Berb` eres, berb´ erit´ e : noms, territoires, identit´ es Francis Manzano To c
Berb` eres, berb´ erit´ e : noms, territoires, identit´ es Francis Manzano To cite this version: Francis Manzano. Berb` eres, berb´ erit´ e : noms, territoires, identit´ es. Cahiers de sociolinguis- tique, 2006, pp.175 ` a 214. <hal-00351800> HAL Id: hal-00351800 https://hal-univ-lyon3.archives-ouvertes.fr/hal-00351800 Submitted on 11 Jan 2009 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸ cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es. Francis MANZANO Directeur du Centre d’Etudes Linguistiques (CEL), EA 1663, Université de Lyon & Centre de Recherche sur la Diversité Linguistique de la Francophonie (ERELLIF, EA 3207, Rennes 2) francis.manzano@neuf.fr BERBÈRES, BERBÉRITÉ : NOMS, TERRITOIRES, IDENTITÉS Considérations anthropologiques, lexicologiques et onomastiques en suivant Germaine Tillion (2000) et quelques autres.1 Dans cette contribution je souhaite procéder à une réflexion sur la question générale de l’identité berbère, ici mise en relation d’une part avec ses organisations territoriales et communautaires, d’autre part avec les systèmes de noms qu’elle produit. Il se trouve que cette langue et ce peuple ont beaucoup compté dans la maturation de mon projet personnel d’une sociolinguistique méditerranéenne qui ne serait plus le résultat d’un simple collage de plusieurs sociolinguistiques sectorielles régionales. Durant la période de préparation de ce numéro 11 des Cahiers de Sociolinguistique, je suis tombé tout à fait par hasard sur un ouvrage de Germaine Tillion2 publié en 2000 (mais que je n’avais pas vu passer). Il se trouvait sagement rangé pas très loin de l’ouvrage que je lisais à ce moment (Maurice Godelier, Métamorphoses de la parenté. Fayard, 2004), rapprochement qui est tout ce qu’on voudra sauf innocent. Ayant beaucoup fréquenté l’ethnographie du Maghreb de la première moitié du XXe siècle (celle du Maroc notamment), la lecture de Germaine Tillion me remit immédiatement dans la logique d’une linguistique ethnographique 1 Texte paru dans Cahiers de Sociolinguistique, n°11 (2006). 2 Comme beaucoup de gens, j’avais lu auparavant Le Harem et les cousins, livre phare, désormais classique, de Germaine Tillion. Francis MANZANO – BERBÈRES, BERBÉRITÉ qui peut fournir certaines clefs anthropologiques. D’une certaine manière, la préparation de ce numéro consacré aux noms propres me donnait donc l’occasion de montrer dans les grandes lignes pourquoi et comment un peuple comme celui-ci se présente, aujourd’hui encore, comme une exception, je dirai même une « exception exceptionnelle » en Méditerranée. Ce faisant allaient revenir Jacques Berque et beaucoup d’autres, pas forcément cités (ils sont bien trop nombreux), mais qui tous ensemble ont construit cet édifice majeur du savoir ethnologique : le monde berbère. Il ne s’agira donc pas d’un article en tant que tel sur l’identité berbère, ni d’un article en tant que tel sur l’onomastique du monde berbère, mais de quelque chose qui se trouve quelque part entre les deux, dans cette zone où les noms topographiques, les toponymes, les ethnonymes, les anthroponymes prennent toute leur substance, parvenant, tous ensemble, à nous suggérer peut-être ce qu’est véritablement un peuple, la manière dont il peut s’implanter, la manière dont il peut résister à l’écoulement des siècles. Observations pour la lecture de l’article Les numéros de pages sont généralement indiqués entre parenthèses. Les deux ethnologues souvent sollicités (leurs noms sont donc souvent abrégés) sont Germaine Tillion d’une part (abr. G. T.) et Jacques Berque également (abr. J. B.). Pour les transcriptions, je me suis basé le plus souvent possible sur ce que j’appelle pour simplifier des graphies « courantes » (abr. g. c.). Ce sont ces graphies courantes qu’adoptent également G. T. ou J. B. (lequel nuance davantage il est vrai). Il faut dire qu’au niveau de généralité de cette réflexion anthropologique, les nombreuses nuances du berbère ou de l’arabe (tension, emphase etc.) ne sont pas strictement indispensables compte tenu du genre de l’étude. Le système courant de translittération romane constitue une sorte de vulgate dans laquelle, il faut le rappeler, (‘) est l’attaque laryngale forte (ou hamza) inconnue du français, type ‘arch. Le [χ ] et le [γ ] y sont généralement transcrits (kh) et (gh), type takharubt ou tamazight. J’ai également choisi de transcrire (ou) les [u] des exemples fournis, type anou pour [anu] ou aghbalou pour [aγ balu]. * Les étymons du latin sont donnés en majuscules et la voyelle tonique est soulignée en cas de besoin. Comme il s’agit là encore d’un autre système, il faut peut-être rappeler que le (u) correspond alors exclusivement à [u]. 