1 Lucien Rebatet Les étrangers en France Je Suis partout 16 février 1935 - 23 m

1 Lucien Rebatet Les étrangers en France Je Suis partout 16 février 1935 - 23 mars 1935 On comptait en France, aux dernières statistiques, plus de 3 millions d’étrangers. Il y en a 420.000 environ, soit un dixième de la population, dans Paris et sa banlieue. Nous avions, il y a quelques semaines, près de cinq cent mille chômeurs, mais aussi plus de huit cent mille travailleurs étrangers, dont le nombre ne cesse d’augmenter, malgré toutes les promesses officielles. Le titre de cette enquête est suffisamment justifié par de tels chiffres, mais n’implique pas le moins du monde une xéno- phobie qui, n’étant guère dans nos mœurs, risquerait surtout de compromettre nos intérêts chez nous et hors des frontières, et avec laquelle, cependant, les politiciens de l’Internationale voudraient confondre notre juste inquiétude. Il importe de s’expliquer entièrement à ce sujet. L’autre semaine, le Quartier Latin et la plupart de nos universités protestaient énergiquement contre les faveurs inadmissibles dont les étudiants étrangers sont les bénéficiaires, et qui leur permettent d’occuper chez nous, à notre détriment, surtout en médecine, un nombre croissant de places. Excellent symptôme. Comme toujours, la vérité vient d’en haut. Mais comme toujours aussi, elle est tronquée, faussée avant d’atteindre la foule. La presse n’a pas osé écrire ce que les étudiants ont pensé et dit véritablement : que leur grève ne visait point l’étranger, mais le métèque, le sans-patrie qui, seul, s’incruste et vit en parasite. Un Quartier Latin qui cesserait d’être cosmopolite, ce serait un coup terrible pour notre influence spirituelle dans le monde. Le jeune Américain, le jeune Japonais qui s’apprêtent à venir compléter chez nous leur bagage intellectuel, qui peuvent devenir un peu plus tard dans leur pays les meilleurs adversaires de la propagande francophobe, doivent savoir ceci : leurs camarades français, s’en peut-être s’en rendre compte, ont posé, une fois de plus et sous la pression des circonstances, la redoutable question de l’émigration juive. A y regarder de près, on s’aperçoit en effet que l’expression : « Une concurrence de la médecine étrangère » est équivoque. La poignée de praticiens arméniens ou grecs qui exercent en France est négligeable, sauf par l’assez singulière conception qu’elle se fait parfois de son métier. Ce sont des Juifs fraîchement émigrés qui ont envahi la médecine française. A cet égard, le moindre coup d’œil dans un annuaire, un simple bottin de téléphone, est probant. Veut-on des précisions ? Traditionnellement, les étudiants roumains, comme la plupart des Balkaniques, viennent achever à Paris leur formation universitaire, de moins en moins nombreux, d’ailleurs, à mesure que s’accroît le grabuge financier de leur pays. Une thèse reçue, un externat terminé, les chrétiens repartent. Les Juifs restent. Sur un millier d’étudiants roumains, 2 il y a, sur la rive gauche, deux tiers de Juifs, tous, ou peu s’en faut, médecins, bien résolus à se faire, après des centaines d’autres, une place au soleil français. Et pour cause ! Les étudiants chrétiens, violemment antisémites, ont pratiquement imposé, depuis dix ans, un numerus clausus dans les universités roumaines, en exigeant par exemple que les « Judovi » dissèquent uniquement des macchabées juifs. Tout un énorme trop-plein d’Israélites transylvains et bessarabiens, sans parler de tous ceux dont les pères avaient été chassés déjà par les pogroms de la Russie méridionale, a reflué sur nous. Les Juifs d’Allemagne, depuis deux ans, sont venus grossir ce troupeau qui n’en est pas à sa première migration, mais arrive pour la première fois sans doute, en hordes aussi compactes à nos portes. Ceux-là viennent aggraver par leur présence et leur redoutable solidarité ethnique, l’avenir déjà peu folâtre de notre jeunesse intellectuelle. Cependant, les Anglo-Saxons, les Scandinaves, les Espagnols, qui venaient apprendre à nous connaître un peu moins mal dans nos amphithéâtres, nos ateliers, nos spectacles, ne peuvent plus s’offrir qu’exceptionnellement un pareil luxe, que l’on a guère travaillé à leur rendre plus accessible. Il en est du Quartier Latin comme de Paris, comme de toute la France. Nous abritons trois millions de parasites. Il est à peine paradoxal, pourtant, de dire que nous manquons d’étrangers. Nous n’avons plus que 12.000 résidents américains, contre 26.000 en Italie. Les voyageurs, qu’aucune propagande officielle ne sollicite, que notre vie chère effraie, vont passer leurs vacances ailleurs. Les artistes, les écrivains, les riches étrangers, découragés par notre fisc, alarmés par nos remous politiques, ont regagné leur pays. Ils n’achètent plus nos livres, nos tableaux. Ils ne font plus vivre nos chemins de fer, nos taxis, nos cousettes. Mais nous payons les frais d’hôpitaux et les indemnités de