PROUST DE BERGSON & PROUST DE BROUWER Dans Le Symbole d’Hécate, sous titré Phil

PROUST DE BERGSON & PROUST DE BROUWER Dans Le Symbole d’Hécate, sous titré Philosophie deleuzienne et roman proustien, nous avons montré comment A la Recherche du Temps perdu a effectivement été construite sur une trame donnée dans la théorie bergsonienne de la Mémoire multiple que figure son célèbre cône et que Deleuze appellera la Mémoire-Être. Dans notre communication à l’Académie de Caen sur les clochers de Martinville et de Caen, nous avons ensuite étendu cette explication du roman proustien à la phrase proustienne. Dans l’article intitulé « Proust catégorial » ou « La structure catégoriale de La Recherche du Temps perdu », partant de l’énigme que constitue dans une table des matières, la succession des titres « Noms de pays : le nom » et « Noms de pays : le pays », nous avons proposé comme solution de voir dans A la Recherche du Temps perdu, un paradigme de la théorie mathématique des Catégories1 pour les flèches j : A → X et p : X → A satisfaisant l’équation p ° j = 1A (où A est l’ensemble des Pays et X l’ensemble des Noms de pays). Dans Le symbole d’Hécate et dans la causerie sur les clochers de Martinville, on peut parler d’un Proust de Bergson. Dans le Proust catégorial, Gilberte, Oriane et Albertine sont promues points fixes de la flèche j ° p allant des Noms de pays aux Noms de pays. Et on sait que L.E.J. Brouwer a trahi2 sa philosophie intuitioniste pour démontrer en topologie son célèbre théorème du point fixe qui est un autre paradigme catégorial. Pour cette raison nous dirons que le Proust catégorial est un « Proust de Brouwer ». Etant donné que le Proust de Bergson est une histoire d’objet virtuel X ou Hécate offert, sur les plans superposés qui représentent les Noms de pays dans le cône de Bergson, aux différentes fonctions y = f(X) qui les y attendent, cela de manière à donner dans la nappe inférieure du cône, où se déploie l’axe du temps, les diférentes amours y parmi les Pays, le Proust de Bergson, comme celui de Brouwer, est à sa manière un Proust mathématique. Le but de la présente note est de comparer ces deux versions mathématiques de la Recherche du Temps perdu. A cette fin nous résumerons d’abord la version catégoriale. Nous supposerons que l’ensemble X des noms de pays comprend non seulement les noms comme « Grèce » ou « Angleterre » mais aussi « Hellade » et « Albion » (etc.), de sorte que la flèche p : X → A sera une flèche épique (une fonction surjective) divisant l’ensemble des noms de pays en bouquets, tous les noms qui désignent un même pays formant un bouquet. Si j signifie le choix, pour chaque pays, d’un symbole parmi les noms de pays, alors j : A → X sera une flèche monique (une fonction injective) envoyant deux pays différents dans A sur deux symboles différents dans X. A ceci s’ajoute chez Proust l’association Femme-Pays (à comprendre comme Angleterre - Albion). Cela signifie que parmi les « Noms de Pays », nous trouverons non seulement « Balbec » mais aussi Albertine, non seulement « Combray » mais aussi Gilberte, Albertine étant le symbole de Balbec et Gilberte le symbole de Combray. Par ailleurs, bien entendu, on aura par exemple p(Albertine) = p(« Balbec ») = Balbec. Alors la condition p ° j = 1A signifiera que Gilberte est une fleur dans le bouquet Combray, Albertine une fleur dans le bouquet Balbec, etc. Chaque symbole est envoyé par la fonction p dans le pays qu’il symbolise d’après la fonction j. Cette caractérisation catégoriale a comme intérêt supplémentaire de donner un rôle à la mystérieuse mademoiselle de Stermaria. L’amour pour Mlle de Stemaria ne sera jamais qu’une vélléité. Mais, comme Alberine à Balbec, Mlle de Stemaria est assocée à son île bretonne3. Il faut donc imaginer qu’il y a des milliers de « Mlle 1 Cf. F.W. Lawvere et S.H. Schanuel, Conceptual Mathematics, Cambridge University Press, 1997, pp. 100-102, 117 et 49-51. 2 Cf. Pierre Ageron, Logique, Ensembles, Catégories, Ellipses, 2000, § 1.4 : « Il semble qu’il y ait là une sorte de schizophrénie scientifique ». 