J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°14 27/03/2000 - 1 LES US DU LAPS Jacques

J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°14 27/03/2000 - 1 LES US DU LAPS Jacques-Alain Miller Première séance du Cours (mercredi 17 novembre 1999) I LES US DU LAPS Ce sera le titre de mon Cours de lřannée, « LES US DU LAPS » de lřannée 1999-2000, celle où nous - l'humanité - entreront dans le troisième millénaire, bien que des puristes, des cuistres, aient fait remarquer que lřévénement - si s'en est un Ŕ ne se produirait qu'un an plus tard, en 2001. Cette remarque, d'ailleurs, formellement exacte, ne peut rien contre un fait d'ordre arithmétique qui est que 2001 ne diffère de 2000 que d'un seul chiffre, tout est là. Ce changement d'un chiffre se produit tous les ans. Cřest seulement tous les dix ans que deux chiffres changent. C'est seulement une fois par siècle que trois chiffres changent, et cřest seulement une fois tous les mille ans que les quatre chiffres sont destinés à changer. Une fois tous les mille ans ! Et d'ailleurs, pour être plus exact, la fois d'avant je ne sais pas si vous y étiez, (rires) on est passé de trois chiffres à quatre, de 999 à 1000. Le plus 1 de l'an 999 a ajouté un chiffre et le plus 1 de l'an 1999 est le premier à modifier les quatre chiffres. Le plus remarquable, cřest l'équanimité avec laquelle on sřapprête à cette entrée sensationnelle dans le troisième millénaire. Il y a mille ans, ce franchissement était hanté par des rêves d'apocalypse. Aujourd'hui, tout ce que nous avons, cřest le bogue (rires), on attend seulement des accidents Ŕ il y en aura. C'est-à-dire que lřévénement n'est pas la fin du monde, ça n'est pas au niveau de Dieu, mais des machines. Quelle serait la surprise, si, le premier janvier 2000, lřange Gabriel (rires) venait annoncer que le Bon Dieu, après une expérience quand même prolongée, considérait que ça suffisait comme ça et que le jugement dernier était arrivé. Cřest remarquable que personne nřattend ça et que tout ce qu'on attend est au niveau de machines, et en raison de quoi ? En raison dřune étourderie, d'un souci d'économie, qui a fait quřon a codé les machines seulement avec deux chiffres au lieu de quatre, bref en raison d'un défaut d'anticipation, très singulier en lui-même et qu'on pourrait qualifier de formation de l'inconscient globalisée. Si c'est un événement, il est purement conventionnel, puisque ce comptage même des années est une convention. C'est-à-dire que de conventions il y en a dřautres. L'année juive, depuis septembre dernier, marque 5760, mesdames et messieurs, c'est-à-dire, les 2000 de l'année des gowim - ils peuvent se la garder. La notion du caractère conventionnel de ce décompte des années est assez répandue pour que cela ne nous fasse ni chaud ni froid. À dire vrai, c'est un triomphe des Lumières auquel nous assistons ; nous pourrions même dire que c'est bien la preuve que nous sommes tous postmodernes, et il y a un côté obscurantiste du postmodernisme, et il y a côté héritier des Lumières, multiplicité des conventions. Il se pourrait d'ailleurs que l'année à surveiller ne soit pas lřannée 2000, mais l'année 2012, qui est, si vous ne le savez pas, la fin de l'actuel grand cycle des années selon le calendrier maya, 2012. Ce calendrier, le nôtre, est une triomphe du compte catholique et en même temps, cřest la défaite du catholicisme par le vidage complet de son sens. C'est le triomphe du calendrier grégorien, globalisé aujourd'hui, qui n'a été adopté qu'en 1582, qui n'a été accepté par l'Allemagne protestante quřil y a trois siècles, en 1700, avec des réserves J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°14 27/03/2000 - 2 d'ailleurs qui n'ont été levées qu'en 1775. Il a été adopté par la Grande- Bretagne en 1752, par le Japon en 1873 - selon notre calendrier bien sûr - par la Russie en 1917 - c'est d'ailleurs la réalisation la plus notable du pouvoir communiste (rires) - et de même en Chine en 1949. Jřévoque le calendrier parce que le calendrier a une histoire, passionnante, c'est une épopée du signifiant qu'il faut suivre, on pourra en avoir peut-être l'occasion cette année, de comment le signifiant s'est emparé du temps, comment le signifiant a structuré le temps, le réel du temps et par là a structuré le monde. Nul ne conteste plus Ŕ surtout depuis que notre temps est devenu atomique, en 1972, le temps de tous. Il y a eu des philosophes, bien sûr, pour y faire l'objection du Lebenswelt, du monde vécu qui ne connaîtrait pas le temps du signifiant. Le Lebenswelt, peut-être nous y viendront cette année, pourquoi pas aux Leçons sur la conscience intime du temps de Husserl, et la suite. Le temps vécu n'est pas resté indifférent, impassible, à la signifiantisation du temps. Bergson a pu faire entendre quelques vagissements sur le fait que le temps mécanique trahissait la durée vécue. Mais nous, nous avons du temps une toute autre conception que celle-là. Deux mille, ça fait un compte rond et c'est un point de capiton qui nous invite à regarder en arrière, et aussi à anticiper. ? 