Journal de la Société des océanistes Vue générale d'histoire calédonienne Jean-
Journal de la Société des océanistes Vue générale d'histoire calédonienne Jean-Paul Faivre Citer ce document / Cite this document : Faivre Jean-Paul. Vue générale d'histoire calédonienne. In: Journal de la Société des océanistes, tome 9, 1953. pp. 9-23; doi : https://doi.org/10.3406/jso.1953.1765 https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1953_num_9_9_1765 Fichier pdf généré le 03/05/2018 r r VUE GENERALE DE L'HISTOIRE CALÉDONIENNE Lorsque la souveraineté française sur la Nouvelle-Calédonie fut proclamée à Balade, le 24 septembre 1853, par le contre-amiral Auguste Febvrier Despointes, commandant la division navale du Pacifique, il y avait exactement soixante-dix-neuf ans et vingt jours qu'en ce même lieu avait abordé l'illustre James Cook, le plus prodigieux collectionneur d'îles océaniennes. Il découvrit la Nouvelle- Calédonie, et d'emblée la baptisa. Et à partir de 1788, la terre la plus proche, à 1.500 kilomètres, fut une terre anglaise, la Nouvelle- Galles du Sud. Qu'est-ce que cette autre Nouvelle-Ecosse attendait pour devenir anglaise à son tour? La providence n'y fut pour rien. Comme d'autres terres par l'anophèle ou la mouche tsé-tsé, la Nouvelle-Calédonie fut longtemps défendue par les madrépores, architectes du grand récif. Derrière ce rempart où l'on risquait de s'accrocher sans rémission, une détestable réputation de cannibales, faite aux vieux Canaques non par Cook qui les avait trouvés serviables et courtoisi, mais par les compagnons de d'Entrecasteaux (1793) qui eurent à se plaindre de vols, d'attaques, et à tirer le canon. Bref, une terre à épouvanter les petits garçons lecteurs de Jules Verne et de ses émules. Troisième défense : la pauvreté du sol, attestée par les deux navigateurs, et l'insignifiance d'une escale située à l'écart des grandes routes d'alors. Les Anglais vinrent pourtant les premiers. Déportés de leur route, les navires allant vers Sydney ou en revenant, tentent parfois de s'y ravitailler : en 1803, le capitaine Kent, du Buffalo, découvre le Port- Saint- Vincent. Ou bien chercheurs d'aventures, plutôt de gains palpables. Il est amusant que la gourmandise, le goût du luxe — même funéraire — des mandarins chinois soient à l'origine de tant de découvertes ou d'annexions en Océanie. Épuisés ailleurs, les bois de santal, les bancs d'holothuries {trépang) attirèrent enfin les trafiquants en Nouvelle-Calédonie, vers 1840-1850, et dans ses lieux les plus acces- 1*. 10 SOCIÉTÉ DBS OCÉANISTES. sibles : île des Pins, côte Est où les passes du récif sont plus nombreuses, où Hienghène devient un centre anglo-saxon. Les Canaques eurent ainsi leur premier contact prolongé avec la civilisation européenne. Pas par les meilleurs côtés : armes, trafics plus ou moins probes, débauches, alcool. Les droits d'exploitation du santal, vendu fort cher à Canton au prix d'un grave déboisement, se payaient aux Canaques d'abord en tessons de vieilles bouteilles. Puis — image d'Épinal typique — en clous, verroterie, tissus. Saluons au passage le grand Paddon, aventurier honnête, qui leur fit apprécier le premier la valeur du sterling, payant raisonnablement et honorant ses dettes. 11 fut aussi le premier à s'installer, à l'île Nou, sur l'emplacement futur de Nouméa (1851) où son établissement allait fixer l'attention des Français. Les missionnaires arrivèrent à peu près en même temps. Envoyés sur l'initiative de John Williams, le martyr d'Erromango (1834), des catéchistes polynésiens profitèrent du bouillonnement qui agitait alors leur race depuis la fin du XVIIIe siècle, la jetant aux Loyalty, aux rives de la Grande Terre (Tuauru). Ils établirent des contacts avec ces compatriotes, avec les chefs canaques. Mais les Canaques restèrent impénétrables. Certains teachers mêlèrent naïvement l'Évangile et le bois de santal, avec des effets désastreux (à l'île des Pins). Au lieu des pasteurs annoncés, ce furent les Pères Maristes de l'indomptable évêque d'Amatha, Guillaume Douarre l'Auvergnat, qui s'établirent à Balade. C'est toujours le seul point connu des Français jusqu'à Febvrier Despointes — le seul qui figure dans les classiques de l'exploration. C'est là qu'entre 1843 et 1853 le rayonnement français paraît devoir s'établir — presque à la pointe Nord-Est de l'île. Le pavillon tricolore y flotta jusqu'au naufrage de la Seine (1846) chargée de le retirer — malgré les premières réticences de l'évêque, qui jugeait sans doute son clergé insuffisant — comme armée d'occupation. Mais on ignore en général que la première prise de possession de la Nouvelle-Calédonie — plus complète que celle de 1853 parce que signée des chefs de Balade et de leurs parents, auxquels on guida la main — fut celle du lieutenant de vaisseau Julien Laferrière, commandant le Bucéphale, et qui en conduisant les missionnaires était officiellement chargé de l'accomplir, le 1er janvier 1844. La France venait de prendre possession des Marquises, de Tahiti (mai- septembre 1842) et paraissait à la veille d'une poussée d'expansion en Océanie, que l'affaire Pritchard vint interrompre. Guizot pensait à juste titre que les plus belles îles du monde ne valaient pas une guerre avec les Anglais. CENT ANS D'HISTOIRE. 