SBORNÍK PRACÍ FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNĚNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS
SBORNÍK PRACÍ FILOZOFICKÉ FAKULTY BRNĚNSKÉ UNIVERZITY STUDIA MINORA FACULTATIS PHILOSOPHICAE UNIVERSITATIS BRUNENSIS L 17, 1996 LADISLAVA MILIČKOVÁ LE PARLER FRANÇAIS DE BELGIQUE — I. Dans le monde, il arrive souvent que la même langue soit parlée dans plusi- eurs pays à la fois. C’est surtout le cas pour les «grandes» langues, qu’on utilise dans les échanges internationaux, telles que l’anglais, l’espagnol ou le français. Mais en même temps on peut voir que diverses communautés nationales de plu- sieurs pays du monde parlant une variante d’une langue commune prennent de plus en plus conscience de la valeur propre de leur parler. La tendance actuelle ne va plus vers la proscription de tout ce qui distingue le parler d’une région ou d’un pays particulier mais commence à approfondir et à valoriser des traits ori- ginaux des variantes nationales. Même les grammairiens — normativistes ont dû s’incliner devant ce phénomène en admettant qu’il y avait des régionalismes de «bon aloi».1 Cette tendance est moins rapide dans le cas du français que dans celui de l’anglais ou de l’espagnol, étant donné qu’il n’existe pas de pays fran- cophone de même poids que les États-Unis ou les pays de l’Amérique Latine étant en mesure de contrebalancer la force centripète exercée par la métropole. Il faut constater que, jusqu’aux années soixante, il n’existait pas, mise en part la thèse magistrale de Jacques Pohl en 1950,2 de manuel descriptif, substanciel et actuel de belgicismes. Malheureusement ce grand ouvrage (comportant 16 tomes tapés à la machine) n’a jamais été publié. C’est pourquoi il n’a pas attiré une grande attention du public, bien que, étant donné sa grande valeur linguistique, il l’ait bien mérité. Il existe bien, de cette époque-là, quelques études de dimension réduite, mais qui ne traitent en général, que de certains aspects isolés de français en Belgique. Ce n’est que depuis des années soixante-dix qu’on peut voir s’augmenter plus nettement l’intérêt porté au français parlé hors de France. Non qu’on ait ignoré déjà auparavant que le français parlé par plusieurs communautés dans divers pays manifeste certaines particularités, mais on n’y prêtait pas attention. Il exis- 1 Terme introduit par A. Doppagne (cf. Belgicismes de bon aloi, Fond. Ch. Plisnier, Bruxelles, 1979. 2 Cf. Jacques Pohl, Témoignages sur le lexique des parlers français de Belgique, Bruxelles, 1950, (Dissertation phil. U.L.B.) 8 LADISLAVA MILIČKOVÁ tait même ceux qui condamnaient ces particularités parce qu’elles n’étaient pas conformes à la norme. C’était la situation des belgicismes et des canadianismes, si on ne devait rappeler que ces deux exemples. En ce qui concerne la localisation du parler belge, on constate que la Belgique est divisée aujourd’hui en trois régions lingustiques principales: Flandre, région qui se rattache au domaine linguistique néerlandais; Wallonie, région qui se rat- tache au domaine linguistique français; région de Bruxelles, officiellement bi- lingue, mais où les parlers francophones sont aujourd’hui en majorité (75– 80%).3 La Wallonie, elle-même, se divise en quatre: la Wallonie occidentale (ouest et centre de la province Hainaut) correspondant au domaine du dialecte picard; la Wallonie centrale (est du Hainaut, Brabant wallon, province de Namur, nord de la province de Luxembourg) correspondant au domaine du wallon namurois et de l’ouest-wallon (ou wallo-picard); la Wallonie orientale (province de Liè- ge) correspondant au domain du wallon liégeois; la Wallonie méridionale (cen- tre et sud de la province de Luxembourg) correspondant au domaine du sud- wallon (wallo-lorrain) et du lorrain.4 Or, cette localisation ne peut être prise littéralement; c’est-à-dire que les Wal- lons installés à Bruxelles gardent leurs habitudes linguistiques; au contraire, les particularités bruxelloises sont en usage dans une partie du Brabant wallon. En général, l’extension d’un fait lexical ne coïncide pas exactement avec une région administrative, naturelle ou dialectale.5 On ne peut traiter du parler de Belgique sans rappeler en bref l’évolution des langues dans l’espace géographique correspondant à l’actuelle Belgique. Les parlers de Wallonie appartiennent dans leur majorité aux parlers romans issus de la langue d’oïl. Cependant le corpus constitué par des mots d’origine germa- nique est assez important et il est rattaché à l’existence d’un substrat germanique (depuis le début de notre ère) et à un adstrat germanique — néerlandais avant tout, mais également allemand (dès le haut Moyen Age). La situation linguistique actuelle en Belgique est due à plusieurs événements historiques importants qui se sont produits aux époques différentes. Les plus an- ciens remontent au premier millénaire avant Jésus-Christ, à la période celtique qui commence par l’arrivée des Gaulois (vers 700 av. J.