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Tous droits réservés © Collectif Liberté, 1963 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 24 oct. 2021 21:24 Liberté La vie agonique Gaston Miron Le mouvement laïque… deux ans après Volume 5, numéro 3 (27), mai–juin 1963 URI : https://id.erudit.org/iderudit/30228ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Collectif Liberté ISSN 0024-2020 (imprimé) 1923-0915 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Miron, G. (1963). La vie agonique. Liberté, 5(3), 210–221. GASTON MIRON La vie agonique En étrange pays dans mon pays lui-même. Aragon TRISTESSE, O MA PITIE, MON PAYS Blanc, muet, nulle part et effaré, vaste fantôme il est triste et pêle-mêle dans les étoiles tombées Il est un pays seul avec lui-même et vents et rocs un pays que jamais ne rejoint le soleil natal En lui beau corps s'enfouit un sommeil désaltérant pareil à l'eau dans la soif vide des graviers Je le vois à la bride des hasards et des lendemains Il affleure dans les songes des hommes de peine quand il respire en vagues et sous-bois de fougères quand il brûle en longs peupliers d'oubli et d'années l'inutile chlorophylle de son amour sans destin quand gît à son coeur de misaine un désir d'être Il attend, prostré, on ne sait quelle rédemption parmi les paysages qui marchent en son immobilité parmi des haillons de silence aux iris de mourant Il a toujours ce sourire échoué du pauvre avenir avili Il est toujours à sabrer les pagaies de l'ombre l'horizon recule devant lui en avalanches de promesses démuni, il ne connaît qu'un espoir de terrain vague qu'un froid de jonc parlant avec le froid de l'os le malaise de la rouille, l'à-vif, les nerfs, le nu dans son large dos pâle les coups de couteaux cuits Il vous regarde, exploité, du fond de ses carrières et par à travers les tunnels de son absence, un jour n'en pouvant plus y perd à jamais la mémoire d'homme LA VIE AGONIQUE 211 Les vents qui changent les sorts de place la nuit vents de rendez-vous, vents aux prunelles solaires vents telluriques, vents de l'âme, vents universels vents accouplez-vous ,et de vos bras de fleuve enserrez son visage de peuple détruit, donnez-lui la chaleur et la profuse lumière des sillages d'hirondelles 1954 POUR MON RAPATRIEMENT Homme aux labours des brûlés de l'exil selon ton amour aux mains pleines de rudes conquêtes selon ton regard arc-en-ciel arc-bouté dans les vents en vue de villes et d'une terre qui te soient natales je n'ai jamais voyagé vers autre pays que toi mon pays un jour j'aurai dit oui à ma naissance j'aurai du froment dans les yeux je m'avancerai sur un sol, ému, ébloui par la pureté de bête que soulève la neige un homme reviendra d'en dehors du monde 1951 LES SIECLES DE L'HIVER Le gris, l'agacé, le brun, le farouche tu craques dans la beauté fantôme du froid dans les marées de bouleaux, les confréries d'épinettes, de sapins et autres compères parmi les rocs occultes et parmi l'hostilité 212 LIBERTE pays chauve d'ancêtres, pays tu déferles sur des milles de patience à bout en une campagne affolée de désolement en des villes où ta maigreur calcine ton visage nous nos amours vidées de leurs meubles nous comme empesés d'humiliation et de mort et tu ne peux rien dans l'abondance captive et tu frissonnes à petit feu dans notre dos SAUVE QUI PEUT Chacun ses pas dans ses pieds chacun ses larmes au large des yeux chacun sa main dans l'aumône son mal de poudrerie dans ses désirs son mal de nébuleuse dans ses pensées au repas chacun sa dent chacun son cou dans l'amour chacun, chacun chacun ses os au cimetière 1956 1954 LA VIE AGONIQUE TÊTE DE CABOCHE Une idée ça vrille et pousse l'idée du champ dans l'épi de blé au coeur des feuilles l'idée de l'arbre qui va faire une forêt et même, même forcenée, l'idée du chiendent c'est dans l'homme tenu sa tourmente aiguisée sa brave folie grimpante à hue, et à dia Non, ça n'déracine pas ça fait à sa tête de travers cette idée-là, bizarre! qu'on a tête de caboche, ô liberté 213 1955 L'HOMME AGONIQUE Jamais je n'ai fermé les yeux, au grand jamais