TIC et apprentissage informel des langues gabonaises : points de vue des appren
TIC et apprentissage informel des langues gabonaises : points de vue des apprenants d’un collège de Libreville Synergies Afrique des Grands Lacs n° 8 - 2019 p. 31-43 31 Prisca Soumaho ENS, Gabon soumahop@hotmail.com GERFLINT ISSN 2258-4307 ISSN en ligne 2260-4278 Reçu le 30-10-2018 / Évalué le 13-01-2019 / Accepté le 13-02-2019 Résumé Les technologies de l’information et de la communication (TIC) ont modifié les habitudes de consommation et de production langagières des populations dans le monde, nonobstant l’écart de développement qui sépare encore les pays du Nord de ceux du Sud. Le Gabon, pays dont l’indice de développement humain se situe à la 110e place en 2018, reste l’un des rares Etats d’Afrique subsaharienne avec un niveau de connectivité relativement élevé. En effet, il est rare de voir aujourd’hui un jeune gabonais qui ne soit pas en possession d’un smartphone et d’une connexion internet en milieu urbain. L’intégration des langues locales dans les programmes scolaires ayant montré ses limites, dans quelle mesure les TIC peuvent-elles contribuer de manière beaucoup plus efficace et efficiente à un apprentissage de type informel ? La création d’une application téléchargeable sur l’apprentissage des langues gabonaises, ne serait-elle pas un outil pédagogique adapté pour promouvoir et redynamiser la pratique des langues gabonaises auprès des jeunes ? Dans cette perspective, une enquête par questionnaire a été réalisée en milieu scolaire auprès d’une centaine d’apprenants d’un collège de Libreville afin d’évaluer le niveau d’adhésion à un apprentissage des langues gabonaises par les TIC. Mots-clés : TIC, langues gabonaises, apprentissage informel ICT and Informal Learning of Gabonese Languages: Views of Learners from a College in Libreville Abstract Information and communication technologies (ICT) have changed the language consumption and production habits of populations around the world, notwithstanding the development gap that still separates northern and southern countries. Gabon, a country with a human development index ranking 110th in 2018, remains one of the few states in sub-Saharan Africa with a relatively high level of connectivity. Indeed, it is rare to see today a young Gabonese who is not in possession of a smart phone and an internet connection in an urban environment. Since the integration of local languages into school curricula has shown its limits, to what extent can ICTs contribute much more effectively and efficiently to informal learning? The creation of a downloadable application on the learning of Gabonese languages, would it Synergies Afrique des Grands Lacs n° 8 - 2019 p. 31-43 32 not be an educational tool adapted to promote and reinvigorate the practice of Gabonese languages among young people? In this perspective, a questionnaire survey was conducted in schools of about 100 students from a Libreville college to assess the level of adherence to learning languages Gabonese ICT. Keywords: ICT, Gabonese languages, informal learning Introduction Les technologies de l’information et de la communication (TIC) représentent l’ensemble des technologies informatiques qui contribuent à une véritable révolution socioculturelle. En effet, aux traditionnels outils de communication que nous connaissions déjà comme la radio, le téléphone et la télévision, se sont ajoutés les ordinateurs, les smartphones, les tablettes et d’autres outils Internet. A ce jour, la rapidité de diffusion des TIC fait la différence. Le secteur de l’éducation et de la formation comme lieu d’apprentissage constitue un terrain fertile pour l’exploitation des TIC par les jeunes. Au Gabon, pays multilingue avec plus d’une cinquantaine de langues identi fiées, on constate malheureusement que nombreuses parmi elles sont en voie de disparition du fait, en partie, de leur non-utilisation et non-transmission par les parents aux enfants. D’où l’impérieuse et urgente nécessité d’user d’ingéniosité pour la promotion et la sauvegarde des langues du Gabon. Dès lors, pourquoi ne pas surfer sur les modes de communication à la mode afin d’intéresser, de susciter un engouement et d’impliquer les jeunes gabonais à apprendre et parler ces langues ? Notre article a pour but d’évaluer la volonté et la disposition de ces jeunes à utiliser les TIC pour l’apprentissage d’une ou de plusieurs langues gabonaises notamment grâce à la création d’une application téléchargeable de langues gabonaises, à l’instar de l’anglais, de l’espagnol ou encore de l’allemand qu’ils apprennent déjà à partir de ces outils. Pour ce faire, nous avons réalisé une enquête par questionnaire auprès d’une centaine de collégiens à Libreville, capitale de la République Gabonaise. Notre démarche d’ensemble va s’articuler autour de cinq axes : la situation linguistique, l’état des lieux des différents modes d’apprentissage des langues gabonaises, le