La Terre des Femmes et ses Magies Par Jocelyn e BO N N E T Editions Robert Laff

La Terre des Femmes et ses Magies Par Jocelyn e BO N N E T Editions Robert Laffont, Collection Les Hom m e s et l’Histoire ¤ CHAPITRE PREMIER LE SANG CATAMÉNIAL ET LA MAGIE DES PREMIÈRES TRANSFORMATIONS DE LA JEUNE FILLE Tare ou privilège, les menstrues, vraie différence / 23 - Les menstrues: « Qui ne fleurit, ne graine. » / 25 - Les noms du sang secret / 26 - Le sang cataménial et la défloration mystique / 29 - Les menstrues, mort initiatique / 30 - Initiation mystique et réclusion de la jeune fille pubère / 32 - La peur du sang cataménial/ 35 - Douze ans, l'âge de la première initiation / 39- « Avoir ses règles » et rentrer dans le clan des femmes/ 41 - Le cadre des mystères féminins: le cycle des veillées / 42 - La solidarité symbolique entre filage et sexualité / 43 - Les rythmes féminins / 44. TARE OU PRIVILÈGE, LES MENSTRUES, 1 VRAIE DIFFÉRENCE Le réseau de prescriptions et de coutumes curieuses tissé autour du sang menstruel s'étend loin dans l'espace et le temps; tissu solide de relations au monde imaginaire, il survit malgré les apports conjugués de spécialistes démontrant le phénomène physiologique pour l'opposer aux « superstitions ». Dans un XXème siècle finissant où il s'agit pour l'individu d'apprendre plus que d'éprouver, le progrès matériel scientifique et technique a souvent remplacé la recherche personnelle. Les jeunes filles apprennent à consommer les pilules contraceptives, à attendre la possibilité d'un enfant programmé en « oui ou non » dans un univers économiquement assuré, et ceci sans réfléchir aux différentes facettes de l'expérience. Règles confisquées, fécondité oubliée, maternité ajournée, ménopause différée, rythmes féminins gommés, une femme semblable à l'homme doit naître. Que gagnera-t-elle au change? Les deux sexes ne seront jamais identiques: ils correspondent à des physiologies, à des psychés distinctes1. L'égalité en droit ne signifie pas, comme on serait tenté de le comprendre trop facilement: égalité des modes d'être. La vraie différence, le partage évident entre hommes et femmes, c'est le moment des règles. Elles font que les filles sont « formées » en les distinguant des hommes. Les menstrues souvent vécues comme une tare sont aussi un privilège, un enjeu, même. Pour mieux éprouver ces faces opposées, il faut interroger la civilisation des femmes dans ses expressions, ses rites et ses croyances. La civilisation matérielle en marche est conquérante tant qu'elle ne déshumanise pas. Elle compte, parmi ses pertes, celles du monde de la mémoire, du rêve, de l'intuition, de l'imagination, se manifestant dans l'opposition grandissante d'un Dionysos révolté2. Or, ce monde des réalités intériorisées vit dans les investigations proprement féminines. Il culmine chez la jeune fille au changement pubère et ensuite chez la femme au moment des menstruations, la transformant en femme lunatique, c'est-à-dire sous l'influence de l'astre lunaire. Certains prétendront qu'il s'agit là de fadaises idéologiques, de mythologies d'autres temps; les mêmes qui oublient d'ailleurs que l'invention des idéologies et des mythes est toujours en route, et qu'ils éclairent leur propre quotidien. Il ne suffit plus d'ausculter le corps féminin pour qu'il rende tous ses mystères ou d'analyser la somme des « aliénations » possibles, il faut aussi interroger l'univers des représentations féminines, celui des hommes et les civilisations auxquelles ils ont donné naissance. Le processus mental occidental aime étiqueter les appartenances, les tendances, il crée un clivage entre la femme dont la mission naturelle est la procréation et celle qui devient l'objet d'une « domestication qui vise à la spécialiser... en machine de reproduction et dont la reproduction est un travail3 ». Il n'entre pas dans mon dessein d'adopter une attitude qui serait forcément polémique: considérer soit la face sujet, soit la face objet du cas féminin. D'ailleurs, dans un monde où la femme domestiquée n'a plus cette mission naturelle, la parade évidente 1 Esther Harding, Les Mystères de la femme. Paris, Payot, 1976, traduction de l'ouvrage Woman's Mysteries paru à New York. L'auteur porte un témoignage de psychologue à partir notamment de références anthropologiques. En présentant certains archétypes de la psychologie féminine, elle relie les expériences récentes de la psyché individuelle aux racines les plus profondes des civilisations. Disciple de C.G. Jung, elle analyse le principe féminin, ses caractéristiques et son symbole maintenu à travers les âges: la lune, afin de mieux comprendre la situation des femmes et son devenir. 2 Michel Maffesoli, L'Ombre de Dionysos. Paris, Méridiens-Anthropos, sociologies au quotidien, 1982. 