« Religion et géographie ». Intervention de Frédéric Dejean au séminaire du GSR

« Religion et géographie ». Intervention de Frédéric Dejean au séminaire du GSRL « Religions et religiosités minoritaires en ultramodernité » le jeudi 14 février 2008 1 Religion et géographie: les approches spatiales du fait religieux On pourrait commencer cette séance par une boutade: « Dieu est géographe ». En effet, à la relecture de la Genèse Dieu apparaît est en quelque sorte comme le premier « aménageur » : il produit un espace. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre » : geste éminemment géographique consistant à établir une distinction, une différenciation. Après tout, qu’est ce que la géographie, sinon la science de la différenciation des lieux. Il y a géographie, dès lors qu’il y a différence. C’est bien parce que l’espace vécu offre une rugosité et des discontinuités, qu’il y a la géographie. En quittant le champ strictement chrétien, on retrouverait le même type d’opération géographique dans d’autres récits mythiques. Par exemple, la fondation de Rome (Livre I de l’Histoire romaine de Tite-Live). Ce point de départ avance l’idée que la religion et l’espace sont intrinsèquement liés. En effet, si la religion se caractérise par une orthodoxie, des doctrines, normes, principes…. Elle s’incarne matériellement par un espace qui n’est jamais laissé au hasard : la mise en espace de la religion renseigne déjà sur le contenu de cette dernière. C’est une idée assez classique, bien montrée notamment par des auteurs comme Mircea Eliade dans l’ouvrage Le Sacré et le Profane. Le premier chapitre est intitulé « L’espace sacré ». On peut lire : « pour l’homme religieux cette non homogénéité spatiale se traduit par l’opposition entre l’espace sacré, et tout le reste, l’étendue informe qui l’entoure ». Ce que je vous propose aujourd’hui n’est pas tant une liste de tous les points de convergence entre la religion et la géographie, mais davantage une présentation générale des différentes manières dont la science géographique s’est appropriée le thème de la religion. De ce point de vue, il me semble important de bien distinguer la « géographie religieuse » et la « géographie des religions » : la 1ère renvoie à la dimension spatiale du fait religieux, alors que la seconde désigne un objet particulier d’étude. Ce que je vous propose, c’est donc un parcours à travers l’épistémologie de la géographie, discipline encore assez mal connue et qui souffre d’un déficit d’image, tant auprès du grand public (les souvenirs de géographie dans le secondaire sont rarement bons) que des autres sciences sociales auxquelles la géographie se rattache. On verra qu’il faut atténuer ce tableau d’une géographie méprisée pour voir comment celle-ci peut mettre en avant ses outils et ses angles d’attaque, notamment dans le champ du religieux. I/ Géographie des religions et géographie : une évolution croisée (19ème et début du 20ème siècle) II/ Le renouvellement de la géographie des religions en France (1960 à 90) III/ L’enrichissement des sciences connexes et l’émergence de nouvelles problématiques (fin 20ème et début 21ème siècle) « Religion et géographie ». Intervention de Frédéric Dejean au séminaire du GSRL « Religions et religiosités minoritaires en ultramodernité » le jeudi 14 février 2008 2 I/ Géographie des religions (GR) et géographie: une évolution croisée Il s’agit de montrer que l’évolution même de la GR s’inscrit dans l’évolution globale de la discipline géographique. C’est d’ailleurs vrai pour n’importe quel objet d’étude : il traduit souvent l’état de la science à un moment particulier. La géographie culturelle : l’analyse du paysage La GC s’enracine dans une vision déterministe de l’action de la Nature sur l’homme : la N oriente l’action des sociétés humaines dans un sens ou dans un autre. Dans le cadre de cette causalité simple, toute société peut se comprendre à l’aune de son environnement et des conditions physiques. Quelques noms : Friedrich Ratzel1, mais également Paul Vidal de la Blache qui développe une pensée plus nuancée, en passant par la notion de « possibilisme » que l’on peut résumer ainsi : « la nature propose et l’homme dispose ». Cette manière de penser les rapports Hommes/Nature se retrouvera dans toute la géographie classique qui domine jusqu’ au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Pour résumer, dans cette perspective la géographie a pour tâche de rendre compte des aménagements humains en relation avec les dispositifs physiques initiaux. Les premières analyses se rattachant au courant de la Géographie Culturelles sont celles du géographe américain Carl Sauer2. Ce dernier est célèbre pour un ouvrage de 1925 intitulé The Morphology of Landsape. Une des intuitions principales de Sauer propose de