Il y a 40 ans, une nuit en Ariège … Pourquoi aujourd’hui, pourquoi ce coming-ou
Il y a 40 ans, une nuit en Ariège … Pourquoi aujourd’hui, pourquoi ce coming-out bien modeste quarante ans après ? Certainement pas pour me mettre en valeur, les faits sont loin d’être héroïques et je n’en tire aucune fierté. Ils ont causé des gênes collatérales à des compatriotes ariégeois et je le regrette. Non, c’est seulement que j’atteins un âge auquel on n’a plus grand-chose à cacher et qui invite à se pencher sur ses jeunes années, au risque de le faire avec une bienveillance coupable ou une sévérité exagérée. Je voudrais convoquer la mémoire d’une jeunesse agitée avant que le souvenir ne s’en efface à jamais, une jeunesse qui fut la mienne mais aussi celle de milliers baby- boomers. Inutile de préciser que tout ce que je dévoile, tant dans le récit de cette nuit ariégeoise que dans l’évocation des années 70, est rigoureusement exact. Travestir la vérité n’aurait aucun intérêt, il y a des écrivains talentueux pour ça. Bien sûr mes souvenirs peuvent me trahir sur certains détails. Au-delà des faits, je me suis aussi efforcé de traduire mes pensées de l’époque en évitant tout anachronisme. ***** Ce soir-là nous ne sommes pas armés. Pas besoin. Trop dangereux. Vol de nuit avec port d’arme, ça vaut encore la peine de mort. Plus jamais donnée bien sûr. Mais quand même. Alors les armes, c’est seulement pour braquer. Ce soir on ne braque pas. On cherche, on trouve, on prend. Nous sommes arrivés, Fred et moi, à St Girons en milieu d’après-midi avec ma Citroen. Il était prévu de trouver un autre véhicule sur place. Pour transporter la marchandise. La ville quittait tranquillement l’été. Plus de touristes mais pas encore de collégiens dans les rues. Nous sommes revenus sur les lieux. Impossible d’aller derrière le bâtiment sans se faire remarquer. Pour nous, il doit y avoir un espace aménagé dans le flanc de la colline. Pas possible que les explosifs soient stockés dans la maison. Nous verrons bien ce soir. Nous avons fait une heure de surveillance. Fred au bord du Salat, en contrebas. L’antenne de son talkie déployée, comme s’il pêchait. Moi un peu plus loin dans ma voiture. Nous espérions suivre une livraison qui nous aurait menés à une carrière. Mais rien n’a bougé. On n’a pas pu se maintenir. Fallait se replier. Il y a un chien dans l’enceinte. Nous sommes allés dans une boucherie de la rue Villefranche pour acheter de la viande. On improvisera sur place. Le reste de l’après-midi, nous l’avons passé à chercher un endroit propice pour prendre le véhicule porteur. Assez éloigné, mais pas trop. Nous avons atterri aux papeteries Bergès à lorp. Il y a des autos, du bruit, peu de lumière, ça ira. Nous dînons dans un petit restau sur le quai du Gravier. Il y a là un type qui vient du bout du monde. Pour jouer au rugby. Un Néo-Zélandais. Je discute un moment avec lui. Sympa. Puis je lis La Dépêche au café. On parle des suites d’Aleria. Encore des arrestations. On parle des négociations sur le vin italien. Ca chauffe de plus en plus dans le Midi. On ne va pas s’en plaindre. Tiens, on parle aussi du tunnel de Salau. Pourrait bien devenir un combat emblématique. Sûr qu’on se heurtera aux écolos. Tant pis. Le désenclavement du Couserans, ça m’intéresse. En plus ça ferait un second accès vers le Haut Aran. Il faudra un jour une base de repli. Autant l’envisager dés maintenant. J’ai décidé que ce serait Barcelone. Rien ne vaut une frontière. On avait aussi les vallées italiennes, pas mal implantées (MAO*). Mais l’Italie, c’est déjà le Marché Commun. A terme il y aura une coopération entre les justices. Et puis il faut une grande ville. Turin et Milan ne sont rien pour nous. L’Espagne de Franco ne nous fera pas d’histoires si on se fond dans la masse. Aucune relation avec les Catalanistes tant que Franco est là. A chacun sa guerre. Quand nous repartons, les gens sont devant leur télé. Il y a des lueurs bleues un peu partout derrière les baies ouvertes. Au programme, Salvator et les mohicans de Paris sur TF1. Le mystère Frontenac sur Antenne 2. Le bel Antonio avec Mastroianni sur FR3. Dommage, j’aurais bien regardé le Mauriac. Vers minuit nous laissons ma Citroen à quelques centaines de mètres de la papeterie. La lune est en partie voilée, une demi-lune montante. Mais il fait bon dans la plaine de St Lizier, la météo annonçait 22°. Le temps, c’est toujours un facteur important en