Marcelle Sauvageot LAISSEZ-MOI (Commentaire) Publication en 1934 Édition du gro
Marcelle Sauvageot LAISSEZ-MOI (Commentaire) Publication en 1934 Édition du groupe « Ebooks libres et gratuits » Table des matières Laissez-moi ...............................................................................3 7 novembre 1930 ......................................................................... 3 10 décembre 1930........................................................................8 14 décembre 1930...................................................................... 14 24 décembre 1930 .....................................................................40 À propos de cette édition électronique...................................44 – 3 – Laissez-moi 7 novembre 1930 « Tu vois là une preuve d'amour, n'est-ce pas ? » Le rythme du train scandait cette phrase incessamment. J'avais froid ; j'es- sayais de dormir, crispée dans un coin. – Comme j'avais froid ! – Pourquoi ce train était-il parti ? L'angoisse que l'on ressent quand on fait une bêtise me serrait la gorge ; j'avais quitté un fragile bonheur pour retourner dans ce sanatorium ; c'était bête. J'avais eu un peu de joie ces quelques semaines ; sans doute allais-je, en compensation, recevoir un gros chagrin. « Tu vois là une preuve d'amour, n'est-ce pas ? » Je re- voyais le visage tourmenté qui me disait cette phrase la veille au soir. Et je revoyais, par surimpression, ce même visage, tout près du mien, avec de grosses larmes dans les yeux, qui me di- sait : « Épousez-moi, vous me tromperez… » J'aurais voulu que la scène recommençât pour embrasser cette tête et dire : « Je ne vous tromperai pas. » Mais les choses ne recommencent pas ; et cette phrase, je n'avais pas dû la prononcer, car je ne sais pas parler quand il faut, ni du ton qui convient. Je suis trop émue et je deviens dure pour ne pas me laisser aller à l'émotion. Com- ment pouvoir faire sentir tout le bouleversement que produit une émotion au moment précis où elle a lieu ? Endormons-nous sur cette phrase berceuse et douce : « Tu vois là une preuve d'amour, n'est-ce pas ? » Je t'envoie un baiser dans l’air. Si tu m'aimes, je guérirai. Et quand je serai guérie, tu verras comme tout sera bien. Il me plaît de te dire « tu » puisque tu n'es plus là. Je n'ai pas l'ha- bitude, il me semble que c'est défendu : c'est merveilleux. Crois- – 4 – tu que je pourrai bien te dire « tu » un jour ? Quand je serai guérie, tu ne trouveras plus que j’ai mauvais caractère. Je suis malade. Tu m'as dit que les malades s'efforçaient d'être plus doux avec ceux qui les entouraient ; et tu m'as cité de beaux exemples. Je ne t'aime pas quand tu fais des sermons ; tu me donnes envie de bâiller, et, si tu me fais des reproches, c'est que tu m'aimes moins : tu me compares à d'autres. Les malades sont doux, mais moi je suis épuisée ; toute ma force s'use à continuer et à dire « merci » à ceux qui ne comprennent pas. Mais toi, qu'avais-tu besoin d'un « merci » ? Tu n'as pas compris parce que tu ne sais pas. Je t'ai demandé de quelle humeur tu serais, si pendant huit jours seulement tu ne dormais pas. Tu m'as ré- pondu que cela ne t'arrivait jamais, mais que ça ne devait pas être agréable. Évidemment tu ne comprends pas. D'ailleurs je sais : quand nous étions à la campagne, tu n’étais pas content ; tu aurais voulu être à Paris où ton amie était. Alors tu étais pressé de repartir et tu me trouvais agaçante. Vois-tu, c'est en- core une chose qui s'est tournée contre mes désirs : je croyais te faire plaisir en te demandant de venir. À Paris tu es bien plus gentil… et tu me trouves bien plus gentille : elle est là. Et puis tu n'aimes pas les malades. Tu serais d'avis, je crois, qu'on les en- ferme, qu'on les supprime. Il faudrait que tu sois malade. « Tu vois là une preuve d'amour, n'est-ce pas ? » Que faut- il croire de cette phrase ? Je sais que tu ne m'aimes plus. Avec quel soin comique évites-tu de me dire : « Je vous aime ! » Tu ne m'auras rien promis. Et pourtant il serait si bon pour moi qui suis seule et qui pars au loin de me bercer sur ton amour avec confiance. J'ai besoin de lui : je voudrais le retrouver quand je reviendrai guérie. La certitude que quelqu'un continue à aimer et à attendre, pour qui le reste n'est qu'un dérivatif momentané et sans pouvoir, est un grand bonheur