3 Paola Tabet dans son article: « La procréation comme travail », dans l'ouvrage collectif: Côté femmes, approches ethnologiques. Paris, L'Harmattan, 1986. 2 est la dénatalité. Tant qu'il y aura des femmes physiologiquement femmes, elles le seront sexuellement et culturellement. Les sociétés traditionnelles et les sociétés hétéro-culturelles des pays industrialisés, relevant toutes les deux de l'ethnologie, montrent que la femme est l'objet de considérations, de traitements, de contrôles. Elles révèlent en même temps que celle-ci est sujette à se soustraire aux normes, à les transgresser, à se transformer elle-même. Plus ou moins féminines, les femmes sont fatalement ambiguës pour les hommes à cause de leur « sang ». Cette « rouge différence » est le sang, « dernière citadelle des femmes témoignant encore du grand pouvoir sur la vie4 ». L'éternelle ambiguïté en fait également le sang occulte, innommable et gênant. Quelle est cette vraie différence? LES MENSTRUES « QUI NE FLEURIT, NE GRAINE. » Les mystères féminins concernent la conception, les menstrues, la naissance, la fécondité, et plus généralement la fertilité universelle. Ils sont au centre d'antiques rituels féminins, connus dans l'aire européenne. On peut encore les dégager d'un ensemble de conditions qui mêlent les activités féminines fertilisantes à celles de l'ensemble de la communauté rurale. Que reste-t-il de ces secrets de « travail de femme » dans les communautés rurales? Quel est leur rapport avec les symboles de fécondité, fertilité? La spécificité de cette expérience féminine n'explique-t-elle pas le « désir de ces femmes de s'organiser en cercles fermés afin de célébrer les mystères en relation avec la conception, la naissance, la fécondité et en général la fertilité universelle5 »? Le premier des mystères féminins est, sans nul doute, celui qui célèbre l'arrivée des premières menstrues, puis leur retour régulier au bout d'une lunaison. J'emprunterai à Fritz Wosselmann6 une partie de la documentation qu'il a rassemblée dans un ouvrage précis et unique en son genre: La Menstruation, légendes, coutumes et superstitions. Malgré les difficultés que l'on rencontre pour trouver des données précises sur un sujet très chargé en interdits, cet auteur a le mérite d'avoir rassemblé en une centaine de pages des mythes et légendes de tous pays afin de lever le lourd rideau qui cache une partie de l'histoire secrète des femmes. Ce mystère est d'autant plus chargé de sacré que l'on évite de le nommer; on en parle à mots voilés ou tout au moins par euphémismes. L'image autrefois la plus courante était celle des fleurs: « fleurs des fleurs », « la fleur qui s'ouvre » pour les premières menstrues. En Lettonie, 4 F. Edmonde Morin, La Rouge Différence ou les Rythmes de la femme. Paris, Seuil, 1982. Dans un ouvrage plein de finesse, l'auteur pose le problème fondamental par l'intermédiaire de témoignages d'hommes et de femmes, le désir de la femme « libérée » par la contraception est-il affranchissement ou domestication? Dans le chapitre, « Les hommes et les règles », elle expose les opinions des hommes révélant la trace des interdits anciens, le silence, la peur, l'angoisse, la joie de ne pas être de l'autre sexe, la femme incarnant l'idée que le corps est sale, mais en même temps mystère, fascination et transgression du tabou des règles durant l'acte sexuel qui renvoie aux qualificatifs progressistes libérés ou réactionnaires ancestraux, selon que l'angoisse ou le dégoût auront été surmontés. 5 Mircea Eliade, Naissances mystiques. Paris, Gallimard, 1959, p. 165. 6 La bibliographie en annexe de l'ouvrage de Fritz Wosselmann, La Menstruation... (l'Expansion scientifique française, 1936), fait le point sur les ouvrages médicaux nombreux sur ce thème dans la première moitié du siècle. Depuis, l'intérêt est reporté sur un autre sujet : la ménopause. Ce livre fait également état de recherches ethnologiques sur ce thème. La documentation est surtout empruntée à l'ouvrage de J.G. Frazer, The Golden Bough (« Étude sur la magie et la religion »), 1903; B. Malinowski, La Vie sexuelle des sauvages du nord-ouest de la Mélanésie, 1930. Elle cite aussi des travaux de folklore et de religion comparée, p. 74. 3 l'utérus est la « mère des fleurs (voir note 6) », et en Allemagne, en France, un « bouton de rose ». Ambroise Paré donne une référence historique et analogique qui éclaire ces métaphores. « La fleur est le fondement ou préparatif à la semence et au fruit de chaque plante. Pour cette cause, on appelle fleurs les purgations menstruelles de la femme, d'autant qu'elles précèdent communément et sont comme préparatifs à leur fruit, qui est l'enfant, dont il s'ensuit que les femmes ne pensent avoir d'enfants devant qu'avoir leurs fleurs7. » uploads/Geographie/la-magie-de-la-femme-ile.pdf

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