Les villes photographiées de Stéphane Couturier : Nouvelles tentatives de défin
Les villes photographiées de Stéphane Couturier : Nouvelles tentatives de définitions Yosra zaghden Introduction : Le propre de la ville est d’emmêler le réel et l’imaginaire. Construite avec des pierres et du béton autant qu’avec des dimensions sociales, symboliques et affectives, la ville ne coïncide pas assurément avec l’urbain. Elle est plutôt le lieu d’échanges multiples entre une vie sociale, politique, économique… et une matérialité urbaine. La ville est, d’ici, un lieu où se concrétisent et s’affichent des logiques qui dépassent l’urbain, et c’est ainsi qu’elle crée sa propre logique. Définir la ville ne serait pas alors une tâche aussi facile qu’elle parait l’être. Sujet d’études des sociologues, architectes, urbanistes, philosophes, économistes… la ville suscite une diversité de points de vue qui nous sert, d’avantage, d’élucidation autant qu’elle trahit l’impossible limitation d’une définition de la ville à l’urbain. Les artistes, entre autres intéressés de la ville et en l’occurrence les artistes photographes, proposent leur propre vision de la ville dans des représentations qui la réinventent. Ces représentations sont, en quelque sorte, une « définition » de la ville mettant en avant une explication qui détermine son sens. Les « définitions » des artistes ne ressemblent pas, certes, aux définitions énonçant le sens d’un concept. Ce sont plutôt des définitions qui forgent un sens alternatif et qui proposent une forme autre pour le rapport du terme ville à l’objet ville qu’il désigne : il s’agit d’une forme artistique. Les travaux de Stéphane Couturier montrant la ville dans des images photographiques, nous fourniront une occasion pour « définir » la ville par le biais du photographique, aussi bien que pour définir le photographique par la ville. La photographie n’est pas, en fait, dans ce que nous tentons de ressortir, une simple technique de monstration. Elle est, en quelque sorte, une représentation inhérente à la ville qui épouse ses formes et qui nourrit sa richesse aussi bien que son ambigüité pour être, en retour, elle-même enrichie, voire redéfinie. L’image photographique en tant qu’une empreinte de son référent par le biais de la lumière, impose sa considération comme un enregistrement, une documentation, un « ça a été » selon Barthes (Barthes, 1980) … malgré son inévitable inscription dans les codes. En ce qui concerne Couturier, s’il a recours à la photographie pour enregistrer la ville, ce n’est que pour la définir comme il la conçoit. Définir la ville en usant de la capacité d’enregistrement du médium photographique est une attestation implicite de la part de l’artiste, de sa conscience de la ville en tant qu’une articulation du matériel et de l’immatériel. En fait, pour Couturier, mettre en vue la matérialité de la ville, c’est aussi traiter de ses dimensions immatérielles (symboliques, sociales…). Qu’en est-il alors de la contigüité physique entre l’image photographique et son référent/ville ? La photographie est-elle capable de définir la ville ou est-ce que des facettes de celle-ci lui échappent inévitablement puisqu’elles ne se plient pas aux lois de la présence physique ? Alors quelle définition de la ville par la photographie, et en quoi cette même ville contribuera-t-elle à redéfinir la photographie ? I. Quelle « définition » de la ville dans l’œuvre de Stéphane Couturier ? Considérée comme une « opération de l’esprit (qui) consiste à déterminer la compréhension caractérisant un concept » (Lalande, 1926 : 207), la définition est une formule dont les divisions se ramifient, selon Lalande dans son Vocabulaire technique et critique de la philosophie, en trois sortes : « nominales, réelles et génétiques » (Ibid : 210). Si les deux premières expriment « l’essence d’une chose » (Ibid : 209), « la troisième consiste à considérer le défini dans son progrès et son devenir, à en faire connaître la génération. L’originalité de cette classe de définitions est généralement reconnue, mais elle peut elle- même se subdiviser et recevoir des sens assez différents » (Ibid : 210). Lalande différencie, dans ce contexte, entre des « définitions explicatives » et des « définitions constructives ». (Ibid : 211). La définition génétique appartient, en l’occurrence, à la classe des définitions constructives puisqu’elle propose une définition inventée du défini. Ce dernier acquiert, bien entendu, une définition qui le considère au cours de son devenir, de sa construction. Dans le cas de Couturier (qui en créant sa propre représentation de la ville tente de la rendre plus compréhensible, certes d’après son point de vue), on a affaire à la troisième sorte de définition : la définition génétique. Celle-ci peut-être appréhendée en tant qu’une définition constructive et non pas explicative. L’artiste ne tâche pas, évidemment, à