cadre méthodologique, les résultats de l’enquête empirique et la discussion relative à l’intérêt de l’apprentissage des langues gabonaises par le recours aux TIC en l’occurrence le smartphone. TIC et apprentissage informel des langues gabonaises 33 1. Situation linguistique du Gabon Le Gabon a une superficie de 267 667 km2. C’est un pays multilingue dans lequel se côtoient langues endogènes et exogènes. On y recense une cinquantaine d’idiomes, pour une population estimée à environ 1.3 million d’habitants. Le nombre de langues existant au Gabon varie d’un chercheur à l’autre : 37 langues d’après Jacquot (1978), 40 langues pour Grimes (1996), 56 langues pour Mouguiama-Daouda (2005), 58 pour Ondo-Mebiame tandis que Kwenzi Mikala (1988) en a recensé 62. Nous prendrons en compte la classification de 2009 parce qu’elle est récente. A côté de toutes ces langues d’autochtones et d’allogènes, le français est consti tutionnellement consacré comme la langue officielle du pays (Medjo, M. Zue Elibiyo, 2010). Et c’est certainement en tenant compte de cette absence des langues natio nales dans l’espace public gabonais que Les Actes Adoptés par les Etats Généraux de l’Education, de la Recherche et de l’Adéquation formation-emploi (Libreville, 17-18 mai 2010 : 46) ont recommandé la construction et l’équipement d’un labora toire de langues locales à l’Université Omar Bongo. Toutefois, si l’Etat gabonais reconnait l’impérieuse nécessité de l’apprentissage scolaire des langues locales, ces dernières ne bénéficient d’aucun avantage préfé rentiel sur le plan budgétaire par rapport aux langues étrangères dont la construction et l’équipement des laboratoires ont été encouragées. Il ressort notamment dans le volet des Etats Généraux consacré au « Pacte décennal 2010-2020 entre l’élite intellectuelle et l’élite politique. Pour l’émergence de l’école, de la formation et de la recherche au Gabon » ce qui suit : - - la construction et équipement d’un laboratoire de promotion et de consoli dation de la langue française en Afrique au sud du Sahara, 1,5 milliard Franc CFA ; - - la construction et l’équipement d’un laboratoire de langue anglaise, 1,5 milliard de Franc CFA ; - - la construction et l’équipement d’un laboratoire de langue arabe, 1,5 milliard de Franc CFA; - - la construction et l’équipement d’un laboratoire de langues locales, 1,5 milliard de Franc CFA ; - - la construction et l’équipement d’un laboratoire du mandarin, 1,5 milliard de Franc CFA. On constate ainsi la « consolidation » de la langue française d’une part, et que d’autre part dans la hiérarchie des cinq langues à promouvoir dans le système scolaire gabonais, les langues locales n’apparaissent qu’en 4ème position. Synergies Afrique des Grands Lacs n° 8 - 2019 p. 31-43 34 2. Etats des lieux de l’apprentissage des langues gabonaises De manière générale, la famille et l’école sont considérées comme les deux principaux cadres de socialisation pour l’apprentissage des langues. Qu’en est-il dans le contexte gabonais ? Un état des lieux s’impose. 2.1 Les langues gabonaises dans le milieu familial Pour examiner le niveau d’apprentissage des langues gabonaises dans le milieu familial, nous avons choisi de présenter les résultats d’une enquête sociolinguis tique réalisée au début des années 2000 avec les élèves des écoles publiques et privées dont le niveau se situe entre le CE2 et le CM2. T.1. Pourcentage des langues utilisées par les enfants ayant les deux parents dans les six contextes étudiés Ethnies Langues Parlées A la Maison Avec mère Avec père Avec frère et sœurs Avec camarades de jeux Avec grands-parents Fang Fang 29.03 12.90 7.52 2.41 0.26 22.04 Français 39.78 48.11 64.51 84.67 97.58 22.04 Masangu Masangu 15.38 7.69 Français 34.46 30.76 38.46 76.92 92.30 7.69 Nzebi Nzebi 26 2.5 3.33 Français 53.33 45 60.83 65.83 91.66 18.33 Kota Kota 23.07 Français 53.84 7.69 15.38 84.61 100 Myene Myene 14.29 7.14 Français 57.14 57.14 76.19 90.47 100 30.95 Gisir Gisir 0 0 0 0 0 0 Français 86.66 33.33 40 53.33 93.33 13.33 Obamba Obamba 5.00 Français 60.00 70 80.00 100 100 5.00 Punu Punu 13.25 9.63 Français 62.65 32.53 55.42 80.72 97.59 16.86 Teke Teke 8.00 8.00 Français 64.00 52.00 60.00 92.00 100 24.00 Source : F. Idiata (2002 : 81) TIC et apprentissage informel des langues gabonaises 35 Les résultats statistiques de cette enquête confirment la place prédominante du français au sein des familles gabonaises, malgré l’absence de certaines informations dans le tableau. L’enquête montre que le fang, le nzebi et le kota sont les langues les plus parlées dans le cadre familial. Le gisir demeure la langue qui ne se transmet plus du tout dans les familles. Or, notre vécu personnel nous permet d’émettre quelques réserves par rapport à cette idée. uploads/Geographie/ soumaho.pdf
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- Publié le Apv 07, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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