opération. La pluie étouffe les bruits et fait rentrer les gens. La chaleur fait ouvrir les fenêtres, entrouvrir les volets. Là c’est délicat. Pas de problème ce soir. Les machines de la papeterie ronronnent. Suffit juste de faire le guet pour que personne ne nous tombe dessus. Nous approchons du parking. Il y a quelques autos rangées le long du bâtiment. Bingo ! Nous n’aurons même pas besoin de sortir les outils. Il y a une Peugeot prête à partir. Trop facile ! Démarrage sans feux jusqu’à la route, deux minutes plus tard je reprends ma Citroen et nous regagnons St Girons en convoi. Le cinéma a éteint ses lumières. Il est désert. On y donnait un James Bond, Opération Tonnerre. Une de nos premières cibles, avant Noël , sera le coffre de la grande poste de l’avenue Etienne Billières à Toulouse. Et oui, sans nerf de la guerre, pas de guerre. Nous avons déjà fait un repérage en juillet. J’ai fait venir de Bordeaux mon ami Paul. Paul a été artificier dans les commandos de marine. Il a sacrément bourlingué, Madagascar et tout le tintouin. Nous avons passé 24 h à Toulouse, dormi à l’hôtel Regina à Matabiau. Après étude des lieux, nous avons décidé qu’un véhicule piégé sauterait à la Patte d’Oie pour faire diversion. Je me gare assez loin, près de l’ancien pont métallique, à la naissance de l’avenue Gallieni. Fred me prend au passage. Nous abordons la plaine. Après l’entrepôt, c’est quasiment désert jusqu’à Eycheil. Peu de lumières en bordure de la ville. Fred dépasse la cible pour aller faire demi-tour un peu plus loin. La route est étroite à cet endroit. Il manœuvre rapidement en guettant les phares qui pourraient survenir. Côté Eycheil la vue porte loin. Mais du côté de la ville le virage est proche. Il faut faire vite. Pas de chance ! En passant la marche arrière, le moteur cale. Nous voici en travers de la chaussée et ce démarreur qui tourne en vain. Reurrrrrrr…Reurrrrrr. Fred insiste. Cette minute me semble une éternité. Je tourne la tête fébrilement d’avant en arrière pour surveiller les horizons opposés. Rien à faire. Le moteur est noyé, la batterie montre déjà des signes de faiblesse. Il faut prendre une décision. Le démarreur se tait, tout autour c’est le silence, on perçoit à peine le bruit du Salat à son plus bas niveau d’étiage en cette fin d’été. Nous décidons d’abandonner la voiture. Pas question de se lancer dans la mécanique au bord de la route. Nous n’avons pas les horaires des patrouilles. Si l’Estafette des gendarmes survient, nos chances seront maigres avec la falaise d’un côté et la rivière de l’autre. Tant pis, il est à peine minuit. Nous devons en trouver une autre. Nous poussons la Peugeot sur le bas côté en prenant garde de ne pas empiéter sur la chaussée. Le temps de remonter les glaces et de refermer doucement les portières, nous voilà à pied sous la lune. La cible est toujours calme, elle nous attend. Ce sera pour plus tard. Nous la dépassons pour atteindre le virage en haut de la côte qui mène à St Girons. Soudain nous apercevons une bicyclette, là sur la droite. Pourquoi pas ? Nous gagnerons du temps. On sera toujours à temps de la jeter à terre à la première alerte. Fred l’enlève sans bruit et l’enfourche tandis que je monte sur le porte-bagages. Elle est vieille, elle grince. Je ne peux m’empêcher de sourire de la situation. Fred ne rit pas, il mouline comme un forçat. Bientôt nous avons avalé l’avenue Gallieni, puis la rue Villefranche jusqu’à la place menant au pont sur le Salat. Nous voilà dans la vieille ville. Nous abandonnons notre destrier contre le mur de l’église et sillonnons à pied le quartier des Jacobins, le quai du Gravier. Soudain une Citroën nous parait possible. Elle n’est ni jeune ni grande. Mais à presque une heure du matin, on ne va pas faire les difficiles. Ces modèles démarrent avec un simple tournevis. Nous ne sommes pas longs à en trouver un. Une chance, elle part au premier coup. Marche arrière, un ultime coup d’œil aux volets des étages, et nous voilà repartis. Du côté d’Eycheil, tout est calme. Cette fois nous n’avons pas droit à l’erreur. Bientôt la Citroen est garée non loin de la Peugeot abandonnée. Ce n’est pas plus mal, deux autos attirent moins l’attention qu’une seule isolée. Un sac de voyage sous uploads/Geographie/ vol-de-dynamite-une-nuit-en-ariege.pdf
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- Publié le Aoû 19, 2021
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