176 Francis MANZANO – BERBÈRES, BERBÉRITÉ Les Berbères, leurs noms et leur(s) identité(s) Mais les Maghrébins sont berbères -Aujourd’hui comme avant-hier- Et le bon gars du Sahara Qui veut faire plaisir à papa Doit choisir pour beau-père Non pas le p’tit frère de son père Mais le grand frère de sa maman S’il vit au nord du désert, C’est le contraire qu’il doit faire. (11) Lorsqu’elle est chargée, en 1933, de travaux de recherche dans l’Aurès, « pays archaïque et musulman », G. T. suit les enseignements de Marcel Mauss. Des crédits internationaux revenant à « notre (feu) immense empire » (13), G. T. sera affectée à l’Aurès algérien. Pour se préparer à son immersion, elle entend notamment les leçons de grammaire comparée d’Emile Destaing3. De l’Algérie de l’époque, de ses lieux et de sa population G. T. donne plusieurs aperçus souvent soulignés par un humour constant et un style très alerte. La voici par exemple dans la capitale régionale de l’Aurès… De Batna je ne dirai rien, sinon que cette petite ville de garnison pouvait prendre place parmi les plus consternantes fabrications urbaines de la Troisième République. Son unique mérite à mes yeux résida dans un assez bon hôtel, et trois ou quatre petits commerces que tenaient des « pieds-noirs » (expression que je ne me souviens pas avoir entendu à cette époque, pas plus d’ailleurs que celle de bougnoul, nord-af ou bicot - ce qui ne prouve rien, sinon que ces appellations n’étaient en tout cas pas usuelles) (21). …puis à pied d’œuvre, constatant les effets du « progrès » : Il en résultait à Arris4 une dizaine de belles maisons en pierres taillées et cimentées où l’électricité étincelait le soir, où l’eau ruisselait à toute heure dans les éviers et les baignoires. Elles étaient reliées (par une route, par des autos, par le téléphone, par des commerçants, des facteurs, des militaires, des chaînes de fonctionnaires) à d’autres groupes de maisons pareillement construites, pareillement reliées. Un système étiré en résille autour du globe. Les mailles 3 Connu pour ses importants glossaires et ses études sur différents parlers berbères du Sud marocain, publiés au début du XXe siècle. 4 Arris se trouve à une cinquantaine de kilomètres à vol d’oiseau au sud-est de Batna, mais sur le versant méridional de l’Aurès, dirigé vers les régions présahariennes (oasis de Biskra). 177 Francis MANZANO – BERBÈRES, BERBÉRITÉ étirées de la résille enserraient un autre univers qu’un siècle de proximité avaient déjà bouleversé. Un autre univers, d’autres modes de vie… Là, pas d’électricité, pas de route, pas d’autre eau que celle de l’anou5, pas de fonctionnaire (en dehors de l’humble caïd6 que j’avais salué au passage), aucun objet manufacturé (mises à part les boules de teinture et les aiguilles échangées avec les colporteurs), aucun apport de vocabulaire, sinon des mots isolés… (139) La question du nom de peuple, notamment à travers la série chaoui, chaouia, est posée rapidement. C’est une dénomination arabe et non berbère, qui désigne des fabricants de paniers : « pourquoi avoir adopté un nom arabe pour servir d’identité à des gens qui, de tout temps, ont parlé le berbère ? ». Cette question peut paraître secondaire, elle est pourtant centrale et nous allons voir qu’une réflexion de ce genre nous conduira à d’intéressantes pistes anthropologiques. La réponse ponctuelle est probablement dans une forme de péjoration identitaire qui prend appui sur certaines spécialisations artisanales de nombre de populations minorées. Ces gens de la montagne sont donc réputés fabriquer des paniers, de la vannerie, notamment ce fameux chouari, omniprésent et fondamental d’un bout à l’autre du Maghreb, désignant un bissac tressé en palmier nain avec lequel on équipe l’âne ou le mulet. Une péjoration identitaire abondamment attestée, qui fait par exemple des Gitans du Golfe du Lion des spécialistes reconnus de vannerie (ainsi que des « voleurs » voire des « criminels »7), ou encore, comme le souligne elle-même G. T ., qui a fait des Auvergnats des bougnats ou « marchands de vin ou de charbon » en région parisienne8. Ce rapprochement, qui peut paraître neutre à première vue (c’est-à-dire uniquement motivé par une forme de parallélisme étymologique), est à replacer dans un modèle interprétatif fréquent dans l’ethnographie berbère de la première moitié du XXe siècle, pointant différentes convergences notamment entre le monde berbère uploads/Geographie/ tasmidegt-tamazi-t.pdf
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- Publié le Dec 30, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
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