Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. Colloque international Jules
Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. Colloque international Jules Verne. Le partage des savoirs : réalités et utopies. 24 et 25 janvier 2008. Nantes. Le partage des savoirs et la figure d’Epistémon, de François Rabelais à Cornélius Castoriadis. Georges Bertin. CNAM des Pays de la Loire. « L ’esprit humain est exposé aux plus surprenantes injonctions, sans cesse il a peur de lui-même » Georges Bataille, L ’Erotisme, Minuit, 1957. Résumé. La figure d’Epistémon chez Rabelais, celui qui dit « je sais » dans l’histoire, et qui « perd la tête », n’est –il pas l’image de la science, du savoir, plus exactement, chez cet immense auteur, celui d’un « partage du savoir », écartelé entre voces et res ? Débat encore actuel au Siècle des Lumières, comme nous le montrerons chez Condorcet et de façon plus actuelle dans les écrits 1 Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. de Cornélius Castoriadis pour opter avec Gilbert Durand à la nécessité de restaurer la pensée symbolique. Mots clefs : savoir, connaissance, imaginaire social, autonomie, symbolique. François Rabelais (1494?-1553). Il y a quatre cent cinquante cinq ans cessait le rire de François Rabelais. Et « pour ce que rire est le propre de l’homme », il est intéressant, au moment où cette rencontre questionne le « partage des savoirs », de nous interroger ensemble sur une des figures qui pour être annexe à l’un de ses héros, sans doute moins traditionnellement connus que Gargantua, Pantagruel ou Panurge, mais dont le nom EPISTEMON signifie précisément « celui qui sait, qui est instruit, qui a de l’expérience ». Rabelais utilise là ce que l’on a appelé un procédé anthroponymique pour désigner un phénomène. Cette figure nous semble de fait révélatrice de la rupture qu’engendre tout rapport au savoir en même temps qu’elle interroge la scolastique dont notre époque est loin d’être libérée, y compris au cœur de la cité savante. « Ainsi donc comme ilz cherchoient, ils le trouvèrent tout roide mort, et sa teste entre ses bras toute sanglante. Lors Eusthenes s'écria : «Ha ! male mort, nous as tu tollu le plus parfaict des hommes !» A laquelle voix se leva Pantagruel, au plus grand deuil 2 Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. qu'on vit jamais au monde. Et dist à Panurge : «Ha ! mon amy, l'auspice de vos deux verres et du fust de javeline estoit bien par trop fallace !» Mais Paiiurge dist : «Enfans, ne pleurez goutte, il est encores tout chault, je vous le gueriray aussi sain qu'il fut jamais». Ce disant print la teste, et la tint sur sa braguette chauldement, afin qu'elle ne print vent. Eusthenes et Carpalim portèrent le corps au lieu où ilz avoient banqueté, non par espoir que jamais guerist, mais afin que Pantagruel le vist. Toutesfois, Panurge les reconfortoit, disant : «Si je ne le guerys, je veulx perdre la teste (qui est le gaigé d'un fol) ; laissez ces pleurs et me aidez». Adonc, nettoya très bien de beau vin. blanc le col, et puis la teste, et y synapisa de pouldre de diamerdis, qu'il portoit tousjours en une de ses fasques ; après les oignit de je ne sçay quel oignement : et les afusta justement vene contre vene, nerf contre nerf, spondyle contre spondyle, afin qu'il ne fust tortycolly, car telles gens il haissoit de mort. Ce faict, luy fit à l'entour quinze ou seize points d'agueille, afin qu'elle ne tombast de rechief ; puis mit à l'entour un peu d'un unguent qu'il appeloit resuscitatif. Soudain Epistemon commença respirer, puis ouvrir les yeulx, puis baisler, puis esternuer, puis fit un gros pet de mesnage. Dont dist Panurge : «A ceste heure est il guery asseurement». Et luy bailla à boire un verre d'un grand villain vin blanc, avec une roustie sucrée. En ceste façon fut Epistemon guery habilement, excepté qu'il fut enroué plus de trois semaines, et eut une toux seiche, dont il ne peult onques guérir, sinon à force de boire 1». Par exemple, que se passe-t-il concrètement lors de la résurrection d’Epistémon ? Panurge, à l’aide d’onguent et de manipulations parodiquement médicales, ressuscite un décapité. Bouffonnerie de carabin ? Ou plutôt description d’un épisode où une matière rend ici vie à la matière. L ’opération de Panurge ne fait jamais appel à la moindre force surnaturelle, ni au moindre souffle, ni à la moindre 1 Rabelais - Pantagruel, chap.XXX (1532) 3 Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. transcendance, mais, sous la bouffonnerie, pointe une conception très articulée du souffle