Annales littéraires de l'Université de Besançon La céramique punique d'époque h

Annales littéraires de l'Université de Besançon La céramique punique d'époque hellénistique Monsieur Serge Lancel Citer ce document / Cite this document : Lancel Serge. La céramique punique d'époque hellénistique. In: Céramiques hellénistiques et romaines. Tome II. Besançon : Université de Franche-Comté, 1987. pp. 99-138. (Annales littéraires de l'Université de Besançon, 331); https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1987_ant_331_1_1696 Fichier pdf généré le 19/11/2018 99 LA CÉRAMIQUE PUNIQUE D'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE Deux livres jalonnent plus particulièrement l'histoire récente des recherches relatives à la céramique punique. D'abord, la publication -qu'on peut appeler princeps- de Pierre Cintas, Céramique Punique, qui a véritablement constitué en objet scientifique un matériel pour partie assez bien connu depuis un demi-siècle, mais sans que soient reconnues son individualité et son unité : c'est ce livre qui a le premier assigné sa place à la céramique de Carthage dans le champ des études céramologiques. Observons en passant que la date de cet ouvrage, 1950, est elle-même significative : c'est l'époque des grandes prises de conscience en ce domaine; qu'on pense seulement à la Classification préliminaire de la céramique campanienne présentée par N. Lamboglia dans un congrès tenu la même année. De fait, bien des traits attestent le caractère profondément novateur de la démarche suivie par P. Cintas dans son "traité"; en particulier le recours, très neuf alors, à des méthodes d'analyse physico-chimiques (étude comparative des densités des poteries, analyses petrographiques sur lames minces, mesures de géomagnétisme), avec des résultats malheureusement limités par l'imprécision des références aux échantillons analysés. En face d'un matériel surabondant, rassemblé pour la première fois, la démarche de P. Cintas a consisté, pour l'essentiel, à établir une classification (son Atlas des formes) de type morphologique : vases sans anse, vases à anses (horizontales, verticales, etc.), vases de formes particulières (guttus, askoi), objets à feu (lampes, brûle-parfums). A cet Atlas était joint un Répertoire des provenances qui, au regard de chaque numéro de la classification, indiquait la ou les provenances des objets correspondants et une datation approximative. L' Atlas comportant plusieurs centaines de numéros distincts, le parti adopté avait deux conséquences : l'une, heureuse, de permettre d'embrasser d'un seul regard, en feuilletant quelques dizaines de pages, la plus grande partie du matériel connu à l'époque et de le situer dans une chronologie; la seconde, plus fâcheuse, de multiplier les variantes d'une même forme, au point qu'on a peine, parfois, à cerner avec netteté certaines formes, même parmi les plus caractéristiques (par exemple, l'oenochoé à embouchure trilobée, si caractéristique des tombes des VII e-VIe siècles, et dont le profil varie peu, flotte entre les numéros 150 et 160 de Cintas : Céramique punique, pi. XII et p. 115-117). En outre, ce grand rassemblement de la céramique punique comportait des lacunes : les unguentaria étaient laissés de côté, pour le motif d'une évolution identique tout autour du bassin de la Méditerranée {Céramique punique, p. 488 et Sanctuaire punique de Sousse {= Revue Africaine, 1947), p. 72, note 171); étaient également absents les plats et assiettes, écartés en raison d'une "histoire imprécise" (Céramique punique, p. 490) et pour lesquels était simplement faite référence au classement typologique proposé par D. Harden {The Pottery from the Precinct ofTanit at Salammbô, Carthage, dans Iraq, IV, 1937, p. 82-85). Il convient d'ajouter que la totalité du matériel étudié par P. Cintas était d'origine funéraire (nécropoles et, dans une 100 S. LANCEL moindre mesure, aires sacrificielles) : comme il le remarquait lui-même (Céramique punique, p. 20), la fouille d'habitat n'avait pas encore, à la date de son travail, été pratiquée dans le domaine punique, ou débutait à peine. Même si l'on admet avec lui {Céramique punique, p. 20) que la "vaisselle rituelle des tombes" était "prélevée sur celle des vivants", on peut estimer que l'image ainsi obtenue d'un mobilier céramique est presque nécessairement incomplète. En 1970, la parution du livre d'A. M. Bisi, La ceramica punica. Aspetti e problemi, marquait Y aggiornamento nécessaire, après vingt années de fouilles et de publications relatives au demeurant beaucoup moins à Carthage et à son territoire immédiat qu'à diverses provinces africaines et méditerranéennes du monde punique. La démarche de Mme Bisi apparaissait d'emblée fondamentalement différente de celle de P. Cintas. Reprenant et complétant un essai de classification précédent (L'irradiazione semitica in Sicilia in base ai dati ceramici dei centri fenicio-punici dell' isola, dans Kokalos, 13, 1967, p. 30-60, spécialement p. 35-40), l'étude s'attachait d'abord à définir un petit nombre de "formes communes à tout le monde punique" (La ceramica punica, p. 30) : 16 profils