INTRODUCTION La ville de Londres recèle de nombreux trésors dont la manifestati

INTRODUCTION La ville de Londres recèle de nombreux trésors dont la manifestation la plus visible en est certainement les parcs royaux et les jardins publics qui émaillent de leurs couleurs la capitale britannique. Ces espaces verts font le bonheur et la fierté des londoniens qui en profitent pour s'y réfugier de la cacophonie et des turbulences de la ville, et flâner dans un cadre paysager somptueux, utilisant les pelouses pour se reposer et se détendre, ou bien encore pour y pratiquer le cricket, le football et autres activités physiques. Si tous ces écrins de verdures, qui sont autant de havres de paix contribuant à la qualité de vie des populations londoniennes, sont accessibles à tous et sont si nombreux, nous le devons à l'action du mouvement des parcs et jardins publics qui vit le jour dans les premières décennies du XIXème siècle, et œuvra pour l'implantation d'espaces verts gratuits dans le contexte d'urbanisation massive entraînée par la Révolution Industrielle, afin d'améliorer les conditions de vie des citadins des grandes villes, et notamment des plus pauvres. L'histoire et l'évolution des fonctions dédiées aux espaces verts en dit long sur les mentalités et les conditions sociales des époques auxquels ils se rapportent. Dans un article consacré à la signification et à la conception des parcs publics en milieu urbain de la période allant de 1840 à 1900, Hilary A. Taylor résume parfaitement cet aspect : l'une des plus remarquables arènes de débats culturels, servant de médiateur entre la sphère publique et la sphère privée, le jardin paysager est essentiellement une manifestation d'une idéologie personnelle et historique. C'est un lieu – physiquement et philosophiquement – de débats politiques, culturels, sociaux et économiques. De plus, étant délibérément une arène publique, le parc urbain, peut-être mieux que n'importe quel autre genre de jardins paysagers, est évocateur des aspirations de son temps1. 1 Hilary A. TAYLOR, “Urban Public Parks, 1840-1900: Design and Meaning”, Garden History, Vol.23, Number 2, Winter 1995, p.201. “ One of the most powerful arenas of cultural debate, mediating between the public and private 1 Dans cette optique, l'action menée par le mouvement des parcs et jardins à Londres tout au long du XIXème siècle révèle la contradiction d'une société victorienne régie par les valeurs bourgeoises de l'époque aspirant à l'universalité et à l'harmonie sociale, mais dont le fonctionnement était axé sur la ségrégation des classes et l'exclusion du prolétariat. Pour reprendre la formule de Jean-Pierre Navaille dans son ouvrage consacré à l'étude du Londres du XIXème siècle, les classes ouvrières et les classes supérieures étaient « aussi peu miscibles que l'huile et l'eau dans un même récipient »2. Cette discrimination trouvait l'une de ses expressions dans l'utilisation des parcs et jardins paysagers dont la fonction, jusque dans les années 1840, était strictement ornementale, servant de lieux de contemplation et de flânerie, réservés aux riches. Le mouvement des parcs et jardins, animé par des réformateurs sociaux soucieux des conditions de vie dégradées et de la situation sanitaire des masses de travailleurs dans les grands centres urbains, mais aussi du danger potentiel que celles-ci représentaient pour la société victorienne, œuvra à transformer la fonction dévolue aux espaces verts afin de remédier à cet état de fait et de favoriser l'harmonie sociale. Moins connu que les célèbres parcs royaux des quartiers huppés de Londres, Victoria Park, situé à cheval sur les districts de Hackney et de Tower Hamlets, dans l'est de la capitale, n'en est pas moins magnifique. Ce parc, qui eut le statut royal jusqu'en 1887, avant d'être géré par les autorités administratives locales, fut implanté dans le début des années 1840 et marqua l'histoire des parcs et jardins en Angleterre en tant que premier véritable parc public grâce à l'action du mouvement des parcs et jardins. C'est à travers son exemple que nous étudierons dans ce mémoire la question de l'harmonie sociale et de son corollaire, la mixité sociale, en nous demandant dans quelle mesure l'établissement et l'aménagement de Victoria Park reflète l'idéal d'harmonie sociale si cher à la bourgeoisie victorienne. Nous soutiendrons dans ce mémoire que, plutôt que l'harmonie sociale, c'est l'émergence d'une culture populaire et l'affirmation d'une classe que Victoria Park favorisa, en donnant un moyen d'expression populaire et politique aux membres de la classe ouvrière londonienne, influençant ainsi l'utilisation des parcs et jardins publics créés dans le sillage de Victoria Park. Pour ce faire, dans la première partie de ce mémoire, nous nous concentrerons sur les origines du mouvement des parcs et jardins publics et le changement de fonction des espaces verts en revenant sur les conditions de vie des londoniens au début du XIXème siècle, en proie à l' urbanisation galopante et à la surpopulation. Nous verrons également les différentes phases de world, the designed landscape is essentially a manifestation of personal and historical ideology. It is a site – both physical and philosophical – of political, cultural, social and economic debates. Moreover, as a self-consciously public arena, the urban park, perhaps more than any other kind of landscape, is redolent of the aspirations of its time.” 2 Jean-Pierre NAVAILLE. Londres Victorien: Un Monde Cloisonné. Seyssell, Champs Vallon, 1996, p.98. 