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Une immigration pas comme les autres  1 Bensoussan 2012. 1Ce chapitre brosse quelques traits essentiels du parcours des Juifs d’Algérie qui ont fait leur alya, c’est-à-dire ont immigré en Israël et s’y sont établis. En termes quantitatifs, ces Juifs d’Algérie ne sont certes pas l’une des composantes principales de la société israélienne. Si Israël est un pays d’immigrants, parmi ces derniers les Juifs d’Algérie n’ont fourni qu’un contingent fort limité. Même parmi les francophones de ce pays, ils sont loin de constituer un facteur de poids, surtout lorsque l’on les compare aux Juifs du Maroc qui sont arrivés en masse dans les années 1950 et 1960, et ont octroyé une nouvelle dimension démographique à la société israélienne1.  2 Donath-Bensimon 1971 ; Chouraqui 1998 ; Allouche-Benayoun, Bensimon 1989 ; 1998.  3 Exil en hébreu.  4 Benbassa 2004 ; Cohen 2007.  5 Avineri 1981. 2À certains égards cependant, les Juifs d’Algérie en Israël représentent des parcours emblématiques qui exigent une attention toute spéciale et offrent des leçons générales. Dans leur majorité, ils ont choisi la France lors de l’exode de 1962 des habitants européens qui marqua la fin de la colonisation française et l’instauration d’une Algérie indépendante. Le décret Crémieux (1870) qui octroya la nationalité française aux 35 000 Juifs vivant en Algérie y est pour quelque chose : en dépit du souvenir du comportement de Vichy qui les dépouilla de leur qualité de Français et des déceptions du régime Giraud qui lui succéda, les Juifs d’Algérie s’identifiaient2 à la France et c’est vers ce pays qu’ils émigrèrent au moment du grand bouleversement. Les quelque 120 000 Juifs qui se sont installés en France étaient porteurs d’une culture française acquise sur le sol algérien qui, pour beaucoup d’entre eux, n’était plus une galut3 depuis plusieurs générations. En France cependant, leur judéité traditionnelle teintée d’influences algéro-arabes les conduisit à s’insérer pour la plupart dans les cadres du judaïsme local et à insuffler un nouveau dynamisme à la vie juive de ce pays4. L’option de l’émigration vers Israël ne séduisit pas grand monde alors qu’en Algérie même, le sionisme5, ce nationalisme juif tourné vers le projet d’un état juif en terre d’Israël, était resté marginal en dépit du militantisme des mouvements de jeunesse halutzique (pionnière) et des organisations sionistes. On ne sait au sujet de cette immigration lointaine que bien peu de choses, sinon qu’un certain nombre était attaché à l’administration mise sur pied par Rothschild à la fin du XIX e siècle pour venir en aide aux premières colonies d’immigrants de l’Europe de l’est. Agrandir Original (jpeg, 55k) Carte de la Alya francophone d’Afrique du nord et de l’Europe occidentale 3Même ceux qui empruntèrent le chemin de l’alya bien plus tard, avec la création de l’État d’Israël, ne rompirent jamais avec leur passé. Ainsi déjà dans les années 60, on parlait à Ashdod de « la petite Algérie » en se référant à quelques dizaines de familles originaires d’Algérie et installées dans cette ville. Le souvenir de l’Algérie ne s’est jamais effacé de la mémoire même parmi les jeunes qui rejoignirent des kibboutzim et qui le plus souvent gardèrent une forte affinité avec leur origine diasporique ainsi qu’avec les leurs qui avaient immigré en France. Un exemple de cette attitude est exprimé par Daphna Poznanski-Benhamou, une personnalité prééminente parmi les Juifs d’Algérie en Israël, lorsqu’elle dit dans une interview sur Internet :  6 http://archives-lepost.huffingtonpost.frrepris du Huffington Post 23.1.2013. J’ai la chance d’avoir une triple identité : Française d’Algérie, Française de France, Française établie hors de France. Enfant pendant la guerre d’Algérie, j’ai retenu des leçons qui ont marqué mon engagement politique… moi aussi, j’ai été une réfugiée, petite fille tenant la main de sa mère flanquée d’une méchante valise en carton. De l’autre côté de la Méditerranée, mes parents et moi nous sommes installés à Marseille. Ce sont les années noires… De 13 à 18 ans, j’ai été volontaire bénévole pour apporter un soutien à des enfants encore plus défavorisés… Je suis un pur produit de l’école de la République… Mariée jeune à un idéaliste comme moi, j’ai poursuivi mes études en Droit public, Littérature Comparée, Relations Internationales… Ma vie bifurque de nouveau en 1978. Un attentat antisémite est perpétré à Nice par l’extrême-droite contre un jardin d’enfants de la communauté juive… Cet attentat antisémite réveilla de douloureux souvenirs… [et nous incita à immigrer]. Notre petite famille fera face à toutes les difficultés de l’intégration, linguistiques, professionnelles et culturelles en Israël6.  