Joel Sternfeld, A Railroad Artifact, 30th Street, May 2000, de la série Walking
Joel Sternfeld, A Railroad Artifact, 30th Street, May 2000, de la série Walking the High Line, New York City, publié en 2002, c-print, 100x127 cm PAYSAGES Support de cours, textes Nassim Daghighian 2 TABLE DES MATIÈRES I. La notion de paysage : repères historiques et définitions 3 1. Le mythe pré-moderne : la fusion homme-nature et le lien sacré au divin 3 Proto-paysage antique 3 Proto-paysage médiéval 3 2. L'époque moderne : la naissance du paysage en occident et la transition paysagère 4 L'invention du paysage à la Renaissance : invention ou découverte ? 4 Structuration et perception du paysage : l'horizon du sujet et la nature faite spectacle 5 Le paradigme moderne classique 6 La transition paysagère : l'évolution des paysages du 15e au 19e siècle 6 Codes esthétiques de la peinture dont la photographie a hérité au 19e siècle 7 Premières photographies de paysages, sites et monuments : évolution technique 8 La montagne, du "pays affreux" au "sublime paysage" : invention d'un paysage au 18e s. 10 La fascination pour l'Orient, photographie de voyage et recherches archéologiques 13 La photographie moderne : la période des avant-gardes (1910'-1940'), Groupe F/64 18 3. La crise postmoderne : mort du paysage ? Quelles perspectives au-delà du paysage ? 19 U.S.A. : du Land Art à la prise de conscience écologique 20 Non-lieux : texte de Marc Augé 21 II. Théories et esthétique du paysage 28 1. Les notions clés : le paysage comme "poly-système" 29 2. Esthétique du paysage : les enjeux philosophiques 31 3. Géographie culturelle : une approche globale III. Pratiques artistiques et photographiques contemporaines Section à venir… voir quelques exemples dans le support "Paysage, images". IV. Bibliographie (ouvrages théoriques) 34 Prière de noter que ce support de cours est une introduction au paysage comme genre artistique. Le texte a été rédigé il y bientôt dix ans et qu'il n'inclut pas les références bibliographiques récentes sur le paysage dans la photographie contemporaine. Prière de consulter la bibliographie générale. 3 I. LA NOTION DE PAYSAGE : REPÈRES HISTORIQUES ET DÉFINITIONS "La question, c'est que le mot « paysage » est ambigu par son fondement sémantique même, et que, dans l'usage ordinaire, le besoin de distinguer ne s'y fait justement pas sentir." 1 Chine et invention du paysage Bien avant l'Occident, dès le 4e siècle au moins, la Chine a inventé le paysage selon 4 critères : 1) linguistique : shanshui (montagne-eau), motifs paysagers ; fengjing (vent-scène), ambiance du p. 2) représentations littéraires nombreuses, intellectuelles et à vocation spirituelle (yin/yang) 3) représentations picturales : le paysage (au lavis) est un genre majeur (influence du taoïsme) 4) paysagisme : l'art des jardins est très élaboré (ex. jardin de Kublaï Khan admiré par Marco Polo) Le paysage en Occident La transformation problématique des rapports complexes entre homme/société/nature/artifice en Occident peut s'étudier à travers trois grandes périodes : 1. pré-moderne : de l'Antiquité au Moyen-âge, donc jusqu'au 14e siècle " proto-paysage " 2. moderne : de la Renaissance à la Révolution industrielle, 15e au 19e s. paysage moderne 3. postmoderne : du 20e siècle à aujourd'hui (prémices dès la fin du 19e s.) crise du paysage 1. LE MYTHE PRÉ-MODERNE : FUSION HOMME-NATURE ET LIEN SACRÉ AU DIVIN PROTO-PAYSAGE Avec une certaine nostalgie des origines, un regard rétrospectif sur les sociétés occidentales dépourvues de la notion de paysage tend à construire un mythe de la fusion harmonieuse entre l'homme et la nature, avec un lien sacré magique au surnaturel ou un lien religieux au divin (culte). Dans ce mythe, la nature est le véritable "sujet" ; l'homme ne se démarque pas encore comme individu, il s'identifie à la nature et voit en celle-ci la création de Dieu ou des dieux. Ces sociétés n'ont pas conscience du paysage en tant que tel mais il existe nécessairement un rapport visuel entre les êtres humains et leur environnement, on peut alors parler de proto-paysage. 2 Proto-paysage antique La littérature de la Grèce antique montre déjà une sensibilité paysagère dans les descriptions bucoliques de jardins et de nature, qui font souvent appel à des archétypes. De nombreux vases attiques comportent des motifs paysagers peints. De même chez les Romains, la poésie de Virgile comme les fresques de la Rome impériale et aristocratique comportent des descriptions de paysages. Il manque cependant encore un mot spécifique et une conceptualisation du paysage. topos : lieu, endroit, place ; pays, territoire, localité ; distance, portée ; sujet, matière d'un discours chôra : la campagne (opposé à urbis, la ville) ; espace de terre limité et occupé par qqn ou qqch. ; espace de pays, contrée, sol