Chapitre I : La création du monde. Introduction Les textes grecs reconstituant

Chapitre I : La création du monde. Introduction Les textes grecs reconstituant la création du monde forment une genèse (γένεσις, genesis), littéralement « origine, naissance », tiré de la racine du verbe γίγνομαι (gignomai) « devenir », le premier verbe par lequel Hésiode décrit la naissance de Chaos, le premier des dieux, v. 116 : πρώτιστα Χάος γένετο, « en premier naquit le Chaos ». Il s’agit de reconstituer, par le raisonnement logique uniquement, la façon dont le monde observable par l’homme a pu être créé, et l’ordre dans lequel les principaux éléments ont pu en naître. Les éléments du monde sont représentés de façon allégorique par des divinités (la terre, le ciel, les montagnes….). L’ensemble du processus de création du monde est appelé cosmogonie, κοσμογονία « naissance du cosmos (κόσμος) » qui est en grec le monde organisé (pas l’espace intergalactique). Le deuxième élément, -gonie, « naissance » provient de la racine de γίγνομαι. Il n’y a pas un seul mythe de cosmogonie, mais plusieurs, de même que dans la Bible il y a deux récits quelque peu différents de la Genèse (sur l’existence des variantes, voir l’introduction). Nous étudierons principalement la cosmogonie d’Hésiode, qui est la plus détaillée et pratiquement la seule dont on dispose dans la littérature grecque, puis nous comparerons avec celle d’Homère et celle des Οrphiques, sur lesquelles nous sommes moins renseignés faute de textes conservés. Cette création, chez Hésiode, commence par la mise en place des premiers éléments du monde, puis se poursuit à travers la naissance des Titans, qui constituent la première génération des dieux royaux, enfin l’ordre du monde est mis définitivement en place par l’accession au pouvoir de Zeus. Hésiode est un aède grec que l’on date de la fin du VIIIème siècle av. J.-C. Les Grecs étaient persuadés qu’il était contemporain d’Homère, et imaginaient qu’avait eu lieu une joute poétique entre Hésiode et Homère, mais nous ne pouvons nous prononcer ; pour une définition du mot aède, voir ci-dessus, « transmission des mythes ». Hésiode ne livre dans son œuvre que peu de détails biographiques : originaire d’Ascra, près de Thespies en Béotie, où son père était revenu après être allé chercher fortune en Ionie (à Cumes en Éolide, de l’autre côté de la mer Egée1), il affirme avoir gagné le premier prix du concours de poésie de Chalcis (en Eubée). Il a laissé deux poèmes en vers, la Théogonie (« naissance des dieux »), et Les Travaux et les jours. La Théogonie appartient au genre de l’épopée, comme l’Iliade et l’Odyssée : son style et son vers (l’hexamètre dactylique) se rapprochent de ceux d’Homère ; le héros en est Zeus. La Théogonie est à la fois une généalogie des dieux, avec des listes de générations, et un récit expliquant la manière dont Zeus a réussi à établir son autorité sur le cosmos. Les Travaux et les jours, en revanche, appartiennent à la poésie didactique, l’ouvrage est adressé à son frère Persès, qui possède une petite exploitation, pour l’aider à faire fructifier ses terres ; la description poétique des travaux agricoles est interrompue par des mythes (création de la femme, mythe des races). 1 Kyme sur la carte. La Théogonie a été dictée à Hésiode par les Muses, dit-il, selon une habitude propre au genre épique : « Ce sont elles qui à Hésiode un jour apprirent un beau chant, alors qu’il faisait paître ses agneaux au pied de l’Hélicon divin » (v. 22-23) ; et v. 114-115 : « Contez-moi ces choses, ô Muses, habitantes de l’Olympe, en commençant par le début, et de tout cela, dites- moi ce qui fut en premier ». Les Muses sont, selon Hésiode, les neuf filles de Zeus et de Mnémosyne (« la mémoire »), qui patronnent les arts : Clio (histoire), Euterpe (flûte), Thalie (comédie), Melpomène (tragédie), Terpsichore (poésie légère, danse), Erato (chant), Polymnie (pantomime), Uranie (astronomie), Calliope (poésie épique). La Théogonie est donc un poème qui a pour source d’inspiration la mémoire ; les mythes que rapporte Hésiode existaient avant lui, il ne les a pas inventés. A-t-il écrit ses œuvres, ou les a-t-il composées de mémoire ? La question est débattue, comme pour Homère (voir A. Schnapp-Gourbeillon, Aux origines de la Grèce). L’écriture alphabétique grecque, dont le principe et les signes sont empruntés à l’écriture phénicienne, est bien attestée (sur des tessons) à partir du VIIIème siècle, c’est donc possible. I. La cosmogonie hésiodique. A. Le texte grec : Hésiode, Théogonie, vers 116-210 : ἤτοι μὲν πρώτιστα Χάος γένετ’· « Donc, avant tout, naquit Abîme (Chaos), puis Terre aux larges flancs (Gaia), universel séjour à jamais stable des Immortels, maîtres des cimes de l’Olympe neigeux et des étendues brumeuses du Tartare, au fin fond du sol aux larges routes2, et Amour (Eros), le plus beau parmi les dieux immortels, 2 Le sens de ce vers 119 a été extrêmement débattu, pour savoir si le Tartare faisait ou non partie des premières entités créées. Il semble que non, et que son évocation fasse juste pendant à celle de l’Olympe ; il est la résidence des dieux Titans comme l’Olympe est la résidence des dieux Olympiens. Hésiode écrit le mom Tartare au pluriel celui qui rompt les membres et qui, dans la poitrine de tout dieu comme de tout homme, dompte le cœur et le sage vouloir. D’Abîme naquirent Erèbe (Erebos) et la noire Nuit (Nyx). Et de Nuit, à son tour, sortirent Ether (Aither) et Lumière du jour (Héméra), qu’elle conçut et enfanta unie d’amour à Erèbe. Terre, elle, d’abord enfanta un être égal à elle-même, capable de la couvrir tout entière, Ciel étoilé (Ouranos), qui devait offrir aux dieux bienfaisants une assise sûre à jamais. Elle mit aussi au monde les hautes montagnes, plaisant séjour des déesses, les Nymphes, habitantes des monts vallonnés. Elle enfanta aussi la mer limpide aux furieux grondements, Flot (Pontos) –sans l’aide du tendre amour. Mais, ensuite, des embrassements de Ciel, elle enfanta Océan aux tourbillons profonds, Coios, Crios, Hypérion, Japet, Théia, Rhéia, Thémis et Mnémosyne, Phoibé, couronnée d’or, et l’aimable Téthys. Le plus jeune après eux, vint au monde Cronos, le dieu aux pensers fourbes, le plus redoutable de tous ses enfants ; et Cronos prit en haine son géniteur vigoureux. Elle mit aussi au monde les Cyclopes au cœur violent, Brontès, Stéropès, Arghès à l’âme brutale, qui donnèrent à Zeus le tonnerre et lui fabriquèrent la foudre ; ceux-là, en vérité, étaient en tout pareils aux dieux, si ce n’est qu’un seul œil était placé au milieu de leur front. « Yeux ronds » (Cuclopes) : tel était le nom qu’on leur donnait, nom parlant, puisqu’aussi bien un œil tout rond, un seul, s’ouvrait sur leur front. Vigueur, violence et stratagèmes étaient dans tous leurs actes. D’autres fils naquirent encore de Ciel et Terre, trois fils, grands et forts, qu’à peine on ose nommer, Cottos, Briarée, Gyès, enfants plein d’orgueil. Ceux-là avaient chacun cent bras, qui jaillissaient de leurs épaules (mieux vaut ne pas les représenter, ἄπλαστοι), ainsi que cinquante têtes, attachées sur l’épaule à leurs corps vigoureux. Et redoutable était la puissante vigueur qui complétait leur énorme stature. Car c’étaient de terribles fils que ceux qui étaient nés de Terre et Ciel, et leur père les avait en haine depuis le premier jour. A peine étaient-ils nés qu’au lieu de les laisser monter à la lumière, il les cachait tous (apokruptaske ἀποκρύπτασκε) dans le sein de Terre, et tandis que Ciel se complaisait à cette œuvre mauvaise, l’énorme Terre en ses profondeurs gémissait, étouffant. Elle imagine alors une ruse perfide et cruelle. Vite, elle crée la race (genos) de l’acier gris ; elle en fait une grande serpe, puis s’adresse à ses enfants, et, pour exciter leur courage, leur dit, le cœur indigné : « Fils issus de moi et d’un furieux, si vous voulez m’en croire, nous châtierons l’outrage criminel d’un père, tout votre père qu’il soit, puisqu’il a le premier conçu œuvres infâmes ». Elle dit ; la terreur les prit tous, et nul d’entre eux ne dit mot. Seul, sans trembler, le grand Cronos aux pensers fourbes réplique en ces termes à sa noble mère : « C’est moi, mère, je t’en donne ma foi, qui ferai la besogne. D’un père qui porte si mal ce nom je n’ai point de souci, tout notre père qu’il soit, puisqu’il a le premier conçu œuvres infâmes ». Il dit, et l’énorme Terre en son cœur sentit grande joie. Elle le cacha, le plaça en embuscade, puis lui mit dans les mains la grande serpe aux dents aiguës (karkharodonta) et lui enseigna tout le piège. Et le grand Ciel vint, amenant la nuit ; et, enveloppant Terre, tout avide d’amour, le voilà qui s’approche et s’épand en tout sens. Mais le fils, de son poste, étendit la main gauche, tandis que, de la droite, il saisissait l’énorme, la longue serpe aux dents aiguës ; et brusquement, il faucha les bourses de son père, pour les jeter ensuite au hasard, derrière lui. Ce ne uploads/Geographie/ mythologie-cours-1.pdf

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