Hommes et Migrations Nouvelles formes d'esclavage parmi les Chinois récemment a

Hommes et Migrations Nouvelles formes d'esclavage parmi les Chinois récemment arrivés en France Gao Yun, Véronique Zhang-Poisson Résumé Cet article a pour objectif de mettre en valeur certains témoignages sur la situation des Chinois nouvellement arrivés en France (depuis moins de quatre ans), sans statut juridique, et de faire la lumière sur une zone extrêmement sensible du parcours migratoire : le voyage entre la Chine et le pays de destination (dont on sait depuis Douvres qu'il peut s'apparenter à du transport de chair humaine), et la période de remboursement de la dette durant laquelle le migrant, dans certains cas, peut travailler dans des conditions s'apparentant aux nouvelles formes d'esclavage. Citer ce document / Cite this document : Yun Gao, Zhang-Poisson Véronique. Nouvelles formes d'esclavage parmi les Chinois récemment arrivés en France. In: Hommes et Migrations, n°1254, Mars-avril 2005. Chinois de France. pp. 29-44; doi : https://doi.org/10.3406/homig.2005.4320 https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2005_num_1254_1_4320 Fichier pdf généré le 27/02/2019 Nouvelles formes d'esclavage parmi les Chinois récemment arrivés en France Cet article a pour objectif de mettre en valeur certains témoignages sur la situation des Chinois nouvellement arrive's en France (depuis moins de quatre ans), sans statut juridique, et de faire la lumière sur une zone extrêmement sensible du parcours migratoire : le voyage entre la Chine et le pays de destination ( dont on sait depuis Douvres qu'il peut s'apparenter à du transport de chair humaine), et la pe'riode de remboursement de la dette durant laquelle le migrant, dans certains cas, peut travailler dans des conditions sapparentant aux nouvelles formes d'esclavage. En 2003, un département de l'Onu, le Bureau international du travail (BIT) initie une mission de terrain sur les nouvelles formes contempo¬ raines d'esclavage. L'idée est novatrice puisque l'étude ne se portera pas vers un pays en voie de développement, mais à notre porte, en France : à Paris et dans sa proche banlieue. Pour un sujet aussi vaste, le thème est circonscrit aux migrants chinois. Estimés entre 170 000 et 200 000(2), ils forment, en France, la plus importante population chinoise® d'Europe. (Si cet article est constitué à partir de plusieurs matériaux bruts recueillis au cours de la mission, il ne reflète cependant en rien la posi¬ tion du BIT et il est encore moins un extrait du rapport final.) En France et en Chine, les Chinois sont surreprésentés dans cer¬ taines niches économiques telles que le textile, la restauration et la maroquinerie. Dans ces secteurs, la non-application de la loi quant aux conditions de recrutement et de travail de la main d'œuvre s'est trans¬ formée en pratique courante. L'autre tenant de ce marché du travail échappant partiellement au respect de la législation est lié aux conditions d'arrivée de ces migrants. En effet, ce qui fonde la vulnérabilité et la présence de ces travailleurs dans ces secteurs de l'économie informelle est lié à leur statut juridique de clandestin. Venus de manière illégale, il leur est impossible d'obtenir une carte de séjour une fois dans le pays de desti¬ nation. De plus, leurs parcours se déroulent parfois dans des situations contraires à la dignité humaine : violences, pressions physiques et psy¬ chologiques, séquestration peuvent advenir lors de leur transport, les transformant en victimes de trafic humain. Sur ces deux volets (formes extrêmes d'exploitation par le travail et transport de marchandise humaine), nous apporterons plusieurs témoi¬ gnages choisis parmi cinquante-neuf entretiens semi-directifs et concer- par Gao Yun, BIT, Genève (Suisse) et Véronique Poisson, docteur en sciences sociales, EHESS D'après une enquête menée par le département SPL(1) du Bureau international du travail (BIT) 1)- Spécial Action Programme Combat Forced Labour. 2)- D'après l'analyse, par Emmanuel Ma Mung, du recensement de 1999, incluant 91 197 étrangers ressortissants du Cambodge, du Laos, du Viêtnam et de la république populaire de Chine et 138 967 Français par acquisition. Ces données n'incluent pas les personnes venues irrégulièrement, que les services de la préfecture évaluent entre 30 et 50 000. 