NOUS SOMMES TOUS •1,80 EURO. DEUXIÈME ÉDITION NO10463 JEUDI 8 JANVIER 2015 WWW.

NOUS SOMMES TOUS •1,80 EURO. DEUXIÈME ÉDITION NO10463 JEUDI 8 JANVIER 2015 WWW.LIBERATION.FR IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 1,90 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats­Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande­Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 1,90 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays­Bas 2,50 €, Portugal(cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300CFA. Indignation, émotion, hommages: des rassemblements ont eu lieu mercredi dans de très nombreuses villes de France après l’attaque contre Charlie Hebdo. A Paris, la place de la République a vite été couverte d’une foule compacte de 35000 personnes (photo) brandissant des unes de l’hebdomadaire, bras levés tenant des stylos. Seuls drapeaux, ceux de la CGT du Livre qui, à l’instar de plusieurs syndicats de la presse, avait appelé au rassemblement. Les participants évoquaient «une attaque contre la liberté et la démocratie», «la seule parole libre dans la presse», «pas un problème d’idées politiques mais un problème de tolérance, ce qui est bien plus fondamental»… A Lyon, plus de 10000 personnes se sont groupées place des T erreaux, tandis que des lumignons brûlaient sur les marches de l’Hôtel de ville. Même foule nombreuse sur la place du Capitole à T oulouse. A Lille, sur la place de la République noire de monde, Svetlana, s’inquiétait «du danger d’escalade, dans la peur du musulman». H.S (à Lille), S.V. (à Paris) Photo GUILLAUME BINET. MYOP LA FRANCE DEBOUT LIBÉRATION JEUDI8 JANVIER2015 2 •EVENEMENT ParLAURENTJOFFRIN «Charlie» vivra Ils ont tué Cabu! Ils ont tué Cabu, le pacifiste, le généreux, le meilleur homme de la Terre autant que le meilleur dessinateur. Ils ont tué Wolin, Charb, Tignous, Bernard Maris et les autres! Wolinski, le plus drôle, le sybarite tendre, celui qui aimait le plus la vie. Charb, le père courage, Tignous, le gentil teigneux, Bernard, le professeur d’éco que tout le monde aurait voulu avoir, le lettré plein de conviction et de culture. Ils ont failli tuer Philippe, notre ami. Philippe Lançon, brillant critique à Libération, journaliste et écrivain, qui en réchappe de justesse. Libération est touché au cœur. Charlie et sa bande, ce sont nos cousins. Avec leurs amis, leurs familles, nous pleurons. Charlie, c’était le rire intelligent, le rire impitoyable, la dérision, le refus du tragique, l’ironie pleine d’espérance, Voltaire en vignettes, un coup de pied au cul des fanatiques. Contre les crayons, les fusains et les bulles, ils ont sorti les kalachnikovs. Quel aveu de faiblesse! Quand on n’a pas d’arguments, on tire. Alors ils ont tué Charlie? Non. Ils ont raté leur coup. Charlie vivra, grâce à ses lecteurs, Charlie vivra en esprit, à travers nous tous. Nous sommes tous des Charlie. Libé avait accueilli Charlie il y a quelque temps, en raison d’un attentat, déjà, qui avait détruit leurs bureaux… Si nécessaire, nos locaux sont disponibles, naturellement. Ils ont raté leur coup. En tuant nos amis, ils nous ont meurtris mais ils nous ont fortifiés. Les dessinateurs de Charlie, depuis un demi-siècle, illustrent tous les jours la raison d’être de la presse: savoir et juger, débusquer les ridicules et les injustices, se hâter d’en rire pour ensuite les combattre, mesurer, en même temps, la vanité du monde. Ils étaient des symboles de la génération 68, dont on dit tant de mal, mais dont on oublie qu’elle a ferraillé sans cesse pour plus de liberté. Ils ont renversé tous les tabous, ridiculisé tous les dogmes, mis un bonnet d’âne à toutes les statues du commandeur, fait un bras d’honneur à tous les donneurs de leçon. Né sous la Ve autoritaire, Charlie a servi de bréviaire aux enfants de Mai. Chaque semaine, c’est un sarcasme jeté à la tête des puissants, un pied de nez à l’esprit de sérieux, le tout au service d’une société différente, un peu meilleure, un peu plus fraternelle. Si nous vivons avec moins de préjugés, moins de censure, moins de corsets et de principes désuets, avec un peu plus d’autonomie, de libre arbitre, d’humour, c’est aussi grâce à ce gang de viveurs tonitruants et chaleureux, qui ont toujours préféré un bon mot à un renoncement et qui l’ont payé de leur vie. Au cours de leur longue histoire, ils n’ont jamais dévié. Tous les autoritaires, les solennels, les répressifs, les obscurantistes, les pisse-froid et les importants de France ont eu à se plaindre de Charlie. Les voilà vengés… Charlie fut jadis censuré par le gaullisme, scandale oublié. Charlie est poignardé par l’islamisme. On a changé d’époque. Est-ce