dit-on, Mais qui, à demeurer en ce pays, À bon escient appelle son châtiment Ce n’est pas moi qui les insulterai ; Voyez, le climat de nos vies s’est engourdi, Menaces et pièges se liguent, s’amoncellent. Qui détient les la clef de ce cauchemar ? - La descendance de Bakhta ! Lâchera-t-elle jamais prise ? jamais ! I Algérie, prends garde, ne te relève pas Pour te joindre au concert des nations. Persévère, tourne dans l’avilissement, tourne ! Ne secoue pas les pans de ton habit ; Va, engloutis ta progéniture, Tu mènes tes ravages dans les cerveaux ; Engraisse les ennemis qui te saccagent, Ils sont repus de ta chair, pas un nerf ne te demeure. Si une fois se dresse un homme d’honneur Et qu’il fasse vœu de vaincre ton sort : Sous une dalle, ravalé en exil, Tel est le destin qu’il scelle en ton nom. Ceux qui t’on arrachée aux mains des colons - Abane, Krim, Ben Mhidi Ont tous succombé en d’atroces morts Dont tu refuses d’honorer les sacrifices. Dépecée, voraces dents rongée, Nul ne vint pour apaiser ta peine. Toutes les nations t’ont foulée aux talons, Qui décampe te lègue ses fléaux. Au fer des souffrances tu fus tatouée, À tes pans d’habits l’abjection s’essuie. Tu fus témoin aux massacres des lions Qui te voulaient comme un phare, splendide. Tu es l’antre creusé d’un essaim de vers Qui ardemment dévore ta dignité ; De quelque lieu que surgisse le malheur, Dans ton giron un refuge lui est fait. Comment le brouillard de dissipera-t-il ? Puisque nous renions nos racines, La mort même nous l’écœurerions, Par nous désirée, elle nous recracherait II Nombreux, ils portèrent l’insurrection Pour changer la face de ce pays ; Par leur lutte ils ont repoussé les colons, D’autres ennemis assiègent notre demeure. Ceux-là que vous affublez de noms de prestige, Tous ceux-là que vous couvrez d’éloges, Ont aussi semé le désastre. Le deuil obscurcit la forêt de chêne, Elle était là face aux bourreaux. D’une lame mortelle de fer affilée, Combien d’enfants furent égorgés ! Détenteurs de quelque savoir, Ils fuyaient une cité à feu et à sang : Gibier traqué comme des étourneaux. Aucun aide ne consola leur supplice ; Ils furent exterminés sans plus de procès ; Jeunesse ravie avant son heure (2) Si de Akfadou pouvait jaillir la parole, De la Soummam aussi, comme de nos collines ! L’hiver alors serait la saison d’été Et les ronces auraient raison du désert. Il les égorgeait les un après les autres, Son pas piétinait toute retenue : Le déluge emporta les vaillants. Puisque nous avons commencé notre épopée Avant que nous fermions le récit, Vers la demeure de la vérité affluons. La France n’en a épargné aucun : Les guides éclairés sont tous bien morts. Ceux qui dilapident leur sacrifice, Pendant l’âpre combat se terraient 1962 : Liberté conquise. De toutes parts ils accourent, se concertent. Ils se font instigateurs de nos malheurs. Une fois apprêté leur valet Ben Bella, on applaudit son triomphe. Mais il avait oublié qui l’avait affaité. Lui guettait comme un chacal famélique, Sachant l’imposture en ses fondations. Celui qui gênait sa marche au pouvoir Était infailliblement assassiné. Les comploteurs de nouveau se concertent, Et des chères montagnes du Djurdjura Ils se jurent l’ébranlement. Ils essaiment leurs meutes armées Pour déchiqueter le Kabyle. Deux ans durant, Le brasier consumait, dévorant sans répit. C’est que Boumediene agitait ses pantins ; Et qui s’insurgeait était terrassé, Lui sur son siège vautré. III Notre terre, Notre terre de terreur se saigne, Ses saints protecteurs même Vont dans un exil sans retour. Anéantis, les hommes de l’équité ; Ah, yeux ! Versez vos torrents alors ! L’injustice étend les frontières de ses supplices. Toutes ces années vécues dans le deuil, Nous hurlons de détresse Et nous gémissons bouche bâillonnée. Que d’années funestes ! La terreur n’a pas cessé d’étouffer le peuple La peur engendre l’injustice, Le mutisme était maître des langues. Notre terre est source d’épouvante ! Qu’un pauvre maudit rejoigne leur amitié, Sous un bandeau ils capturent son regard. Ils le mutilent et le supplicient ; Des yeux de ceux qu’il aime il sera banni, S’il en réchappait sa raison serait égarée ; S’il en réchappait son cerveau serait déjà dévasté. On fit les boutures du mal, son germe a pris : Deux lettres répandent la terreur : SM (3) ! La voie du droit est pour nous obstruée, Le jour même, tu tremblerais d’effroi. Advint le jour que l’ère se renversa, La mort en vient à la sagesse Elle les emporte sans exception : Qui jugeait des choses à son tour est jugé Il n’est plus de joie dans la destruction, Le despote est désarçonné. IV Nous croyions l’issue de nos luttes acquises, Le nom de l’Algérie s’étoilerait Mais le charognard sur nous s’est jeté Et il a ravagé le cours de son histoire Notre peuple de nouveau est avili, Un morveux népotique l’a dépossédé de sa terre Il invite ses proches pour nous asservir Les âmes serviles ont élu un âne bâté, Il nous rouera de ses bottes, Chiens et larbins à ses côtés. Le pillard fièrement défile. Il danse, exultant à ses méfaits ; Et l’injustice d’accroitre ses fossés : L’un est broyé, opulence pour l’autre. La démence magnétise les âmes Comme l’aimant capte le fer : Dévore, briffe, avide, et sans mesure. Un bruit assourdissant à nos pas s’attache, Où s’agitent les flammes de l’incendie. Voici nos mets : sans saveur ou salés à outrance. Survint le printemps 80 : Le peuple afflue, occupe les rues ; Homme et femmes se révoltent, À la recherche de la justice bannie, Sans se douter qu’on les guettait. La nuit venue, ILS les terrassèrent… Qui leur donna le coup de grâce ? V Le printemps a nourri la rage, Le peuple bouillonne de part en part. Notre terre n’a engendré nul bienfait, Les eaux accrues se sont déversées sur elle. Le monde entier est notre créancier, L’infection ronge la moelle de nos os Se dressèrent ceux que le malheur a brisés, Que l’issue fût bonne ou mauvais… n’importe ! Combien de jeunes gens ont succombé ! Qui s’insurge est roulé dans la fange. Moi-même je suis emporté dans le tourbillon De la tragédie d’Octobre. Une brèche s’ouvrira-t-elle à notre quête, Terrasserons-nous ce qui est néfaste ? L’Algérien aura-t-il sa part de repos Et reconnaîtra-t-il son identité ? L’injustice s’est creusée d’une fissure D’où s’épanche la clarté Que ceux qui ont péri reposent en paix Ils nous lèguent la mémoire de leur martyre. Nous serons les comparses de ce coquin, De ce celui-ci et de cet autre, puisqu’ils sont Savant et que nous sommes un troupeau, À quoi bon accabler un sort ingrat ! Celui qui sait uploads/Geographie/ matoub-lounes-regard-sur-l-x27-histoire-d-x27-un-pays-damne.pdf

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