de base étaient ainsi retenus, avec indication des numéros correspondants chez P. Cintas (sauf pour le n°5), ainsi que celle de la fourchette chronologique d'attestation de ces "formes-types", sur la base des données antérieures revues à la lumière des travaux récents (La ceramica punica, p. 30-34). Observons d'abord que ces "formes-types" mêlent toutes les catégories d'objets (sans distinction : amphores, pichets, oenochoés, lampes, askoi), qu'elles n'ont pas été classées en fonction de critères morphologiques (ni revendiqués, ni apparents), et qu'elles n'ont pas été non plus définies spécialement par rapport aux données chronologiques (cf. PI. 21). Toute typologie résulte d'un choix, mais, dans le cas de la typologie retenue par A. M. Bisi, les raisons de ce choix n'apparaissent pas clairement. Ces remarques faites, il convient de souligner les principaux apports de ce livre, qui sont d'abord de fournir un aperçu très complet sur les céramiques recueillies — et sans doute le plus généralement produites— dans les diverses provinces du monde punique : Afrique du Nord (en particulier, à part Utique, les "comptoirs" des côtes algéroises, ora- naises et marocaines), Espagne, Sardaigne, Sicile, Malte. Ce panorama lui-même met en évidence, plus encore que des "variantes" d'une même forme d'une même région à l'autre, une véritable différenciation des produits qui sont attestés sur des aires semblablement "puniques" d'un côté et de l'autre de la Méditerranée occidentale. Une chose devient claire à consulter les planches sur lesquelles Mme Bisi a rassemblé les vases les plus caractéristiques de chacun des sites recensés : de façon non surprenante, cette différenciation s'accentue à mesure, non pas qu'on s'éloigne de Carthage, mais qu'on descend dans le temps. En fait, un véritable "tronc commun" de la céramique punique, nettement individualisé, n'est vraiment perceptible qu'à époque archaïque et haute, du VUPau VPsiècle. Alors, les quelque sept ou huit formes les plus caractéristiques des tombes carthaginoises comme des strates les plus anciennes du tophet de Salammbô se retrouvent, à très peu de variantes près, à Utique, Rachgoun, Trayamar, Almunecar, Motyè (A. M. Bisi, La ceramica punica, pi. X, XI, XII, XVI, XVII, XXVI, XXVII). Et les travaux et publications les plus récents confirment la solidité de ces constantes en Andalousie comme en Sicile (Jardin, Toscanos, Trayamar : MadriderMitt., 1972, 1975, 1977; Madrider Beitràge, Bd. 4, 1975. - Motyè : Mozia IX, 1978). Plus tard, à partir du Vesiècle, - sinon même dès le VIesiècle — des divergences se font jour et vont vite s'accentuer. Elles sont dues pour partie à ce qu'on a appelé, parfois, des "attardements provinciaux" (le mot est de P. Cintas, dans Fouilles puniques à Tipasa, p. 30) : par exemple, le "vase-chardon", forme 7 de Mme Bisi (formes 1 à 7 de P. Cintas) est attesté dans des tombes de Tipasa datables du Ve au II "siècle avant notre ère (cf. Bull. d'Arch. Alg., III, 1968, p. 124-125) et souvent également à Rachgoun et à Tanger, alors qu'il n'est attesté nulle part ailleurs et qu'à Carthage même il ne figure que dans les niveaux les plus anciens du tophet. Signalons aussi que des formes évoluées du "vase-chardon" sont présentes dans la péninsule ibérique (cf. J. J. Jully, Koinè commerciale et culturelle phénico-punique et ibéro-languedocienne en Méditerranée occidentale à l'âge du fer, frànsArch. Esp. de Arq., 48, 1975, p. 32-35). Cette notion d'"attardement provincial" nécessiterait elle-même une explication. Des attestations regroupées comme celles que nous venons d'évoquer à propos du "vase-chardon" des côtes algériennes et marocaines suggéreraient l'influence de cultures indigènes, sans que le jeu en soit toujours clair. Enfin, et dès le IVe siècle, au plus tard, dans le domaine des formes "fermées", les profils "classiques" s'imposent un peu partout dans les "ambiances" puniques : par exemple, formes d'oenochoés, d'olpès et de lagynoi à Monte Sirai, en Sardaigne (Monte Sirai l, Rome, 1964, pi. XXXIII et XXXV) et aux Andalouses, sur la côte oranaise (G. Vuillemot, Reconnaissances aux échelles puniques d'Oranie, Autun, 1965, p. 190-191; A. M. Bisi, La ceramica punica, pi. XIII). On comprend dans ces conditions que Mme Bisi, dans la conclusion de son ouvrage, fasse l'aveu — aveu que la plupart de ceux qui se sont occupés de cette céramique pourraient contresigner— du peu de considération par elle LA CÉRAMIQUE PUNIQUE D'ÉPOQUE HELLÉNISTIQUE 101 accordé à la céramique punique d'époque hellénistique : "Etant donné que la plus grande partie de la production vas- culaire punique postérieure au V e siècle est faiblement caractérisée, dans la mesure où il est très difficile de déceler la persistance des formes de base du répertoire archaïque, tandis que prédominent quasiment partout de banales imitations des formes grecques contemporaines, uploads/Histoire/ 1987-lancel-la-ceramique-punique-d-x27-epoque-hellenistique.pdf

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  • Publié le Mar 06, 2022
  • Catégorie History / Histoire
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