2000 À Buenos-Aires, où j'étais il y a peu, j'ai été invité par mon ami Germán García, à donner une conférence dont on mřa proposé le titre, en espagnol « Al fin y al cabo ? », qui se traduirait en français par comme quelque chose comme À la fin des fins, en définitive, tout compte fait et j'ai cru, ce qui nřétait pas forcément son intention, quřil mřinvitait à donner un panorama du dernier millénaire, du XI° au XX° siècle. Donc j'ai essayé de faire ça (rires), une sorte de canular. Mais on sřaperçoit, quand on considère le dernier millénaire, quřil y a une coupure entre le XIe et le XVe siècle - où il ne sřest pas passé grand-chose - et puis XVIe-XXe, où il y a un rythme tout à fait différent de la période. La coupure qui passe entre le XVe et le XVIe siècle, cřest marqué par la Renaissance, pour nous. Si on se demande quels sont les événements qui ont vraiment compté pendant le dernier millénaire, évidemment il y a un certain nombre d'événements régionaux qui ont paru important sur le moment, mais qu'est-ce qui a vraiment été important, au niveau global ? - j'étais bien forcé de prendre cette ligne de raisonnement à Buenos-Aires où je n'avais pas un seul livre sous la main, ce qui a vraiment compté, en définitive, al fin y al cabo, c'est ce qui concerne le savoir. Le reste, ce sont des anecdotes. Si on prend cette conception, ce qui a vraiment compté entre le XI° et le XV° siècle, c'est l'invention entre le XII° et le XIII° siècle du discours de l'université, qui s'est ensuite répandu sur le globe et puis c'est au XVII° siècle, dans la deuxième partie, du discours de la science, la physique mathématique, et la suite, et ses remaniements, de Galilée et Descartes à Newton et à Einstein. Et c'est aussi le discours du capitalisme dont la globalisation est avérée, manifeste depuis l'année 1989. Évidemment, on aimerait ajouter à cette liste du discours de l'université, de la science et du capitalisme celui de la psychanalyse mais on nřa pas beaucoup de recul, à lřéchelle du millénaire. XI - XV XVI - XX { J.-A. MILLER, LES US DU LAPS - Cours n°14 27/03/2000 - 3 Et, à l'échelle du millénaire, le XX° siècle est très remarquable, grand siècle de massacres, mais aussi dřune saisissante accélération du temps en ce qui concerne la science. Il y a plus de savants au XX° siècle quřil nřy en a eu de tout le millénaire et le rythme des inventions qui procèdent du discours de la science connaît, du dernier siècle, de sa dernière moitié ou de son dernier quart, une accélération absolument saisissante, surtout si on le compare à la tranquillité de l'existence au XI°, auquel on ne pense pas assez ! Ce sont des circonstances qui ont contribué à me faire donner au Cours de cette année le titre de « LES US DU TEMPS ». Enfin jřai dit « LAPS ». Les us, on les connaît, le mot dans lřexpression « Les us et coutumes », expression du XII° siècle, qui qualifie les habitudes, les façons de faire traditionnelles, mais c'est un mot, « us », qui peut être employé seul, qui est attesté seul par les meilleurs auteurs, encore au XX° siècle. Et comme il vient de usus, comme le mot même « dřusage », il faut entendre « lřusage » et spécialement le vieil usage, celui qui est devenu habituel. Relevons quřil nřexiste en français quřau pluriel et c'est à ce titre quřil figure dans mon titre. Quant au « laps », il est du XIV° siècle, il vient du latin aussi, lapsus, qui veut dire « écouler » et qui nous a donné, seulement au 19° d'ailleurs, avant Freud, lapsus, et derrière uploads/Histoire/ 13jacques-alain-miller-les-us-du-laps-cours-1999-2000.pdf

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  • Publié le Sep 28, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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