1 t Si l'Angleterre n'avait pas souffert, entre 1780 et 1800, d'un excédent de bouches misérables à nourrir et que, faute de mieux, on mettait en prison, jamais l'Australie n'eût été colonisée, et la transportation pénale ne fût pas apparue comme une panacée aux yeux de Français inquiets à leur tour du surpeuplement des bagnes métropolitains. La suppression de la peine de mort en matière politique et les troubles de juin 1848 placèrent la déportation à l'ordre du jour. On mit longtemps à se décider, sous réserve, en faveur de la Nouvelle-Calédonie, éloignée et peu connue. Mais il est curieux de voir aux origines de la mission, comme aux origines du bagne, un courant nouveau d'opinion, qui tient à la présenter comme une terre fertile. La vérité est sans doute entre les deux. Mais on saisit sur le vif les procédés des propagandes coloniales — dont ensuite on usera jusqu'à la corde pour attirer les colons : missionnaires ou marins, pour des raisons à eux connues, en étaient venus à souhaiter l'annexion. Il fallait ou séduire le public, ou l'accoutumer à quelque nouvelle entreprise. Et après tout, quel expert agronome était jamais allé dans la Calédonie d'alors? C'est sans doute Benjamin Balansa, vers 1870, qui recommencera à voir clair. Mais il semble qu'en Nouvelle-Calédonie, malgré ce que Jules Garnier rapporte des compagnons de Cook et d'Entrecasteaux, on ait pendant près d'un siècle oublié les richesses minérales possibles. Jusqu'au rush du nickel de 1874, c'est sur la fertilité du sol, la salubrité et la bonté du climat, que porte l'accent. On a dès le début voulu faire une colonie de peuplement — libre ou contraint. UAlcmène, commandant d'Harcourt, avait été expédié en 1850 pour reconnaître la Grande-Terre. L'équipage d'un canot avec ses officiers fut massacré aux îles Yenghiebane. Il fallait donc assurer la sécurité aux navires de passage, protéger également les missionnaires, expulsés en 1847 de Balade et qui, âmes en peine, cherchaient autour de l'île un lieu où se fixer. La navigation à vapeur remettait à la mode les escales du Pacifique, où l'on voyait déjà, avec pas mal d'avance, l'océan de l'avenir. La marine anglaise se multipliait aux abords de la Calédonie, où Sydney menaçait d'établir une station charbonnière pour une ligne vers Panama. On pouvait avoir besoin — malgré la Guyane — d'un bagne tenu en réserve, et les marins s'étaient dans toutes les commissions prononcés en faveur de la grande île. L'ardre fut donc donné (avril-mai 1854) à trois officiers différents d'annexer la Nouvelle-Calédonie — si personne ne l'avait 1*2 ' SOCIÉTÉ DES 0CÉAN1STES. encore fait. Le mot d'ordre était alors l'Entente cordiale : l'Angleterre, par besoin de l'alliance française en Méditerranée, fermerait les yeux. Il y eut donc une course à la Nouvelle-Calédonie, mais, contrairement à la légende, entre Français seulement. Febvrier Despointes arriva le premier, organisa le poste de Balade, arrangea le ravitaillement et, avec l'appui mais souvent à l'encontre des conseils des missionnaires (les PP. Rougeyron, Montrouzier, Goujon), esquissa une politique indigène, peu satisfaisante parce que dépourvue d'expérience (septembre-décembre 1853). Tardy de Montra vel, ancien compagnon de Dumont-d'Urville, jeune capitaine de vaisseau accouru des mers de Chine à bord de la Constantine, voulut faire mieux. Il multiplia les prises de possession. Il rédigea un code destiné à l'assimilation des Canaques. Il entreprit une sérieuse reconnaissance côtière : depuis dix ans au moins les Anglais connaissaient assez bien le récif, le lagon et le rivage. Mais surtout il orienta définitivement les destinées de l'île en abandonnant Balade et le Nord-Est pour le Sud- Ouest et Nouméa, important point stratégique où Paddon venait de se fixer, qui fut fondé sous le nom de Port-de-France le 25 juin 1854. Excellente aiguade, choisie par un marin, mais qui pour une agglomération de quelque importance devait vite manquer d'eau potable. Les marins avaient fondé la Nouvelle-Calédonie et l'administrèrent d'abord : de loin tant qu'elle dépendit des Établissements français d'Océanie, à 4.000 kilomètres à l'Est; comme gouverneurs indépendants à partir de 1860 et jusqu'en 1884. Au rôle colonial de l'armée, inauguré en Algérie, se substitua, par un retour aux traditions d'Ancien Régime dû au caractère lointain de nos nouvelles possessions, Faction colonisatrice de la marine. On le reverra en Indochine, entre 1858 et 1878. Tardy de Montravel avait donné la capitale, Guillain, Courbet, Pallu uploads/Geographie/ vue-generale-d-x27-histoire-caledonienne.pdf
Documents similaires










-
23
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 10, 2021
- Catégorie Geography / Geogra...
- Langue French
- Taille du fichier 1.2618MB