3 Edition Clarac & Ferré, I, p. 689. de Stermaria » symbolisant chacune telle île bretonne en Cythère ou tel autre territoire. Tous les pays proustiens ont selon la fonction j leur symbole féminin parmi les Noms de Pays dont la fonction p fait des bouquets pour les attribuer aux pays. Quant à la radiographie bergsonienne de la Recherche du Temps perdu, rappelons d’abord la figure χ ci-dessous qui la déploie, où le zig-zag dans la nappe supérieure décrit le mouvement d’Hécate : Lorsque nous comparons à cette figure le diagramme de p ° j = 1A ce qui est à relever en premier lieu est l’absence du temps dans le schème catégorial. Ni l’ensemble {Combray, Paris, Balbec} ni l’ensemble {Gilberte, Oriane, Albertine} n’y sont seulement ordonnés temporellement, et encore moins astreints à entrer en scène successivement. Les Noms de Pays s’incarnent intemporellement selon la fonction p, de même que les Pays sont symbolisés intemporellement selon la fonction j. Pour une Recherche du Temps perdu racontant des 1A X A A p j amours successives, cela peut paraître un défaut rédhibitoire. Mais, après tout, Combray, Paris et Balbec, de même que Gilberte, Oriane et Albertine coexistent. C’est seulement le caprice du narrateur, butinant de pays en pays et ainsi de femme en femme, qui les fait entrer en scène successivement. Le couple 〈Noms de pays, Pays〉 condense le Platonisme de Proust, et l’intemporalité de ce platonisme n’est là qu’afin de faire mieux ressortir le mobilisme bergsonien qui anime son roman. C’est même ainsi que Mlle de Stermaria trouve son rôle exact. Comme l’avait vu Jean Rousset, l’espace des Noms de Pays représente la panoplie de toutes les amours possibles. La Recherche ne raconte que les amours réelles, toutes les autres restant normalement anonymes. Mlle de Stermaria est une des rares exceptions à cette règle de l’anonymat, comme Andrée ou Rosemonde, cess Jeunes Filles en Fleurs que le narrateur, dans la « petite bande » rencontrée à Balbec, eût pu détacher à la place d’Albertine. Davantage, appariée comme elle est à son île bretonne, Mlle de Stermaria est, en termes wittgensteiniens, le chaînon intermédiaire entre le Proust de Bergson et le Proust de Brouwer. Face à notre « Proust catégorial », en effet, comment le lecteur pourrait il ne pas formuler l’objection qui saute aux yeux ? Qu’est-ce que c’est que ces « Noms de pays » parmi lesquels il faut compter non seulement « Balbec » et « Combray » mais Albertine et Gilberte elles- mêmes, en chair et en os, métamorphosées pour les besoins de la cause en sex-« symboles » respectifs de Balbec et Combray ? Mlle de Stermaria se charge de la réponse. Inséparable de son île bretonne, elle illustre d’abord le couple 〈Femme, Pays〉 qui hante chacun des deux termes du couple 〈Noms de pays, Pays〉 : les Noms de pays parce que justement Gilberte, Oriane et Albertine s’y mêlent à « Combray », « Paris » et « Balbec » ; les pays parce que chacun d’eux s’y trouve symbolisé, dans l’ensemble des Noms de pays, par la femme qui s’est glissée parmi ces Noms ou symboles. En outre, dans le couple 〈Femme, Pays〉, Mlle de Stermaria est un cas remarquable. Son pays est un île. Or, comme nous l’avons montré ailleurs4, le couple 〈Femme, Pays〉 de Proust a conduit Deleuze à sa théorie d’Autrui qui, à son tour, ne prend tout son sens que dans la triade des Mondes, des Moi et des Temps de J.L. Borges explicitée dans la logique des Worlds, Times and Selves d’A.N. Prior. Et la relation d’accessibilité entre les mondes, les moi et les temps, qui est devenue le paramètre décidant de ce qui est loi en logique modale, fait que les trois de la triade sont à concevoir comme des Insularités. De sorte que l’île dont Mlle de Stermaria est inséprable est le paradigme, et des insularités de Prior, et du pays qui fait que Mlle de Stermaria est, en tant que symbole de cette île, un « Nom de pays ». Une fois que Mlle de Stermaria est disponible, le rapport entre le Proust bergsonien et le Proust brouwerien devient visible. Dans la figure χ, sur la nappe inférieure, au dessus du vaste cercle fléché où se succèdent les amours de Marcel, regardez bien le petit cercle où se circonscrit l’amour de Swann et Odette. Il rappelle que dans le roman fleuve où le narrateur nous raconte ses amours en inventoriant subjectivement sa mémoire comme un mémorialiste, Proust a inscrit un roman-médaillon insubmersible racontant objectivement une histoire située hors de la mémoire du narrateur : une histoire que Proust peut écrire mais que le narrateur ne peut narrer. L’amour de Swann et Odette est un immémorial. Ici, le vocabulaire de Kant et Schopenhauer s’impose. Alors uploads/Geographie/ proust-de-bergson-proust-de-brouwer.pdf

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