-C.) vaincus environ un siècle plus tard par les Belges, de langue celtique et en partie germanisés, en provenance de Germanie.6 De leur langue certains mots ont subsisté en français: 3 Il faudrait rappeler, en principe, une petite région de l’est qui appartient au domaine linguis- tique allemand (cantons d’Eupen et de Saint-Vith, village d’arrondissement d’Arlon), mais celle-ci ne fait pas l’objet de cette étude. 4 Cf. L. Remacle, La géographie dialectale de la Belgique romane in Les dialectes de France au Moyen Age et aujourd’hui, Paris, 1972, pp. 311–335; W.Bal et a., Belgicismes, Duculot, Gembloux, 1994, p. 8 5 Cf. W.Bal, op. cit., p.8 6 Cf. G.-H. Daumont, Histoire de la Belgique, 1977, pp. 12 — 13 9 LE PARLER FRANÇAIS DE BELGIQUE — I. chêne, rûche, charrue, dune (du gaulois dûnon = colline), forteresse, etc.7 Ce sont notamment les noms toponymiques qui sont d’origine celtique, surtout ceux dont la forme ancienne se terminait par: -bandum, -briga, -briva, -divum, -dunum, -nantum, -durnum, etc.8 Il reste encore aujourd’hui des villes et des communes dont le nom est d’origine celte, p.ex. Arlon, Dinant, Visé, Gembloux.9 Les tribus celtes et germaniques qui se sont infiltrées à ce territoire dès la fin du IIe siècle av. J.-C., ont été soumises par César et c’est à cette époque-là qu’une première ébauche de la frontière linguistique commence à se former. Toute la partie du sud de la province romaine a été soumise à un processus de romanisation, alors que la moitié nord est restée germaine. Les Belges ont été vaincus par César, mais ils n’ont pas disparu de ce terri- toire. Au fur et à mesure qu’ils se romanisaient, ils commençaient à former la communauté gallo-romaine. La romanisation totale du Brabant wallon remonte au VIIe siècle.10 La présence romaine culmine à la première moitié du IIe siècle.11 Plus tard, ce sont les invasions germaniques qui ont influencé la population romaine, ou plu- tôt gallo-romaine, notamment les Francs saliens12 dont le parler est caractérisé de proto-néerlandais13 et qui, en 431 se sont mis à conquérir la Gaule. Au Ve siècle ils forment déjà une population relativement stable. Après la colonisation franque des Ve — VIe siècles apparaissent, à côté des toponymes d’origine latine ou celtique (Waulsort, Dinant, Dison, Elouges) des toponymes wallons d’origine franque, caractérisés p. ex. par le suffixe -iaca, et dérivés d’abord (au VIIe et VIIIe siècle) de noms de lieu au suffixe -ium: Huy de Huium (=ruisseau clair), Reng de Rinium (= le cours d’eau). Plus tard apparais- sent des toponymes avec suffixes -iaca, dérivés des noms propres germains: Russeignes (de Rociniacas), Dottigny (de Dottiniacas), Willerzie (de Williricia- cas).14 Les toponymes francs ont été formés dans le Sud de la Wallonie jusqu’au haut Moyen Age où ils ne cessaient de coexister avec la majorité de toponymes d’origine latine et avec quelques-uns d’origine celtique. Cela confirme l’existence de plusieurs îlots francs sur ce territoire même au-delà de l’effondrement de l’Empire romain. 7 Cf. Ch. Bruneau. Petite histoire de la langue française, t. I., Paris, 1969, pp. 11 — 14 8 Maurice Bologne, Petit guide étymologique des noms des régions, des villes, des villages et des rivičres de Wallonie, Marcinelle, 1970, p. 9 9 Cf. François Massion, Dictionnaire des belgicismes, Teil 1/ A — K, Verlag Peter Lang, Frankfurt a/ Main, 1987 10 Ibid., p. 8 11 Le plus grand nombre des vestiges romains a été découvert dans le triangle Tournai — Ton- gres — Arlon, correspondant en gros à la région wallone actuelle. 12 Ils sont à l’origine de la fameuse loi salique. 13 Cf. Jean Musset, Les invasions — les vagues germaniques, Paris, 1969, p. 53 14 Cf. Fr. Massion, op. cit., p. 11 10 LADISLAVA MILIČKOVÁ En dehors de ces toponymes c’est surtout dans le parler de la Wallonie qu’on trouve le plus nettement les traces romaines ainsi que celles des substrats cel- tique et germanique. En ce qui concerne les origines de la frontière linguistique dont la forme ac- tuelle est presque telle qu’elle avait existé autrefois, on en présente trois thèses aujourd’hui:15 La première thèse explique la limite de la colonisation franque par l’impossi- bilité de franchir la Forêt charbonnière qui bordait la partie centrale d’un axe fortifié romain reliant Boulogne à Cologne en passant par Bavai.16 Mais il a été prouvé que cette Forêt charbonnière, qui n’existe plus aujourd’hui, ne s’étendait pas parallèlement à la frontière linguistique, mais verticalement, suivant un axe nord-sud. C’est pourquoi cette thèse a été abandonnée au profit d’une autre qui supposait l’existence d’un système de défense — le limes belgicus — à la limite sud uploads/Geographie/ milickova.pdf
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- Publié le Nov 05, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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