chômage d’un énorme prolétariat que l’on avait engagé au petit bonheur pour combler les vides, redresser les ruines de la guerre, qui ne nous sert plus à rien depuis des années, et dont le flot toujours croissant n’est pas arrêté. Les Champs-Élysées, les boulevards de Paris sont privés de ce remue-ménage cosmopolite indispensable à leur éclat, mais dans les fêtes foraines des faubourgs grouillent nègres et mulâtres de toutes teintes, Kabyles à demi vagabonds, rouquins Juifs de Pologne, Levantins de races indéchiffrables, terrassiers italiens qui portent la faucille et le marteau à leur cravate des dimanches. Nous étions le jardin de l’Europe. Voilà que nous en devenons le dépotoir. Sans cette condition peu reluisante, nous éprouvons encore quelque fierté quand un grand homme, comme Strawinsky, le premier compositeur de notre temps, demande à devenir citoyen français. Horowitz et les excellents virtuoses juifs, plus assidus chez nous depuis que l’Allemagne leur est mesquinement fermée, sont indispensables à la saison parisienne. Nous ne pensons pas qu’un seul comédien français puisse reprocher à M. Pitoëff ou à Mme Elvire Popesco leurs origines. Si M. Toscanini, en froid avec le Duce, M. Furtwaengler, en froid avec le Führer, venaient prendre la tête d’un grand orchestre de Paris, 3 ce serait notre vie artistique qui y gagnerait un incalculable prestige. Lorsque nous attirons tous les talents de l’univers, c’est un signe de notre force, de notre rayonnement. Cela ne peut chagriner que les médiocres, les cervelles étroites. Nous ne sommes pas xénophobes, mais nous voyons avec dépit l’Angleterre, l’Amérique de ces derniers temps accueillir les immigrants de qualité (comme nous le faisions au XVIe, au XVIIe siècle, en débauchant à notre profit les soyeux, les musiciens et comédiens italiens), tandis que nous prenons la lourde charge des refoulés que les révolutions déversent chez nous, les dents longues, sans métier et sans un sou vaillant. En cas de guerre, il est impossible de savoir ce que nous ferions d’une telle foule de sans-patrie. Combien de suspects, de traîtres, d’agitateurs s’y sont glissés ? Des procès de trahison, des scandales vite étouffés, des crimes trop retentissants nous permettent de le déceler. Ou, plus simplement, les tignasses trop crépues, ou les crânes trop tondus, les teints trop safranés que l’on distingue près de Bullier les soirs de grands meetings communistes. Nous en avons assez d’une politique d’immigration qui a toujours été d’une faiblesse démagogique, sournoisement favorable à la canaille, dont l’opportunité n’a jamais compensé les dangers, même au temps où nous manquions le plus de bras, et devenue parfaitement inutile aujourd’hui où nous ne parvenons même plus à employer nos propres forces. Comme dans tous les cas où l’immigration n’est plus filtrée, elle nous apporte les éléments les plus débiles, les moins désirables, qui ne s’assimileront pas, ou dont l’assimilation serait déplorable pour notre sang : une horde d’indigènes livrée à elle-même, malgré tous les avertissements des grands colonisateurs, sous un climat, dans des villes où elle s’avachit, tourne rapidement à la pire racaille ; les éternels vaincus, comme les Arméniens qui viennent croupir dans nos taudis ; les Juifs (surtout les Juifs !), d’autant plus insolites qu’ils sont fraîchement importés ; les 900.000 Italiens, qui seraient de bien loin l’élément le plus intéressant de cette Babel, s’ils comprenaient moins de criminels de droit commun vomis par leur terre natale ou si, fidèles au contraire au fascio, ils ne risquaient de former un jour, chez nous, une minorité nationale. N’écoutons pas les théoriciens de l’assimilation « automatique ». Aucun peuple ne possède actuellement la vigueur nécessaire pour absorber, pour « digérer » une immigration aussi massive. Mais nous sommes encore de taille à nous défendre. Nous devons être pénétrés de cette nécessité. Les solutions pratiques que l’on propose ne manquent pas. Nous venons, par exemple, d’apprendre l’existence d’un comité « pour faciliter le départ et la stabilisation des immigrés victimes du chômage », qui se fait fort d’évacuer humainement les étrangers les plus manifes- tement en surnombre, après leur avoir trouver du travail au-delà des frontières. L’opinion publique reste trop ignorante de ce problème, inséparable cependant de tous ceux autour desquels se crée l’agitation politicienne : chômage, vie chère, sécurité intérieure et extérieure. Rien ne vaut l’observation directe pour convaincre 4 les distraits ou les indifférents. Nous avons entrepris cette promenade, souvent bien affligeante, dans les quartiers internationaux de la capitale (c’est-à-dire les trois quarts de ses rues) pour engager les Parisiens à la refaire et à juger par leurs propres yeux. I. Les « uploads/Geographie/ rebatet-lucien-etrangers-en-france.pdf

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