7 Le français joue dans ce pays un rôle remontant aux croisades et au Royaume de Jérusalem (1099-1291 (...) Après son immigration en Israël, Daphna est restée attachée à la France et par son activité politique intense, se fit élire à l’Assemblée des Français de l’Étranger pour plusieurs mandats. Cette attitude a été encouragée par le dynamisme des organismes dépendant de l’Ambassade de France qui, sous des formes les plus diverses, n’a jamais été négligeable dans ce pays7. Vétérans et Nouveaux venus 4Outre la petite population d’avant 1948, on doit distinguer, en Israël, deux catégories principales de Juifs originaires d’Algérie selon l’époque de leur alya. Il y a tout d’abord les vétérans qui sont arrivés dans les années 60 et 70, et qui comptaient à peu près 25 000 personnes. Ils formaient une cohorte, nous l’avons dit, de dimension réduite dans la masse des immigrants d’Afrique du Nord qui, elle, a fourni d’importants contingents d’habitants à des villes existantes – comme Holon, Bat Yam, Ramleh ou Lod – aussi bien qu’à de nouvelles localités – Dimona, Shlomi ou Kiryat Shmona – et rurales – villages coopératifs de Galilée et du Negev.  8 Central Bureau 1987. 5On estimait vers 1985 que pendant les trois premières décennies de l’État, plus de 420 000 immigrants arrivés directement d’Afrique du nord ou via la France furent accueillis dans le pays. Compte tenu du nombre élevé d’enfants par famille dans cette population souvent très respectueuse des traditions religieuses, ces immigrants et leur progéniture comptaient près de 120 000 personnes à Jérusalem, 100 000 à Ashdod, un nombre analogue à Haifa et à Tel-Aviv, 85 000 à Beer-Sheva et à Natanya8. Cette population se répartissait dans les diverses strates de la société israélienne mais a eu tendance à se concentrer dans les strates défavorisées. Pourtant, un nombre non négligeable atteint rapidement les rangs de la classe moyenne et cela comprit une forte proportion d’immigrants d’Algérie. 6Ces Juifs ne créèrent pas de « tribu » distincte si ce n’est la préférence de certains – spécialement dans les milieux populaires – pour une synagogue de rite typiquement algérien. Des intellectuels et des professionnels éminents se distinguèrent rapidement par leur stature, et le premier d’entre eux fut l’historien André Chouraqui qui fut pendant plusieurs années vice-maire de Jérusalem. Une autre personnalité d’envergure bien connue des Juifs de France fut le rabbin Léon Askenazi, ancien leader des Éclaireurs de France sous le totem de Manitou.  9 Mot hébreu signifiant : immigrants juifs en Israël.  10 Ben-Rafael et Ben-Rafael 2013. 7Une deuxième catégorie d’olim9 d’origine algérienne comprend les individus nés en Algérie et qui ont grandi en France ou qui sont nés en France de parents immigrés d’Algérie. Ils participent à cette nouvelle vague – quelques milliers de personnes par an – arrivant de France depuis le début des années 1990. Selon les estimations10, ces olim français forment en 2013 une population d’à peu près 50 000 personnes dont 35-40 % (18 000 à 20 000 personnes) sont originaires d’Algérie. À maints égards, ces derniers jouent, dans la nouvelle alya de France, un rôle prépondérant et conducteur.  11 Ben-Rafael et Ben-Rafael 2013. 8Nous désignons ces olim récents de France par le sigle NVs pour « nouveaux-venus » et ce sont leurs caractéristiques spécifiques en tant qu’immigrants que nous allons nous attacher à découvrir ici plus particulièrement. Ils créent, en effet, en Israël une réalité inédite et une recherche que nous avons effectuée11 montre combien ils méritent une attention particulière. 9Ajoutons d’emblée que dans les résultats d’enquête que nous analysons ci-après, nous n’avons trouvé que peu de différences significatives parmi les NVs selon leur pays spécifique d’origine – Algérie, Maroc ou Tunisie. Ceci s’explique largement de toute évidence par l’influence de la culture et de la société françaises. Là toutefois où des petits écarts sont apparus parmi lesNVs entre personnes originaires d’Algérie et autres olim, ils vont invariablement dans le sens de l’accentuation chez les premiers de certains traits caractéristiques des NVs dans leur ensemble. Aussi nous contentons-nous ici de la catégorisation générale vétérans-NVs. 10Cette enquête montre tout d’abord que l’identité juive et l’éducation juive sont pour ces NVs de la plus grande importance ; tous ou presque affirment avec force faire partie du peuple juif et le plus grand nombre explique son immigration non pas par l’antisémitisme qui sévirait en France – comme le suggèrent maints observateurs extérieurs – mais, avant tout, par l’attirance exercée par Israël en tant que « pays des Juifs » (Tableau 1) : une large majorité se uploads/Geographie/ une-immigration-pas-comme-les-autres.pdf

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