malgré les vertiges sucrés des euphories, même quand mes yeux sentaient le roussi, et même en butte aux rafales montantes du sommeil — Car je trempe jusqu'à la moelle des os jusqu'aux états d'osmose incandescents dans la plus noire transparence de nos sommeils Tapi au fond de moi tel le fin renard alors je me résorbe en jeux, je mine et parade ma vérité, le mal d'amour, et douleurs et joies Et je m'écris sous la loi d'émeute je veux saigner sur vous par toute l'affection j'écris, j'écris, à faire un fou de moi à me faire le fou du roi de chacun volontaire aux enchères de la dérision mon rire en volées de grelots par vos têtes en chavirées de pluie dans vos jambes 214 LIBERTÉ Mais je ne peux me déprendre du conglomérat je suis le rouge-gorge de la forge le mégot de survie, l'homme agonique Un jour de grande détresse à son comble je franchirai les tonnerres des désespoirs je déposerai ma tête exsangue sur un meuble ma tête grenade et déflagration sans plus de vue, non plus que de vie, j'irai vers ma mort peuplée de rumeurs et d'éboulis je retrouverai ma nue propriété 1958 LA BRAISE ET L'HUMUS Rien n'est changé de mon destin ma mère mes camarades le chagrin luit toujours d'une mouche à feu à l'autre je suis taché de mon amour comme on est taché de sang cet amour mon amour fait mes murs à perpétuité un goût d'années d'humus aborde à mes lèvres je suis malheureux plein ma carrure, je saccage la rage que je suis, l'amertume que je suis par ce boeuf de douleurs qui souffle dans mes côtes c'est moi maintenant mes yeux gris dans la braise c'est mon coeur obus dans les champs de tourmente c'est ma langue dans les étages des nuits de ruche moi cet homme au galop d'âme et de poitrine en râles je vais mourir comme je n'ai pas voulu finir mourir seul comme les eaux mortes au loin dans les têtes flambées de ma tête, à la bouche les mots corbeaux de poème qui croassent je vais mourir vivant dans notre empois de mort 1958 LA VIE AGONIQUE 215 LA BATÈCHE (extrait) nous sommes nombreux silencieux raboteux rabotés dans les brouillards de chagrin crus à la peine à piquer du nez dans la souche des misères un feu de mangeoire aux tripes ô nous la tête, nous la tête un peu perdue pour reprendre nos deux mains ô nous pris de gel et d'extrême lassitude la vie se consume dans la fatigue sans issue la vie en sourdine et qui aime sa complainte aux yeux d'angoisse travestie de confiance naïve à la rétine d'eau pure dans la montagne natale la vie toujours à l'orée de l'air toujours à la ligne de flottaison de la conscience au monde la poignée de porte arrachée ah sonnez crevez sonnailles de vos entrailles riez et sabrez à la coupe de vos privilèges grands hommes, classe écran, qui avez fait de moi le sous-homme, la grimace souffrante du cro-magnon l'homme du cheap way, l'homme du cheap work le damned Canuk seulement les genoux seulement le ressaut pour dire 1954-58 ET L'AMOUR MÊME EST ATTEINT Dans l'envol d'un espace baigné d'eaux médiantes dans le cours d'une nostalgie rauque et basse recouverte et découverte par les étrangs mes yeux sont ancrés dans le sort du monde mon amour je te cherche dans l'aboli toi ô solitude de trille blanc dans le mai des bois je veux te posséder en même temps que ma vie mes gestes sont pleins de blessures mes pleins poignets de compassion 216 LIBERTÉ je pioche mon destin de long en large dans l'insolence et la patience et les lentes interrogations giratoires de ma vie le dû d'un homme de l'amour de rien ô dérision mais toi quels yeux as-tu dans les feuillages de bulles de hublots de pépites de geai bleu ou de jaseur des cèdres quel coeur effaré de chevreuse en fuite si c'est ton visage au loin posé comme un phare me voici avec mon sang de falaise et d'oriflammes de toutes mes lèvres venteuses sur les terres de toute la force échevelée de mes errances car déjà le monde tourne sur ses gonds la porte tournera sur ses fables et j'entends ton rire de bijoux consumés dans le lit où déferle les printemps du uploads/Geographie/ miron-g-1963-la-vie-agonique.pdf

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