pour un malade : il a la sensation que la vie qu'il a laissée s'est aperçue de son absence ; il ne peut pas imaginer un avenir neuf ; faible et souffrant de la rupture brutale avec le passé, ce qu'il demande à « plus tard », c'est de continuer en mieux ce qui était autrefois. – 5 – J'aimerais conserver en moi comme un talisman le souve- nir d'hier soir. Fermons les yeux pour que l'illusion revienne. C'est la même chose qu'en rêve : il ne faut pas bouger. Je t'aime. * * * – 6 – Tenay-Hauteville ! J’ai peur. Je voudrais ne pas descendre. Je voudrais me mettre dans un coin où l'on ne me voie pas. Je voudrais m’oublier moi-même. Quelle joie ce serait de conti- nuer le voyage très loin avec le train ! J’ai attendu en vain une indication du hasard : tout a paru me pousser à partir. Que fal- lait-il faire ? Maintenant il faut descendre et aller dans cette maison triste. Mais pourquoi faut-il ? Je sens dans les jambes l'hésitation presque voluptueuse qui fait rester immobile quand on a juste une minute pour faire une action décisive. On dit : « Je ne bougerai pas, je ne bougerai pas… » et à la dernière se- conde on fait avec une rapidité incroyable, avec une espèce de folle panique, l'acte qu’on hésitait à accomplir. Je suis brave ; je suis descendue ; j'ai rempli toutes les formalités avec méthode pour me prouver que je suis forte. Quelqu’un m’aime à Paris : je reviendrai. Il pleut et il y a du brouillard ; il est quatre heures, le jour est presque tombé. Il ferait bon à cette heure dans un petit appartement bien chaud prendre le thé avec lui. Nous parle- rions du temps où nous étions petits. Il pleut et il fait noir. Je regarde intensément le sanatorium pour prendre d’avance toute la souffrance que je vais y ressentir. J'aurai peut-être moins mal. Des hommes et des femmes en robe de chambre, des yeux caves, des toux ; je me sens redevenir malade. Pourquoi suis-je revenue ? Et dans ma chambre je m’écrase sur une chaise ; un lourd manteau gluant d’ennui, de maladie, de désespoir me pla- que les épaules : j'ai froid. Mon beau rêve s’en va en morceaux. Je n’entends plus la voix, je n’ai plus l'enveloppement de son amour. Quand, le matin, le jour nous éveille d’un rêve, nous es- sayons en fermant les yeux et ne bougeant pas de reconstituer la scène et de la continuer. Mais la lumière du jour a tout détruit : les paroles n'ont plus de timbre, les gestes n'ont plus de sens. On dirait d'un arc-en-ciel qui s'évanouit : quelques teintes sur- vivent un instant, disparaissent, semblent revenir : il n'y a plus – 7 – rien. C'est ainsi que tout mon beau songe s'en va. Est-il possible qu'il n'y ait plus rien ? Je répète stupidement : m'en aller d'ici… et j'essaie de rattraper les morceaux pour faire revivre la soirée d'hier. Mais c'est un mirage qui se casse. Demain je t'écrirai et je ne saurai plus te dire «tu», je t'écri- rai et je ne saurai pas te dire tout ce que je te dis dans mon cœur. Toi qui es resté là-bas où l'on vit, peux-tu comprendre que je suis prisonnière ? Je ne sais plus parler. Je suis là hébétée et je sens comme une vérité froide et sûre que, quand on est ici, rien n'est plus possible : tu ne peux pas continuer à m'aimer. * * * – 8 – 10 décembre 1930 J’ai beaucoup de lettres aujourd'hui : je lirai la sienne la dernière. Elle dira peut-être les choses que j'attends. Depuis mon retour, ses lettres m'ont déçue et laissée in- quiète : vraiment je crois qu'il ne m'aime plus. Depuis deux ans je suis malade, absente souvent ; lui a continué à vivre ; j'ai vou- lu croire qu'il m'attendrait : mais réellement m'attendait-il ? Les choses lui paraissaient-elles provisoires et incomplètes ? Atten- dait-il mon retour pour les faire épanouir ? Ou bien mouraient- elles sans regrets de sa part, sûr qu'il était d'en trouver de plus belles quand j'aurais été là ? Il est vrai que je suis maladroite ; je ne sais pas exprimer un sentiment ; dès que j'en ai dit quelques mots, je me moque de moi, je me moque de l'autre, je détruis par une phrase ironi- que l'impression produite. C'est une méfiance de moi ; c'est un étonnement de m'entendre dévoiler ce uploads/Geographie/ sauvageot-laissez-moi-commentaire-pdf.pdf
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- Publié le Mar 11, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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