Contrôle Urbain. L'écologie de la peur Par Mike Davis Dans un autre essai, j'ai
Contrôle Urbain. L'écologie de la peur Par Mike Davis Dans un autre essai, j'ai raconté en détail comment un comité d'urgence secret, dit Comité des 25, composé des principaux dirigeants de sociétés immobilières du centre ville, a réagi à la menace perçue dans la rébellion de Watts en 1965. Avertis par les forces de l'ordre de l'imminence d'une «inondation» noire du centre ville, le Comité des 25 a abandonné les efforts de rénovation du vieux centre de bureaux et de commerces de détail. Ils ont alors utilisé le pouvoir municipal d'expropriation pour raser des quartiers et créer un nouveau coeur financier à quelques blocs à l'ouest. L'agence de rénovation de la ville, agissant pratiquement comme leur planificateur privé, a transféré les investissements des 25 du vieux quartier des affaires, en offrant d'énormes rabais très en dessous de la valeur du marché, sur les terrains du nouveau centre. La clé du succès de la stratégie toute entière (célébrée comme une «renaissance» du centre ville de L.A.) fut la ségrégation physique du nouveau coeur urbain et de ses valeurs immobilières derrière un rempart de palissades reclassées, de piliers de béton et de murs de voies rapides. Les connexions pédestres traditionnelles entre Bunker Hill (la colline du Bunker) et l'ancien centre furent déplacées et le trafic à pied dans le nouveau quartier fut élevé au-dessus de la rue dans des passages piétonniers dont l'accès était contrôlé par les systèmes de sécurité des différents gratte-ciel. Cette privatisation radicale de l'espace public du centre ville - avec ses nuances raciales menaçantes - se produisit sans discussion ni protestation publiques significatives. De plus, les émeutes de l'an passé ont fonctionné comme une véritable vérification des installations prévues par les concepteurs de la forteresse du centre. Alors que les vitrines étaient brisées dans tout l'ancien quartier le long de Broadway et de la Spring, Bunker Hill restait à la hauteur de son nom. En appuyant sur quelques commandes de leurs consoles, les gardes de sécurité des grandes tours de banques purent couper tous les accès de leurs coûteux immeubles. Des portes d'acier à l'épreuve des balles descendirent sur les entrées au niveau de la rue, les escalators s'arrêtèrent instantanément et des verrous électroniques interdirent l'accès aux passages piétonniers. Comme le remarquait récemment le Los Angeles Business Journal dans un article consacré à la question, les défenses des sociétés du centre ville ont été testées en situation d'émeute et le succès de ce test n'a fait que stimuler la demande de sécurité à des niveaux encore plus élevés. D'abord, la frontière entre architecture et maintien de l'ordre s'est mieux effacée. La police de Los Angeles est devenue un des acteurs principaux de la conception du centre ville. Aucun projet ne voit le jour aujourd'hui sans sa participation et, dans certains cas, comme le récent débat sur l'installation de toilettes publiques dans les parcs et les stations de métro (à laquelle elle s'est opposée), elle exerce ouvertement un droit de veto. Ensuite, la surveillance vidéo des zones rénovées du centre a été étendue aux structures de parking, aux allées privées, aux plazas, etc. Cette surveillance extensive constitue un «survespace» virtuel, un espace de visibilité protectrice qui définit de plus en plus où les cols blancs et les touristes de classes moyennes se sentent en sécurité au centre ville. Inévitablement, les caméras vidéos des lieux de travail et des centres commerciaux seront reliés aux systèmes de sécurité des domiciles, aux «boutons de panique personnels», aux alarmes des voitures, aux téléphones cellulaires, dans une continuité ininterrompue de surveillance tout au long du jour. En fait, le style de vie du yuppie pourra bientôt être défini par la capacité de s'offrir des anges gardiens électroniques pour veiller sur lui. (Ces temps difficiles sont une période bénie pour les fabricants de systèmes de surveillance vidéo. Le principal d'entre eux, une société suédoise, est maintenant le sponsor officiel de l'énorme marathon de Londres.) Enfin, les grands immeubles deviennent de plus en plus sensibles et engrangent une puissance de feu mortelle de plus en plus grande. Le système sensitif d'une tour de bureau moyenne comprend déjà la vision panoptique, la sensibilité aux odeurs, à la température, à l'humidité, au mouvement et, dans certains cas, la surveillance auditive. Certains architectes prédisent maintenant le jour où l'ordinateur de sécurité de l'immeuble pourra automatiquement passer au crible et identifier sa population humaine, puis peut-être même, réagir à ses états émotionnels (peur, panique, etc.) Sans recourir au personnel de sécurité, l'immeuble lui-même gérera les crises mineures (par exemple en faisant sortir les gens dans la rue ou en interdisant l'usage des toilettes) et