multiples significations mais sens proche de "paysage" Proto-paysage médiéval Le paysage est pratiquement absent de la Bible mais l'art du jardin y est présent (ex. Babylone) ; le jardin médiéval (frais, paisible, nourricier) préfigure le paysage de campagne (fin du Moyen-âge). hortus : jardin en latin, enclos, espace fermé, séparé, intérieur, cultivé par l'homme pour son plaisir, loin de tout propos utilitaire immédiat ; espace de l'ordre opposé au chaos de la nature sauvage ; renvoie aussi à un espace sacré, à un lieu idéal paradigmatique : Paradis, Éden, jardin des délices. Saint Augustin (354-430), premier grand philosophe chrétien du haut Moyen-âge, opère une lecture de la nature à travers les filtres du christianisme et du néoplatonisme médiéval : la théorie du cosmos (théoria=contemplation, cosmos=ordre du monde). Il conseille la contemplation de la Création divine, donc de l'âme, par l'esprit plutôt que par les sens. "Les hommes s'en vont admirer les cimes des montagnes et les flots immenses de la mer et les vastes cours des fleuves et les circuits de l'océan et les révolutions des astres et ils se délaissent eux-mêmes." 3 1 BERQUE, Augustin, Les raisons du paysage. De la Chine aux environnements de synthèse, Paris, Hazan, 1995, p.12 2 Ibidem, chapitre 2 "Civilisations non paysagères" 3 Saint Augustin, Confessions, Livre X, 8 (15), cité in ROGER, Alain, Court traité du paysage, Paris, Gallimard, coll. Bibliothèque des sciences humaines, 1997, p.84 4 2. L'ÉPOQUE MODERNE : NAISSANCE DU PAYSAGE EN OCCIDENT ET LA TRANSITION PAYSAGÈRE L'invention du paysage à la Renaissance PAYSAGE La notion de paysage (re)naît en occident au 15e siècle dans la Renaissance du Nord, avec des prémices en Italie. Quatre types de représentations du paysage apparaissent à la Renaissance 4 : 1) jardinières, paysagistes : présentes dans les jardins médiévaux, elles se développent au 18e s. ; comme les jardins de Babylone et celui du paradis sont déjà présents dans l'Ancien Testament de la Bible, la représentation jardinière est la plus ancienne sensibilité au paysage de l'occident 2) picturales : invention du paysage en Flandre vers 1420 ; les artistes italiens sont les premiers à individualiser les décors de paysage (A.Lorenzetti, début 14e s.) et, sous leur influence, les artistes du Nord ont développé la peinture de paysage jusqu'à en faire un genre indépendant (fin 15e siècle). 3) linguistiques : le mot paysage 5 apparaît dans les dictionnaires bien après l'invention picturale, soit au milieu du 15e siècle, avec une double définition révélant la nature ambiguë de la notion, le paysage étant à la fois la chose et son image, l'environnement physique et sa représentation : - étendue de pays que la nature présente à un observateur ; vue d'ensemble selon un point de vue - tableau représentant la nature et où les figures (hommes, animaux) ne sont qu'accessoires. Le pays est une portion de territoire comprise sous un même nom et délimitée artificiellement ; il est esthétiquement neutre. En français, le mot "paysage" a été inventé à partir de "pays" auquel est ajouté le suffixe – age qui a valeur de collectif et décrit une "appréhension globale d'une réalité." 4) littéraires : la sensibilité poétique à la campagne (fin 14e s.) devient composition paysagère au 16e siècle ; la période classique s'inspire de la littérature poétique gréco-latine (une sensibilité à la nature existait dans l'antiquité mais il semblerait qu'il manquait encore le mot "paysage") "Le paysage, c'est la nature esthétiquement présente, se montrant à un être qui la contemple en éprouvant des sentiments." 6 Invention ou découverte ? Doit-on parler d'invention ou de découverte du paysage ? la première suppose une recherche dans l'inconnu alors que la seconde implique la préexistence de la chose ; d'ailleurs, ne s'agit-il pas plutôt d'une redécouverte ou d'une invention seconde (une renaissance !) en Occident puisque la Chine développe la notion de paysage entre le troisième et le quatrième siècle ? Pourquoi l'invention picturale du paysage a-t-elle lieu au Nord de l'Europe plutôt qu'en Italie, alors que l'artiste Lorenzetti avait déjà fait preuve d'une sensibilité paysagère (début du 14e s.), restée lettre morte ? Deux conditions devaient être remplies : la laïcisation des éléments naturels (désacralisation de la nature grâce à la perspective scientifique qui met à distance et hiérarchise les éléments du paysage sur l'échelonnement des plans) et l'homogénéité de l'ensemble afin de constituer une unité entre la scène et le fond (la perspective atmosphérique est inventée uploads/Geographie/ paysages-textes.pdf
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- Publié le Sep 22, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
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