UNE FORME URBAINE DU PREMIER ÂGE TOURISTIQUE: LES PROMENADES LITTORALES Franck
UNE FORME URBAINE DU PREMIER ÂGE TOURISTIQUE: LES PROMENADES LITTORALES Franck DEBIÉ* M 1/1993 32 F. Debié Mappemonde 1/93 APPE ONDE La promenade maritime est une forme urbaine originale carac- téristique du premier âge touristique (1850-1930), celui des stations de luxe réservées à une élite fortunée, itinérante et oisive. Forme urbaine, la promenade l’est au plein sens du terme dans la mesure où elle représente à la fois un mode par- ticulier d’urbanisation, d’urbanisme et d’urbanité. Le dévelop- pement des promenades maritimes est contemporain de l’apparition dans les métropoles européennes de nouvelles formes d’urbanisme, les grandes avenues et le parc public, qui, retravaillant les modèles du cours, du boulevard, du squa- re ou de la place royale, proposent une nouvelle articulation des espaces d’habitation et de loisirs. C’est dans cette logique d’un nouvel urbanisme métropolitain qu’il faut situer l’appari- tion des promenades maritimes. Pour comprendre la logique du boulevard haussmannien comme de la promenade maritime, il faut faire un détour par un espace aujourd’hui oublié: le jardin de plaisir. Au milieu du XVIIIe siècle apparaissent à Londres des jardins de plaisirs, petits établissements dont l’entrée est payante et qui présentent à l’ombre d’allées bien taillées, éclairées la nuit, un mélange de curiosités (fausses ruines, peintures en trompe-l’œil, rocailles, miroirs), débits de boisson, pistes de danses, boutiques, jeux d’argent, et spectacles (concerts, feux d’artifices). Ces jardins permettent aux bourgeois aisés d’accéder à un type de festivi- tés jusqu’alors réservées à l’aristocratie. Les jardins de plaisir se développent très rapidement à la fin du XVIIIe siècle à Londres — Vauxhall et le Ranelagh sont les plus célèbres — et surtout à Paris, où nombre d’anciens jardins aristocratiques ou monastiques sont reconvertis à cet effet au moment de la vente des biens nationaux. Le succès de ce type d’établissements ne se dément pas pendant le XIXe siècle. Le jardin Krolls à Berlin, reste jusqu’à la première guerre mondiale, un haut lieu de la vie mondaine berlinoise. À Paris, le jardin des Champs- Elysées, avec son théâtre de marionnettes, son panorama, ses restaurants prestigieux où se donnent des concerts, constitue Les promenades maritimes caractérisent les stations de bord de mer du premier âge touristique (1850-1930). Elles traduisent dans le paysage un urba- nisme spéculatif, à rapprocher de celui qui produit le square et le boulevard, et don- nent lieu à une urbanisation du littoral sous forme de vastes appendices linéaires. Les pratiques sociales associées à la pro- menade rappellent celles du jardin de plai- sir, et renvoient au même rêve d’une urba- nité idéale, libérée des miasmes, des pro- miscuités sociales, des contraintes qui pèsent sur les amours et les jeux. • NICE • PROMENADE MARITIME • STATION BALNEAIRE • TOURISME • TROUVILLE Sea front promenades were a common feature of European seaside resorts between 1850 and 1930. They were the expres- sion of capitalistic urban processes based on speculation by financial groups, to be related to those responsible for the development of squares and boulevards. The end result was considerable urban extension following linear patterns along the coast. Social practices asso- ciated with sea-front promenades may be com- pared to those found in the contemporary plea- sure gardens. They both relate to the ideal metropolis, free from pollution and disease, lack of privacy and social constraints. • NICE • SEA FRONT PROMENADE • SEA- SIDE RESORT • TOURISM • TROUVILLE Los paseos marítimos caracteri- zan las estaciones costeras de la primera edad turística (1850-1930). Traducen en el paisaje un urbanismo especulativo, cercano al que genera la glorieta y el bulevar, y urbanizan el litoral bajo forma de vastos apéndices lineales. Las prácticas sociales asociadas al paseo, recuerdan las del jardín de recreo y remiten al mismo sueño de una urbanidad ideal, liberada de miasmas, pro- miscuidades sociales y molestias que pesan sobre amores y juegos. • ESTACIÓN COSTERA • NIZA • PASEO MARÍTIMO • TROUVILLE • TURISMO RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN * Ancien élève et enseignant à l’École Normale Supérieure. 