Erin Hunter La guerre des Clans Livre VI Une sombre prophétie Traduit de l’angl

Erin Hunter La guerre des Clans Livre VI Une sombre prophétie Traduit de l’anglais par Aude Carlier Pour Vicky Holmes et Matt Haslum, qui m’ont aidée à trouver la destinée de Cœur de Feu. Remerciements tout particuliers à Cherith Baldry. PROLOGUE LA PLUIE TOMBAIT à n’en plus finir. Elle clapotait sur le sol noir et dur du chemin du Tonnerre, le long d’interminables rangées de nids de Bipèdes. De temps en temps, un monstre passait en grognant. Les yeux brillants, il emportait au loin un Bipède blotti au creux de sa fourrure métallique. Deux chats se faufilèrent à pas feutrés entre les nids sans s’éloigner du mur, là où les ombres étaient les plus épaisses. La fourrure du premier, un félin gris famélique à l’oreille déchirée, aux yeux perçants, était collée et noircie par la pluie. Le deuxième était un grand chat à la fourrure tachetée et large d’épaules. Les muscles saillaient sous son pelage trempé, ses yeux ambrés luisaient dans la pénombre, et son regard hésitait à se poser, comme s’il s’attendait à une attaque. Il s’abrita à l’entrée d’un nid de Bipèdes et maugréa : « C’est encore loin ? Cet endroit pue horriblement. » Le matou gris se retourna pour lui répondre : « On y est presque. — J’espère bien. » Le félin tacheté se remit en route avec une grimace. Ses oreilles s’agitaient constamment pour chasser les gouttes de pluie. Une lumière jaune et aveuglante jaillit soudain : il se crispa tandis qu’un monstre les dépassait dans un rugissement en soulevant une vague d’eau souillée qui empestait les ordures de Bipèdes. Le chat ne put réprimer un râle lorsque la vague s’abattit sur ses pattes et éclaboussa son pelage. Tout dans ce camp de Bipèdes le dégoûtait : la surface dure sous ses coussinets, la puanteur des monstres, celle des Bipèdes qu’ils portaient dans leur ventre, les bruits inconnus et, plus que tout, le sentiment d’impuissance qui l’assaillait : jamais il n’aurait pu survivre ici sans guide. Il n’était guère habitué à dépendre des autres. Dans la forêt, il connaissait chaque arbre, chaque cours d’eau, chaque terrier. Il était considéré comme le plus fort et le plus dangereux des guerriers de tous les Clans. Et voilà que ses talents et ses sens aiguisés ne lui servaient à rien. Il se sentait comme sourd, aveugle et infirme, réduit à suivre son compagnon comme un chaton sans défense derrière sa mère. Mais ça en valait la peine. Les moustaches du félin frémirent lorsqu’il pensa à son plan : il allait faire de ses pires ennemis de vulgaires proies sur leur propre territoire. Si les choses se passaient comme prévu, cette expédition dans le territoire des Bipèdes lui fournirait tout ce dont il avait toujours rêvé. Le chat gris l’entraîna vers un endroit à découvert qui empestait le monstre. Les flaques d’eau reflétaient des lumières orange artificielles. Il s’arrêta aux abords d’une allée étroite et entrouvrit les mâchoires pour mieux humer l’air. Son compagnon l’imita puis, dégoûté par l’odeur de pourriture, se lécha les babines. « C’est ici ? demanda-t-il. — Oui, répondit le guerrier gris, tendu. À partir de maintenant, souviens-toi de ce que je t’ai dit. Celui que nous allons rencontrer a de nombreux chats sous sa coupe. Nous devons le traiter avec respect. — Flèche Grise, aurais-tu oublié qui je suis ? interrogea le grand mâle en se dressant devant son compagnon. — Non, Étoile du Tigre, siffla l’autre, les oreilles rabattues. Je n’ai pas oublié. Mais ici, tu n’es plus chef de Clan. — Allons-y, qu’on en finisse. » Flèche Grise se coula dans l’allée. Il s’arrêta peu après, lorsqu’une silhouette massive apparut devant eux. « Qui va là ? » gronda un robuste matou noir et blanc sorti de l’ombre. Ses muscles puissants apparaissaient sous sa fourrure plaquée par la pluie. « Identifiez-vous. Nous n’aimons pas les étrangers, par ici. — Salut, Carcasse, miaula le guerrier gris. Tu te souviens de moi ? » Le chat noir et blanc plissa les paupières et resta silencieux un instant. « Alors comme ça, tu es revenu, Flèche Grise ? miaula-t-il enfin. Tu prétendais pourtant que la vie serait meilleure dans la forêt. Qu’est-ce que tu fiches ici ? » Il fit un pas en avant, mais Flèche Grise ne se déroba pas et sortit les griffes. « Nous voulons voir Fléau. » Carcasse renâcla, mi-amusé, mi- méprisant. « Je ne crois pas que lui aura envie de vous voir. Et qui