Vélo, bicyclette : histoire des mots Qu’est ce qu’un cycle ? Quelque chose qu

Vélo, bicyclette : histoire des mots Qu’est ce qu’un cycle ? Quelque chose qui tourne en rond ou qui avance ? Les deux : comme la roue, le cycle tourne autour d’un axe et progresse dans une direction. Le cycle est né de la nature où cette ronde dynamique se retrouve dans les mouvements des astres : leur cycle est l’éternel retour du temps qui passe et des périodes qui se succèdent. C’est la révolution permanente des planètes fidèles au rendez-vous, loin des étoiles filantes et autres stars capricieuses.  2C’est aussi le retour régulier des tours cyclistes, de France, du Burkina-Faso ou de Seine-et-Marne, de ces rondes (« le »Ronde, dit- on du Tour des Flandres) qui sont les chroniques de nos années de jeunesse : le temps circule et chaque tour de plus est un an qui meurt jusqu’à ce que la boucle soit bouclée et la vie révolue.  3On peut croire qu’un cycle se répète mais il progresse : un cycle d’études nous fait avancer vers le savoir comme une encyclopédie que l’on feuillette, moins pour faire le tour d’une question que pour dépasser notre ignorance. Notre esprit géométrique a trop tendance à opposer la droite au cercle, le temps linéaire au temps cyclique, le progrès indéfini à l’éternel retour. Beaucoup de ces cycles sont des spirales comme ceux des réincarnations qui se font plus haut ou plus bas dans l’échelle des êtres mais jamais au même niveau : l’âme indienne pérégrine comme un cycliste au Puy de Dôme ou comme un train dans un tunnel hélicoïdal : en s’élevant autour d’un obstacle dont le sommet est le nirvâna, avec vue plongeante sur les plaines laborieuses.  4« Cycle » vient du grec kuklos lui-même issu de l’indo- européen kwel exprimant l’idée de tourner autour. De cette racine sont dérivés, notamment, l’anglais wheel (roue), le français « pôle » (axe du monde) et, surtout, deux grandes familles de mot, celles du latin colere (cultiver) et du sanskrit chakra (roue du char).  5Le vocabulaire du culte et de la culture exprime un mouvement circulaire, celui de la charrue faisant le tour du champ et retournant la terre. De ce mouvement de la charrue naît paradoxalement la stabilité de l’habitat, la sédentarité de l’homme et de ses dieux, des exploitations agricoles et des lieux de culte. Avant même la roue, l’homme circulait avec ses machines et, tel Romulus traçant sur le Palatin le sillon de l’enceinte sacrée, le paysan romain pouvait faire le tour du propriétaire. Comme le tour du potier, immobile et créateur, le tour du champ était invariable et producteur. A remuer ainsi la terre et les idées, à tourner et retourner l’humus et les problèmes, naquit la Culture.  6La roue du char nous fait entrer dans le cycle des grandes invasions et dominations. En sanskrit, chakra désigne tout ce qui tourne ou forme un rond : moulin à huile, disque solaire, cercle de disciplines, centres d’énergie divine et roue du char, invention qui permit aux aryens de conquérir l’Inde. Ces roues qui chaussent aujourd’hui la petite reine servaient alors le grand roi, le chakravartin qui faisait tourner la roue de la Loi (dharma) et dont le modèle insurpassable fut le Bouddha.  7La roue de la bicyclette (mot apparu vers 1880) possède des origines aristocratiques et prolétariennes qui rappellent le char et la charrette. Le mot « bicyclette » est une francisation de l’anglais bicycle désignant un engin alors réservé aux hommes fortunés : le Grand Bi avec son immense roue arrière, grande comme celle d’un carrosse, faisait du cycliste un homme aussi haut placé que le cavalier et dominant la piétaille. Mais la démocratisation de la bicyclette engendra des diminutifs familiers comme celui de « bécane » (vers 1890), terme désignant auparavant une vieille machine.  8La bicyclette est rapidement entrée en concurrence avec le vélocipède, un mot désignant auparavant une voiture rapide (véloce) tirée par des chevaux (quadrupèdes) puis un coureur à pied, enfin un engin à deux ou trois roues (le tricycle précède le bicycle) mû par l’appui des pieds sur le sol avant que l’invention des pédales et de la chaîne ne fît quitter le sol aux pieds. De « vélocipède », dérivent, notamment, « vélodrome » (1879) et « vélomoteur » (1893).  9Le but premier du vélocipède est donc la vélocité. Les deux mots viennent du latin velox (vif, agile) lui-même issu du verbe vegere (donner de la force ou du mouvement) qui a donné le verbe français… « végéter », c’est-à-dire vivifier comme un végétal, mener une vie végétative. Tous ces termes sont issus d’une racine indo-européenne weg-s-los d’où viennent les verbes latins vigere (pousser avec vigueur), vigilare (veiller) et le verbe germanique wahten qui a donné le français « guetter » et le terme anglais to wake (être éveillé), to watch (surveiller) et watch (la montre qui surveille l’heure). Autant la vélocité évoque une force qui pousse, un arbre qui croît, autant la vigilance rappelle la tombée de la nuit et la ronde des heures.  10Voici donc le vélocipède en concurrence avec la bicyclette. Abrégé en « vélo », il rime avec « macho » ou « prolo » : rapidement le vélo deviendra l’auto du pauvre, outil des classes laborieuses et des champions populaires. Le vélo, c’est pour l’usine ou la course tandis que la bicyclette, qui rime avec trottinette, midinette et suffragette, apparaît comme la monture des demoiselles et des classes raffinées.  11Ce clivage, qui date du début du XXe siècle, est remis en cause par l’apparition du vélo tout terrain, ce VTT qui a les mêmes initiales que le véhicule transport de troupe et séduit hommes et femmes de toutes les catégories sociales. De même, l’usage des deux roues en milieu urbain transcende la lutte des classes et la rivalité des sexes : il est à la fois « populo », « intello » et « écolo ». Enfin, le VTC (vélo tous chemins), synthèse du VTT et du vélo urbain, réconcilie l’asphalte et le sentier : moins char d’assaut que le VTT, il retrouve une certaine douceur de formes rappelant la bicyclette d’autrefois.  12Bientôt de nouveaux mots symboliseront l’évolution de l’objet. Le monde du vélo a toujours été inventif, haut en couleurs, riche en argot : fatigué, le coureur a un coup de pompe, déhanché, il monte en danseuse, épuisé il roule sur la jante. Entre faire du bec de selle et mettre le nez dans le guidon, il y a tout le vocabulaire de l’effort né dans ces clubs de banlieue qui ont pour nom Guidon d’or versaillais, Petite reine blanc-mesniloise ou Pédale charentonaise. C’était au temps où, dans le vieux Vel d’Hiv, des hommes tournaient en rond pendant six jours comme un ouvrier abattant sa semaine ou Dieu façonnant le monde. Et le septième jour était celui du repos pour clore la période d’effort et le cycle de la création. uploads/Geographie/ velo.pdf

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