majeures (en piégeant des cambrioleurs dans un ascenseur). Quand tout le reste aura échoué, l'immeuble intelligent se transformera en un mélange de bunker et de base d'attaque. Quand l'administration fédéral a récemment saisi les avoirs de la Columbia Saving and Loan Association (Caisse d'épargne de Columbia), elle a découvert que son directeur, Thomas Spiegel, avait converti son quartier général de Beverly Hill en une forteresse secrète «à l'épreuve du terrorisme». Outre des capteurs électroniques perfectionnés, un système informatique élaboré qui répertoriait les incidents terroristes à travers le monde, une cache d'armes dans son parking, l'immeuble du 8 900, Wilshire renfermait une très extraordinaire salle de bains de luxe... Le bureau de Tom Spiegel, en plus de ses vitres à l'épreuve des balles, était équipé d'une salle de bains disposant d'une cabine de douche à l'épreuve des basses. Au cas où une alarme se déclenchait, des panneaux secrets s'ouvraient derrière lesquels étaient dissimulés de puissants fusils d'assaut. Zone de tir à vue Au-delà du «survespace» du centre fortifié s'étend le halo des barrios et des ghettos. Si le Gangland du Chicago des années 20 était théorisé comme essentiellement interstitiel dans l'organisation sociale de la ville, la carte des gangs de Los Angeles recouvre aujourd'hui la géographie des classes sociales. C'est pourquoi le cercle intérieur des ghettos reste la zone la plus dangereuse de la ville. La Ramparts Diuision de la police de Los Angeles, qui patrouille juste à l'ouest du centre ville, a régulièrement à enquêter sur plus d'homicides que n'importe quelle autre juridiction du pays. Les environs du MacArthur Park, qui fut autrefois le joyau de la couronne des espaces verts de L.A., sont maintenant une zone de tir à vue, où les dealers de crack et les gangs des rues règlent leurs comptes à coups de fusil à pompe et d'Uzi. Trente personnes y sont mortes en 1990. Suivant leurs propres dires, les détachements d'une police submergée sont dans l'incapacité de retrouver tous les cadavres dans les rues et peuvent encore moins faire face aux cambriolages ordinaires, vols de voitures ou racket des gangs. Dépourvue des ressources et de l'influence politique des quartiers plus opulents, la population désespérée du cercle intérieur ne peut compter que sur elle-même. En dernier recours, les gens s'y sont tournés vers messieurs Smith & Wesson dont les noms, sur beaucoup de portes, suivent la mention «protégé par...» Cependant les propriétaires de ces quartiers sont en train d'instaurer leur propre règne de terreur contre les dealers de drogue et les petits délinquants. Menacés par de nouvelles lois qui autorisent la saisie des biens immobiliers infestés par la drogue, ils embauchent des escouades de gorilles et de mercenaires armés pour << exterminer >> le crime dans leurs immeubles. Le L.A. Times décrivait les aventures fanfaronnes d'une telle équipe dans les zones de Pico Union, Venice et Panorama City (San Fernando Valley). Menée par un «soldat perdu» de 1,90 m et 140 kilos, dénommé David Royball, cette équipe est célèbre chez les propriétaires pour son efficace brutalité... «Royball et son équipe ont interpellé tant de résidents et de squatters pour des faits liés à la drogue, qu'ils ont converti une salle de récréation en centre de rétention où ils maintiennent les personnes arrêtées menottées contre un mur taché de sang.» Royball et son gang ressemblent beaucoup aux matadors, ces tueurs embauchés pour patrouiller dans les quartiers brésiliens et qui, fréquemment, quand la police tourne délibérément le dos, exécutent tant «criminels avérés» que gosses des rues. Hormis la location de gros bras, le centre déshérité donne naissance à une vaste industrie de fabrication de grilles et de barreaux pour la protection des logements. En fait, la plupart des bungalows du cercle intérieur tendent maintenant à ressembler à des cages de zoo. Comme dans un film de George Romero [1], les familles ouvrières doivent maintenant se barricader chaque nuit contre la ville de zombies qui les entoure. Une conséquence inattendue a été la fréquence terrifiante avec laquelle le feu immole des familles entières piégées dans leurs maisons à barreaux. Même les graisseuses baraques à hamburger commencent à distribuer leur marchandise à travers des tourniquets de plastique à l'épreuve des balles. Durant la dernière décennie, les immeubles de béton sans fenêtre, aux murs bruts destinés à décourager les graffiteurs, se sont répandus comme une acné sur le «survespace». A présent, les compagnies d'assurances rendent pratiquement obligatoires, pour la reconstruction de nombreux quartiers, de tels immeubles à uploads/Geographie/ mike-davis-controle-urbain-l-x27-ecologie-de-la-peur.pdf
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- Publié le Nov 03, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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