matériel de l’âme. Que les esprits soient ici des souffles matériels, c’est une conception issue de la médecine du temps, celle d’un Gay Scavoir. On en trouve d’ailleurs déjà l’explication dans un autre passage du Pantagruel, la fameuse lettre de Gargantua à son fils. « Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées (…). Tout le monde est plein de gens savans, de précepteurs très doctes, de librairies très amples (…). Je voy les brigans, les boureaulx, les avanturiers, les palefreniers de maintenant, plus doctes que les docteurs et prescheurs de mon temps. Que diray-je? Les femmes et les filles ont aspiré à ceste louange et manne céleste de bonne doctrine. Tant y a que en l'eage où je suis, j'ay esté contrainct de apprendre les lettres grecques, (…) attendant l'heure qu'il plaira à Dieu, mon Créateur, me appeler et commander yssir de ceste terre. Par quoy, mon filz, je te admoneste que employe ta jeunesse à bien profiter en estudes et en vertus. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon, dont l'un par vives et vocales instructions, l'aultre par louables exemples, te peut endoctriner. J'entens et veulx que tu aprenes les langues parfaictement(…) Des ars libéraux, géométrie, arisméticque et musicque, je t'en donnay quelque goust quand tu estoit encores petit, en l'eage de cinq à six ans; poursuys la reste, et de astronomie saiche-en tous les canons; laisse-moy l'astrologie divinatrice et l'art de Lullius, comme abuz et vanitéz. Du droit civil, je veulx que tu saiche par cueur les beaulx textes et me les confère avecques philosophie. Et quant à la congnoissance des faictz de nature, je veulx que tu te y adonne curieusement : qu'il n'y ait mer, rivière ny fontaine, dont tu ne congnoisse les poissons, tous les oyseaulx de l'air, tous les arbres, arbustes et fructices des foretz, toutes les herbes de la terre, tous 4 Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. les métaulx cachéz au ventre des abysmes, les pierreries de tout Orient et Midy, rien ne te soit inconneu. Puis sougneusement revisite les livres des médicins grecz, arabes et latins, sans contemner les thalmudistes et cabalistes, et par fréquentes anatomies acquiers-toy parfaicte congnoissance de l'aultre monde, qui est l'homme. Et par lesquelles heures du jour commence à visiter les sainctes lettres (…) Somme, que je voy un abysme de science : car doresnavant que tu deviens homme et te fais grand il te fauldra yssir de cette tranquillité et repos d'estude, et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison, envers tous et contre tous, et hantant les gens lettréz qui sont tant à Paris comme ailleurs. Mais, parce que selon le saige Salomon sapience n'entre poinct en âme malivole2 et science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te convient servir, aymer et craindre Dieu, et en luy mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et par foy, formée de charité, estre à luy adjoinct en sorte que jamais n'en soys desanparé par péché. Aye suspectz les abus du monde. Ne mets ton cueur à vanité, car ceste vie est transitoire, mais la parole de Dieu demeure éternellement. Soys serviable à tous tes prochains et les ayme comme toy-mesmes. Révère tes précepteurs. Fuis les compaignies des gens èsquelz tu ne veulx point ressembler, et les grâces que Dieu te a données, icelles ne reçoipz en vain. Et quand tu congnoistras que auras tout le sçavoir de par delà acquis, retourne vers moy, affin que je te voye et donne ma bénédiction devant que mourir. » (Pantagruel, chapitre 8) La célèbre lettre de Gargantua à son fils semble, par exemple, omettre toute mention de l’immortalité de l’âme, il décrit in fine un monde réconcilié par l’harmonie des éléments imprégné d’une culture, celle de la Renaissance qui est une noétique spécifique 2 malveillante, perverse. 5 Georges Bertin, Epistémon et le partage du savoir. pouvant considérer sans hérésie qu’en, de certains sens, l’esprit meurt, comme la tête d’Epistémon fut tranchée. Sans toutefois prescrire la fréquentation des disciplines thématiques, il découvre que la valeur et le sens de ma vie, c’est à l’homme d’en décider : qu’il peut être cause de soi-même, dessiner son parcours même s’il sait qu’il peut être interrompu à tout moment, brutalement, qu’il peut décider de devenir ce qu’il est de développer ses dons, de penser. Il y a là une posture tragique: affirmer sa vie et ses dons, malgré la mort qui nous guette. uploads/Geographie/la-figure-d-x27-epistemon-rabelais-condorcet-castoriadis-durand.pdf
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