2 développement du mouvement des parcs et jardins à Londres, et son influence sur la prise de conscience politique de la nécessité de mettre à disposition des lieux de promenades publiques pour la santé et le bien-être des londoniens. L'histoire des parcs et jardins publics, c 'est aussi l'histoire de la pratique des loisirs, et nous nous attacherons à définir les concepts victoriens quant à la pratique « rationnelle » des divertissements et de leurs fonctions, notamment celle de contrôle social dans le climat révolutionnaire des années 1830 à 1860. Dans la deuxième partie de ce mémoire, nous nous focaliserons sur Victoria Park comme lieu d'harmonie et de mixité sociale. Nous décrirons tout d'abord les différentes étapes de la genèse du parc, puis nous verrons comment Victoria Park fut conçu pour accueillir un public représentant toute les couches de la société, grâce à la beauté ornementale de celui-ci et à la pratique de loisirs dits « intelligents » comme l'horticulture et le cricket. Enfin, nous soutiendrons que Victoria Park, par l'influence des populations ouvrières locales, et notamment par l'action des radicaux et des socialistes, devint un lieu de liberté d'expression favorisant l'émergence d'une culture populaire, et par conséquent, des valeurs démocratiques plutôt que l'harmonie sociale définie par les codes de la bourgeoisie victorienne. 3 CHAPITRE I : VERS UN CHANGEMENT DE FONCTION DES PARCS ET JARDINS ANGLAIS A/ Londres : la « ville monstre » Avant que n'intervienne, au début du XIXème siècle, une remise en cause de l'utilisation des parcs et jardins anglais engendrée par l’urbanisation massive qui accompagna la Révolution Industrielle, ceux-ci étaient exclusivement réservés au bon plaisir des membres de la haute société britannique de l'époque et revêtaient un idéal qui prit naissance, à l'aube du XVIIIème siècle, à travers la création et l'essor du jardin paysager. Avec l'avènement au trône d'Angleterre du néerlandais Guillaume d'Orange et de Marie, suite à la Révolution Glorieuse de 1688, le savoir-faire hollandais en matière d'horticulture influença une créativité anglaise qui n'eut de cesse d'être, comme l'a souligné Laurent Châtel, l'objet d'un mécénat tout au long de l'époque géorgienne, car selon lui, « la Grande-Bretagne s'est représenté que sa nation tout entière était un jardin »3. Jusqu'en 1820, avant qu'il ne soit radicalement mis en cause pour son caractère exclusif, c'est cet idéal de « nation-jardin » qui constitua la « substantifique moëlle, essence de la nation »4. Tous ces parcs et jardins où flânaient aristocrates, membres de la gentry et du clergé, étaient autant d'ornements qui embellissaient les villes et symbolisaient l'art de vivre et la puissance de la nation cœur de l'Empire Britannique. Le visiteur étranger de passage à Londres ne pouvait qu'être émerveillé par la majesté de Hyde Park et le luxueux défilé des attelages élégants, des cavaliers en redingote et de amazones sur le « Rotten Row » (déformation du français route du roi) reliant Hyde Park aux jardins de Kensington. 3 Laurent CHÂTEL, “Le Jardin Anglais : Représentation, Rhétorique et Translation de la Nation Britannique, 1688- 1820”, Revue Française de Civilisation Britannique, vol. 13, Numéro 4, 2006, p.172. 4 Idem. 4 Cependant, alors que l'industrialisation massive des villes entraînait l'Angleterre d'une société rurale vers une société majoritairement urbaine, le manque d'espaces verts dans les villes commençait à devenir un problème majeur au début du XIXème siècle. L'idéal géorgien de « nation-jardin » ne résista pas à l'épouvantable réalité des conditions de vie des villes industrielles de l'époque victorienne ; les parcs et jardins paysagers, aussi magnifiques qu'ils fussent, étaient soumis à la critique car considérés comme un luxe destiné à l'usage de quelques privilégiés oisifs, alors que les populations laborieuses qui remplissaient les villes souffraient du manque d'espace. Dans la capitale londonienne, où affluait en masse une main d’œuvre bon marché, la situation était particulièrement inquiétante avec une pression démographique jusque- là encore jamais inégalée, lui donnant le titre de première mégalopole au monde. Sa uploads/Geographie/ the-creation-of-victoria-park.pdf

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