donner une formule lisible qui explique la ville, mais s’aventure à lui construire une définition alternative qui prend la forme d’une proposition visible. En s’inscrivant dans la catégorie des définitions génétiques, l’œuvre de Couturier invente une définition de la ville définie : il s’agit d’une définition inventée dans son contenu aussi bien que dans sa forme. « Définir » la ville selon les pistes qu’offre la catégorie de la définition génétique, serait donc une nouvelle construction du sens qui s’appuie sur des possibilités inédites : l’acte définitoire ne prend plus forme dans le lisible, mais plutôt dans le visible. Le concept « habiter » (Lefebvre, 1970) est fondamental quand il s’agit de définir la ville. Il est important, voire même indispensable pour la compréhension de l’urbain aussi bien que de l’humain. L’espace urbain contribue, en fait, à construire les traits de l’humain, lequel s’affirme, en retour, comme étant un paramètre insurmontable pour élucider l’espace de la ville dans une interaction qui se veut ontologique par excellence. L’enchevêtrement du matériel et de l’immatériel est ce que la ville a de plus éminent. C’est en abordant les relations qui ont lieu au sein de cet enchevêtrement qu’on peut forger une définition de la ville. Les travaux de Stéphane Couturier se logent au sein même des interconnexions qui façonnent l’« habiter », qui le placent entre le spatial et l’humain et l’ancrent dans la définition de la ville telle que la proposait Y.Grafmeyer comme étant une ville qui est « à la fois territoire et population, cadre matériel et unité de vie collective, configuration d’objets physiques et nœud de relations entre sujets sociaux. » (Grafmeyer & Authier, 2008 : 2) Ses images visualisent des villes de partout dans le monde : Paris, Alger, Mexique, Barcelone, Prague… en misant sur « l’habiter ». L’artiste focalise son attention sur la ville en éclairant sa face habitée même s’il ne nous présente aucun personnage dans ses images. La ville, pour Stéphane Couturier, est son architecture, mais aussi son histoire et son humain. C’est alors la manière que les habitants suivent pour s’approprier de la ville qui façonne la vision de l’artiste. Des « strates de l’histoire » (Duyck, 2016) de la ville sont proposées par Couturier, et c’est au regardeur de ses images de creuser ces strates, à la manière de l’archéologue peut-être, pour comprendre la ville, son architecture aussi bien que son côté humain. Dans l’architectural, Couturier vise à montrer comment l’homme est arrivé à s’approprier de son espace habité tout en l’imprégnant, il déclare dans ce contexte : « Ces lieux exercent sur moi une véritable fascination. Par leur beauté un peu défraîchie, mais aussi parce qu’ils concentrent tout ce que j’explore dans mon travail : l’architecture, l’histoire, l’humain. Je m’intéresse à la façon dont les habitants se sont approprié cette architecture. » (Duyck, 2016) Les images photographiques de Stéphane Couturier mettent en évidence le double aspect d’une ville qui s’exhibe et qui s’efface en trop s’affichant. Le trop d’exposition de la ville est, pour les habitants qui la fréquentent tous les jours, une sorte de sous-exposition, une oblitération de l’existant par l’existant lui-même. L’excès de présence que crée l’habitude n’est qu’une manière de soustraire l’existant de son existence, son existence physique persiste, certes, mais c’est l’existence affective qui se trouve en péril. La ville étant un mélange de matériel et d’immatériel, de physique et d’affectif ; est un espace qui, à force d’être traversé, parcouru et pratiqué au sein du quotidien, se meut en un espace hermétique impossible à franchir malgré son apparente ouverture. La conscience du monde n’a pas, en fait, simplement lieu quand un sujet existe face à lui, mais quand la conscience de ce sujet se rapporte au monde en usant du mode de la visée. La surprise face au monde joue un rôle important quand au remuement de la conscience. On est surpris lorsqu’une divergence s’installe entre les connaissances qu’on croyait posséder et les nouvelles connaissances émergentes, lorsqu’on se situe au niveau de l’entre-deux, c’est-à-dire au niveau de l’opposition entre deux représentations ; l’une relative au passé de nos certitudes et l’autre au présent de la découverte. Dans ce cadre, l’expérience de défamiliarisation par rapport à la ville que proposent les photos de Couturier est due à un choc esthétique après lequel règnent le dépaysement et la désorientation, qui sont des conditions essentielles pour l’accomplissement du plaisir esthétique. Le médium photographique est, avec Couturier, un outil qui nous aide à dépasser ce que Georges uploads/Geographie/ yosra-zaghden-5 1 .pdf
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- Publié le Fev 11, 2022
- Catégorie Geography / Geogra...
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