3)- Par le terme "Chinois", nous désignons toute personne ayant des ascendants directs chinois. Cette définition inclut les Chinois (ou "ethnie chinese", comme le précise Emmanuel Ma Mung) qui ont vécu dans le Sud-Est asiatique. i Chinois de France A 29 Illustration non autorisée à la diffusion nant différents foyers migratoires : les plus largem groupes des Zhejiang, des Dongbei et des Fujian de représenter la diversité des origines géograp ont été sélectionnées en fonction des critères de vail forcé et de la vulnérabilité. Outre le statut j dettement, sont à prendre en compte également d'identité, les violences physiques et morales, la atteintes aux libertés de mouvements, les condit à la dignité humaine, les salaires retenus ou droits et des dispositifs d'assistance, les difficult Notons également qu'en commençant l'en pas si nous allions trouver des situations rép formes extrêmes de l'exploitation (avec les venons de les préciser). Nous ne savions pas allaient suffire pour élaborer des relations de traient aux victimes de se livrer et de parler de loureux de leurs parcours. Seul le recours à comme des associations, des collectifs ou des permis de recueillir des témoignages en confia En trois mois, sur les cinquante-six entre principalement à Belleville, une quinzaine rele vage contemporain. Nous avons donc consta n'était pas ténue mais flagrante. La loi du silence Du côté de la société d'accueil, le silence est le plus souvent perçu comme un repli communautaire et un trait culturel des Chinois. "Ils ne font pas de bruit", "ils sont travailleurs ", "ils règlent tout entre eux", "ils sont discrets entend-t-on le plus souvent. Cette attitude, dans le cadre précis de notre étude, couvre les premières années de la vie du migrant en France. Pendant cette période, ie migrant rembourse sa dette dans un "sas communautaire"(4) indispensable, car, ne parlant pas le français, n'ayant pas de titre de séjour, sa seule possibilité est de travailler auprès de compatriotes qui sont dans les secteurs informels de l'économie. Cette invisibilité - qui est l'objet même de notre étude - agirait comme un voile permettant de masquer la réalité : le travail des moins de 18 ans, y compris des enfants, la prostitution, le trafic humain, les conditions de travail contraires à la dignité humaine. Cependant, les témoignages qui sui¬ vent montrent que la loi du silence est un des maillons huilés d'une organisation. Elle se structure autour de la menace, la vulnérabilité, la clandestinité, les pressions physiques et psychologiques, autant de ficelles à tirer pour les détracteurs des migrants (les employeurs et les passeurs). Force est, d'ailleurs, de constater que, pour le courant migratoire centenaire du Zhejiang, seules les dernières vagues migra¬ toires font l'objet d'une attention et d'une visibilité médiatique. Les deuxième, troisième voire quatrième générations de ce groupe régional ne se revendiquent ni ne se sentent appartenir à une communauté : elles souhaitent, au contraire, se départir d'un ensemble de présuppo¬ sés liés aux dernières vagues et qui concernent les sans-papiers, d'un ensemble de pratiques illégales en provenance de la campagne chi¬ noise dont elles se sentent éloignés à plein d'égards. Ce vide historique dans notre mémoire, l'oubli que l'histoire des migrations entre la Chine et la France est centenaire, composée de vagues migratoires de foyers géographiques très différents, est aussi une des raisons qui nous laisse croire que l'on peut regrouper ensemble une personne née en France, ses grands-parents venus dans les années trente, les boat people, les deuxième et troisième générations, etc. Cette position est identique chez les Chinois originaires du Sud-Est asiatique, venus dans les années quatre-vingt et que l'on a nommé les "boat people", qui pour la plupart n'ont jamais mis les pieds en Chine tout en connaissant cependant la langue de leurs ancêtres. D'ailleurs, il a suffi de lire la presse entre septembre et décembre 2004 pour avoir une illustration de ces diversités régionales qui composent les Chinois de France. En effet, à la découverte de plusieurs tonnes de nourritures avariées cen- Leur niveau de vulnérabilité se définit par leur non-accès aux dispositifs de droit commun, fait de leur absence de statut juridique. 4)- La fonction du "sas communautaire" est communément décrite dans l'histoire des migrations (quelle que soit l'origine régionale du migrant), elle n'est absolument pas propre aux Chinois. 5)-Suite à un reportage diffusé sur France 2 dans l'émission "Envoyé spécial", le 16 septembre 2004, sur les dysfonctionnements des chaînes de froid et la non-application des normes sanitaires de la nourriture dans certains magasins chinois, la presse a relayé un ensemble d'articles qui auraient eu une incidence immédiate sur le taux de fréquentation des restaurants chinois en France. 6)- Il est à noter que, lors des rencontres avec les institutions concernées par l'esclavage moderne, à plusieurs reprises, la situation des Pakistanais et des Thaïlandais a été soulevée dans les emplois saisonniers. sées alimenter des restaurants chinois®, plusieurs représentants d'as¬ sociations chinoises et de particuliers ont pris la parole pour clamer bien fort qu'il ne s'agissait pas "d'euoc" mais "des autres". Notre objet d'observation, lui, est ciblé puisqu'il concerne des per¬ sonnes non-francophones arrivées depuis moins de quatre ans en France, originaires de Chine populaire® et dont le niveau uploads/Geographie/ nouvelles-formes-d-x27-esclavage-parmi-les-chinois-re-cemment-arrive-s-en-france.pdf

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