c’est, celui-là ? — On m’appelle Étoile du Tigre. Je viens de la forêt et je veux parler à ton chef. » Le regard de Carcasse passait d’Étoile du Tigre à Flèche Grise. « Et tu lui veux quoi ? » Les yeux ambrés d’Étoile du Tigre brillèrent, semblables aux lumières qui se réfléchissaient sur les pierres humides autour d’eux. « Cela concerne ton chef, pas ses subalternes. » Carcasse cracha et sortit les griffes, mais Flèche Grise s’empressa de s’interposer. « Fléau doit entendre sa proposition, insista-t-il. Tout le monde pourrait y trouver son compte. » Le colosse noir et blanc hésita un instant avant de s’écarter pour les laisser passer. Malgré l’hostilité qui se lisait sur son visage, il n’ajouta rien. Étoile du Tigre s’avança le premier, prudemment, tandis que les lumières disparaissaient derrière eux. De chaque côté de l’allée, des chats squelettiques se glissaient derrière des tas d’ordures, leurs yeux luisaient tandis qu’ils surveillaient la progression des deux intrus. Étoile du Tigre banda ses muscles. Si l’entrevue tournait mal, il devrait peut-être se battre pour se sortir de là. Un mur se dressait au bout de l’allée. Le chef de Clan inspecta l’endroit, guettant le meneur de tous ces chats qui vivaient dans le camp de Bipèdes. Il s’attendait à voir une bête plus massive encore que l’imposant Carcasse, si bien qu’il remarqua à peine le petit chat noir tapi dans l’ombre d’une porte. Flèche Grise le poussa du museau puis fit un signe de tête en direction du félin noir. « Voilà Fléau. — C’est lui, Fléau ? » L’exclamation d’Étoile du Tigre, incrédule, couvrit le bruit de la pluie battante. « Il n’est pas plus gros qu’un apprenti ! — Chh ! » La panique déforma le visage de Flèche Grise. « Ce n’est peut-être pas un Clan comme nous en avons l’habitude, mais ces chats sont prêts à tuer pour leur chef. — On dirait que j’ai de la visite. » La voix aiguë du matou noir crissa désagréablement. « Je ne pensais pas te revoir un jour, Flèche Grise. On m’avait dit que tu étais parti vivre dans la forêt. — C’est vrai, confirma l’intéressé. — Alors que viens-tu faire ici ? demanda son ancien chef, en maugréant. Tu as changé d’avis et tu es venu me supplier d’accepter ton retour ? Tu crois que je tolérerais une chose pareille ? — Non, Fléau, répondit le chat gris en soutenant le regard hostile qui le dévisageait. La vie est agréable, dans la forêt. Il y a beaucoup de gibier, et pas de Bipèdes… — Tu n’es pas venu pour vanter les mérites de ton mode de vie, l’interrompit Fléau avec un battement de queue. Ce sont les écureuils qui vivent dans les arbres, pas les chats. » Étoile du Tigre s’avança, écartant son guide d’un mouvement d’épaule. « Je suis Étoile du Tigre, le chef du Clan de l’Ombre, déclara-t-il. Et j’ai une proposition à te faire. » CHAPITRE PREMIER TANDIS QUE CŒUR DE FEU portait son défunt chef jusqu’à sa dernière demeure, les rayons du soleil s’insinuaient entre les arbres dénudés. Les crocs fermement plantés dans la nuque de son mentor, il remontait l’itinéraire emprunté par la meute de chiens lorsque les guerriers du Clan du Tonnerre les avaient attirés vers les gorges – vers leur fin. Son corps tout entier lui semblait engourdi, et son esprit ressassait l’horrible réalité : Étoile Bleue était morte. La forêt elle-même lui paraissait différente, presque plus étrange que le jour où il s’y était aventuré pour la première fois, alors qu’il n’était encore qu’un chat domestique. Rien n’avait l’air réel ; il avait l’impression qu’à tout instant les arbres et les roches allaient se dissiper comme de la brume. Un silence sans fin, inhabituel, étouffait le moindre bruit. La raison de Cœur de Feu lui soufflait que le gibier avait détalé à cause du vacarme de la meute, mais du fond de sa douleur, il lui semblait que la forêt elle-même observait un silence endeuillé. La scène dans les gorges repassait en boucle devant ses yeux. Il revit les mâchoires baveuses du chef de meute et sentit de nouveau ses crocs acérés s’enfoncer dans sa nuque. Il se rappela comment Étoile Bleue avait surgi de nulle part pour se jeter sur le chien et l’entraîner – avec elle – au fond des gorges. Il se crispa au souvenir de l’impact glacé lorsqu’il avait sauté dans l’eau pour sauver son mentor de la noyade ; ils avaient lutté désespérément contre uploads/Geographie/ une-sombre-prophetie-erin-hunter 1 .pdf

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