un hasard? Les terroristes ne se sont pas attaqués aux «islamophobes», aux ennemis des musulmans, à ceux qui ne cessent de crier au loup islamiste. Ils ont visé Charlie. C’est-à-dire la tolérance, le refus du fanatisme, le défi au dogmatisme. Ils ont visé cette gauche ouverte, tolérante, laïque, trop gentille sans doute, «droit-de-l’hommiste», pacifique, indignée par le monde mais qui préfère s’en moquer plutôt que d’infliger son catéchisme. Cette gauche dont se moquent tant Houellebecq, Finkielkraut et tous les identitaires… Les fanatiques ne défendent pas la religion, qui peut être accueillante, ils ne défendent pas les musulmans, qui sont révoltés dans leur immense majorité par ces meurtres abjects. Ils attaquent la liberté. Ainsi la voie est toute tracée. Pour se défendre, la liberté respectera son propre principe: poursuivre sans relâche les criminels, les arrêter et les traduire devant les tribunaux réguliers, où ils recevront la punition méritée, ni plus, ni moins; réunir dans une juste mobilisation tous les républicains, qui désigneront sans ambages l’adversaire, le terrorisme et non l’islam, le fanatisme et non la foi, l’extrémisme et non leurs compatriotes musulmans, qui sont les premières victimes de l’intégrisme et qui sont solidaires dans l’épreuve. Quant à nous, journalistes, amis des journalistes assassinés, nous continuerons. Avec un peu moins de cœur à l’ouvrage, sans doute, pour quelque temps, mais avec une résolution plus forte. Nous savons que cette profession est parfois dangereuse. C’était jusqu’à présent le lot des reporters qui partent nous informer sur les pays en guerre. Il en meurt des dizaines chaque année. Maintenant on veut porter la guerre jusque dans nos salles de rédaction. Nous ne ferons pas la guerre. Nous ne sommes pas des soldats. Mais nous défendrons notre savoir-faire et notre vocation: aider le lecteur à se sentir citoyen. Ce n’est pas grand-chose mais c’est quelque chose. Avec une certitude mieux ancrée: maintenant, nous savons pourquoi nous faisons ce métier. ÉDITORIAL LIBÉRATION JEUDI8 JANVIER2015 • 3 Les deux hommes qui ont pénétré mercredi dans les locaux du journal ont fait douze morts en une vingtaine de minutes. Ils auraient été identifiés et localisés. 11h30:«Onatué “CharlieHebdo”!» U n journal «décimé», son équipe abattue «systématiquement». «Au moins deux hommes», selon le parquet de Paris, ont perpétré un car- nage au siège de Charlie Hebdo mercredi matin, 10 rue Nicolas-Appert, dans le XIe arrondissement de Paris. Dans la soirée, trois hommes, originaires de Genevilliers (Hauts-de-Seine) et âgés de 18 à 34 ans, ont été identifiés et loca- lisés par la police (lire pages 6 et 7). Ils seraient les auteurs de la tuerie com- mise quelques heures plus tôt à Charlie Hebdo: douze personnes sont mortes, dix collaborateurs du journal satirique et deux policiers, exécutés par les ti- reurs au cours de leur fuite. On compte également onze blessés, dont quatre qui se trouvaient «dans un état d’urgence absolue», parmi lesquels Philippe Lan- çon, journaliste de Libé et aussi chroni- queur pour Charlie. Lors de cet attentat, le plus meurtrier dans la capitale de- puis 1945, Stéphane Charbonnier, alias «Charb», le directeur de la publication, les caricaturistes Wolinski et Cabu, ainsi que l’économiste Bernard Maris, ont été tués (lire pages 10-15). Rue Nicolas­Appert, Paris XIe, 11h30. Les assaillants pénètrent dans cette petite rue située à quelques enca- blures de la place de la Bastille, où la rédaction de l’hebdoma- daire s’est installée il y a un peu moins d’un an. Déjà frappée par l’in- cendie criminel de son siège boulevard Davout (Paris XXe) en novembre 2011, l’équipe de Charlie avait ensuite été hé- bergée quelques semaines par Libéra- tion, avant de faire une halte porte de Bagnolet. «J’étais dans le bâtiment atte- nant à la rédaction de Charlie Hebdo pen- dant ma tournée, témoigne une factrice rencontrée sur place mercredi juste après l’attentat. J’ai vu entrer deux hom- mes en noir, lourdement armés et cagou- lés. Ils nous ont demandé où était l’entrée de Charlie Hebdo car ils ne savaient pas où c’était. Ils ont tiré des coups de feu pour nous impressionner.» L ’immeuble de trois étages est occupé par plusieurs en- treprises, réparties dans des open space de taille modeste. Dans le hall d’accueil, les as- saillants, munis «d’armes auto- matiques de type kalachnikov», mena- cent un employé, lui demandent de les conduire chez Charlie, avant de l’assas- siner, selon François Molins, le procu- reur de Paris. Ils se uploads/Geographie/liberation-20150108-08-01-2015-pdf.pdf

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