renverser la perspective traditionnelle, c’est-à-dire celle de la géographie déterministe. Selon Sauer, ce n’est pas la nature qui est à l’origine de la culture, mais c’est davantage la culture, agissant avec et sur la nature, qui crée des conditions de vie. Sauer est tout particulièrement attentif à la dimension matérielle de la culture, notamment le paysage, perçu comme l’espace de la rencontre entre la nature et la culture. De ce fait, le paysage est la manifestation concrète de la culture qui l’a produit. Je cite Sauer : « Nous sommes concernés par l’importance que prend le site pour l’homme, et aussi par les transformations qu’il impose au site. Au total, nous traitons des interrelations du groupe, ou des cultures, avec le site, tel qu’il est exprimé à travers les divers paysages de la terre » Ce point est important car il permet de comprendre une des orientations majeure de la géographie des religions : l’analyse des impacts de la religion dans le paysage, en privilégiant la dimension matérielle de celle-ci, et en laissant de côté le symbolique ou les relations sociales. Néanmoins, il y a bien une évolution dans la géographie, dont la géographe Lily Kong rend compte dans un article de 19903. Elle souligne qu’il a un renversement de perspective dans l’appréhension du fait religieux dans les années 1920, notamment sous l’impulsion du sociologue Max weber : il ne s’agit plus de voir de quelle manière la nature informe le contenu religieux, mais davantage de voir comment la religion modifie profondément la nature et agit directement sur les structures économiques et sociales. 1 Pour une présentation de la géographie classique du 19ème siècle je renvoie aux ouvrages de Paul Claval, Epistémologie de la Géographie chez Armand Colin notamment. 2 Voir en français le livre de Paul Claval La Géographie culturelle (1995, Nathan Université) et en anglais Cultural Geography : a critical introduction de Don Mitchell (2000, Blackwell Publishing). 3 “Geography and Religion: trends and prospects”, 1990, Progress in Human Geography, vol. 14. « Religion et géographie ». Intervention de Frédéric Dejean au séminaire du GSRL « Religions et religiosités minoritaires en ultramodernité » le jeudi 14 février 2008 3 La géographie des religions : décrire les marques du religieux dans le paysage Les héritages de la géographie culturelle américaine et de la géographie française classique, initiée par Paul Vidal de la Blache et enrichie par ses élèves, produisent une géographie des religions tournées prioritairement sur les traces matérielles de la religion dans le paysage. L’accent est mis sur les marques ponctuelles de la religion dans le paysage (lieux de culte, lieux saints ou sacrés, belvédères) et sur les règles religieuses à l’origine de la transformation du milieu. Dans un cas, on s’intéresse au résultat, et dans l’autre on met davantage l’accent sur le processus qui conduit à aménager l’espace naturel. Les travaux réalisés jusqu’aux années 1950 témoignent bien de cette façon de mettre en avant les structures durables dans l’espace et non pas les principes conduisant aux mutations et aux changements. Paul Vidal de la Blache, dans ses écrits, emploie l’image du lac, avec le fond immobile et la surface agitée : le géographe doit s’enfoncer dans les profondeurs, aller au-delà des épiphénomènes, pour découvrir des principes structurants de l’espace dans le long terme. Ce procédé se comprend au regard du projet idéologique qui sous-tend les travaux de géographie culturelle et de géographie des religions. Il s’agit avant tout de forger l’identité d’un espace à partir de certaines structures et certains traits qui en fonderaient l’originalité et le caractère exceptionnel. Deux ouvrages pionniers : Géographie et religions de Pierre Deffontaines (paru en 1948 au PUF) et Le Monde islamique : essai de géographie religieuse de Xavier de Planhol (paru en 1957 au PUF). Les deux ouvrages sont particulièrement intéressants, non seulement parce qu’ils constituent des tentatives originales de traiter de la religion d’une manière géographique, mais aussi parce qu’ils sont à la charnière de deux moments de la pensée géographique. Tous deux portent les traces de la géographie classique qui met en avant les structures durables dans le paysage et l’adaptation de l’homme à son environnement. Les premières lignes de l’ouvrage de Pierre Deffontaines sont éloquentes : « La nature hostile a imposé à la caravane humaine, qui chemine depuis tant de siècles à la surface de la Terre, une bataille sur tous les fronts des éléments ». Et un peu plus loin dans l’introduction « Nous nous bornerons à noter les répercussions géographiques des uploads/Geographie/ religion-et-geographie-frederic-dejean-pdf.pdf

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