33 F. Debié Mappemonde 1/93 Depuis 1850, les compa- gnies privées de chemin de fer ont considérable- ment contribué à la pro- motion des stations ther- males ou climatiques. La Compagnie Paris-Lyon- Méditerranée a ainsi lancé les stations de la Côte d'Azur, Antibes, Nice, Cannes, Monaco que ses lignes desservaient. Les affiches placardées dans les gares de l’époque per- mettent de faire revivre la manière dont le paysage des stations était perçu, idéalisé et vendu. Le tou- risme des stations d'hiver de la Méditerranée n’est pas un tourisme balnéaire. Cette affiche de 1904 montre que la mer n’inter- vient dans l’argumentaire publicitaire qu’à titre de panorama. C’est l’avanta- ge climatique, ciel pur et soleil, que le dessinateur Hugo d’Alesi met ici en valeur. Les fleurs et la végétation luxuriante té- moignent de la clémence du temps et contribuent à donner une impression d’exotisme. Cannes pro- met d’abord le calme et le repos dans une ambiance raffinée, que laissent devi- ner la balustrade, le mobi- lier à la mode, l’élégante toilette de l’hivernante. Au centre de l’affiche, la pro- menade se détache de la vieille ville, en fond de baie, comme un boulevard de villas noyées dans la verdure; en bout de Croi- sette, on distingue le bâti- ment blanc du casino. C’est une ville idéale, fleurie et spatieuse, tran- quille et mondaine que le publiciste propose (à prix réduits) aux habitants d’un Paris dense et pluvieux, bruyant et sans jardins. La station réalise l’idéal de l’urbanisme hausmannien: transformer le site en panorama, la rue en pro- menade, sertir la ville dans un écrin de parcs et la réserver aux riches. La station touristique comme ville idéale. Cannes, 1904: une affiche du Paris-Lyon-Méditerranée © Hugo d’Alési. Source: Fonds iconographique de la Bibliothèque Forney, Paris. 34 Mappemonde 1/93 F. Debié une version publique et modernisée du jardin de plaisir. À Vienne, un Prater aristocratique côtoie le Prater des Marion- nettes, fête foraine et populaire. La promenade maritime, le front de mer de Brighton par exemple, est issue de cette matrice du jardin de plaisir, pre- mier espace public de loisirs pour les catégories aisées des capitales. Nous retrouvons sur les promenades maritimes qui se multiplient à partir de 1850 certaines caractéristiques du jardin de plaisir: les promenades sont presque toujours asso- ciées à un casino (Deauville, Nice, Biarritz). Les casinos du XIXe siècle ne sont pas réservés aux jeux. Ce sont de véri- tables centres de la vie mondaine. À Nice, le casino de la Promenade des Anglais et celui de la jetée-promenade propo- sent des concerts, des pièces de théâtre, des bals, des fêtes de charité, des conférences littéraires ou scientifiques. Avec leurs casinos, les promenades ont souvent conservé le double privi- lège des jeux et de la danse progressivement retiré aux jardins de plaisir. À côté des casinos, les cercles — à l’exception des jeux — remplissent la même fonction. Dans la dernière moitié du XIXe siècle, le Cercle de la Méditerranée, sur la Promenade des Anglais, sera au même titre que le Casino de Garnier à Monte-Carlo un rendez-vous obligé de l’aristocratie princière d’Europe. La promenade présente par ailleurs, comme les jardins de l’époque, des cafés et des restaurants, parfois regroupés dans un même ensemble architectural comme la jetée-promenade de Nice ou les arcades en fonte de Brighton, et aussi un cer- tain nombre de curiosités florales (haies de poivriers et carou- biers de Menton, magnolias et tamaris de Biarritz, lauriers et mimosas de Nice, et partout de grands parterres floraux), géo- logiques (les roches noires à Trouville), zoologiques (Aquarium de Brighton), architecturales (le Pavillon Royal de Brighton). Mieux, leur développement correspond à un moment où le paysage de la mer et les bains eux-mêmes deviennent une curiosité. Alain Corbin a montré comment le paysage du littoral et de la mer devient progressivement à partir de 1750 un sujet d’inté- rêt, un paysage apprécié, une vue recherchée. Dans le cas de Trouville, Yves Bayard nous explique la transformation du regard des peintres sur le paysage littoral, de Charles Mozin à Pierre Bonnard en passant par Eugène Boudin, Gustave Courbet et Claude Monet. Après le bucolique littoral des vil- lages de pêcheurs et les marines, apparaissent les portraits de plage, où les princesses posent en costume de bain, sur fond de ciel changeant. Pratique sanitaire au même titre que la cure thermale, l’hydrothérapie, lancée à Brighton à la fin du XVIIIe siècle et recommandée en France par Antoine Royer (1768- 1825), directeur de Charenton, et Armand Trousseau (1801- 1867), auteur d’un traité de thérapie fameux, est loin d’être un plaisir: «C’est une cruelle exhibition, dit Michelet, pour endu- rer cela, il faut que le malade ait la foi en la mer». Mais le bain froid, en pantalon, large blouse et bonnet de toile cirée, devient très vite un spectacle apprécié des promeneurs: «Chaque matin, le bain de la Belle Madame Attire un monde fou: comtes, ducs, barons, Guy, Gontrand, Gaston, le marquis, le vidame, Tous dévorent l’objet de leurs yeux fanfarons.» Auteur anonyme (1) Loin d’être une pratique majoritaire, le bain de mer n'existe uploads/Geographie/ une-forme-urbaine-du-premier-a-ge-touristique-les-promenades-littorales 1 .pdf
Documents similaires
-
20
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Oct 26, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1654MB