Des paysans sales et affamés à l'obscurantisme : six clichés sur le Moyen Âge F
Des paysans sales et affamés à l'obscurantisme : six clichés sur le Moyen Âge France culture, 06/09/2018 Par Pierre Ropert Entre l'Antiquité civilisée et le raffinement de la Renaissance, il n'y aurait eu qu'une période sombre et méconnue : le Moyen Âge. Les clichés ont la vie dure : à en croire certaines idées reçues cette période serait synonyme de saleté, d'obscurantisme et de régression. Il n'en est rien. Des paysans sales, pauvres et ne mangeant pas à leur faim, les connaissances accumulées lors de l'Antiquité peu à peu oubliées... Les clichés sur le Moyen Âge ont la vie dure ! La faute aux humanistes de la Renaissance, dont les constructions historiques renvoyèrent cette période, pourtant longue de 1000 ans, au rang d'âge sombre. C'est d'ailleurs à eux qu'on doit l'utilisation du terme "Moyen" : ils préféraient s'imaginer leur époque comme le miroir de l'Antiquité, qu'ils tenaient en haute estime, par opposition au Moyen Âge, caricaturé comme une période ignorante et superstitieuse. Ces clichés, bien ancrés dans notre imaginaire, persistent encore aujourd'hui. Alors que la tour médiévale Jean Sans Peur, à Paris, consacre une exposition à la question de "L'Hygiène au Moyen Âge", petit tour d'horizon de ces idées reçues. Les gens étaient sales C'est sans doute l'un des préjugés qui perdurent le plus, tant il a été popularisé à travers les films et récits, à l'image du personnage grotesque de Jacquouille la Fripouille dans le film Les Visiteurs. Au Moyen Âge, à en croire les clichés, les paysans étaient couverts de crasse. La réalité est pourtant tout autre : héritage des thermes romains, les bains publics et étuves existent toujours dans les villes médiévales, où l'eau est considérée comme purificatrice. Le bain y est généralement hebdomadaire, et les plus démunis se lavent dans les rivières. La toilette est quotidienne, au moins pour les mains et le visage. L'hygiène est notamment prise très au sérieux lorsqu'elle est liée à la nourriture : les couches sociales les plus aisées ne manquent pas de se laver les mains avant de passer à table. Le livre Les Contenances de la table, paru au XVe siècle et destiné aux enfants, conseille ainsi de s'essuyer les lèvres avant de boire, de ne pas tremper sa viande directement dans la salière et de se laver les mains après le repas (après tout, la fourchette n'est pas encore utilisée !) : Enfant se tu bois de fort vin Met y de leave attrempeement Et nen boy que suffisamment Ou il te troublera lengin Paradoxalement, c'est pendant la Renaissance que les normes d'hygiène se dégradent. La faute aux épidémies de peste noire qui ont traumatisé les populations : on craint alors que l'eau chaude, en dilatant les pores de la peau, ne laisse passer les maladies. Les bains publics sont peu à peu abandonnés, et on préfère se parfumer pour masquer les mauvaises odeurs. En février 2014, dans l'émission Du Jour au lendemain, Georges Vigarello, historien et directeur d’études à l’EHESS, auteur de Le Propre et le Sale, L'Hygiène du corps depuis le Moyen Age venait raconter l'évolution des critères de propreté au fil des siècles : 1 Le parfum, c'est une histoire singulière. Avec le parfum la sensibilité immédiate des hommes du temps, au XVIe, donne le sentiment que vous purifiez. On peut purifier les villes contre la peste avec des procédés qui consistent à projeter de l'arôme ! Le parfum est ainsi utilisé dans les hôpitaux pour rendre l'air plus sain, ce qui est totalement contradictoire et impensable pour des repères qui sont les nôtres, mais évident pour les repères du XVIIe. Écouter 35 min Georges Vigarello (Du Jour au lendemain, 19/02/2014) Il n'y a pas eu d'avancées scientifiques L'Antiquité a été une période si prolifique de l'Histoire sur le plan des découvertes scientifiques que les avancées technologiques et scientifiques du Moyen Âge ont tendance à passer un peu inaperçues en comparaison. Les découvreurs n'ont pourtant pas subitement cessé d'exister l'espace d'un quasi- millénaire, du Ve au XVè siècle et le Moyen Âge s'est inscrit dans la continuité de l'Antiquité. Les moulins à eau par exemple, qui existaient déjà, sont perfectionnés et modernisés au point de faire du meunier un personnage indispensable de la vie du village : c'est grâce à l'énergie hydraulique qu'on actionne les machines qui permettent d'écraser le grain ou d'actionner les soufflets des forges. De la même façon, la roue à filer permet de gagner en efficacité pour le tissage des vêtements. C'est aussi l'époque de l'invention de l'horlogerie, à partir du XIIIème siècle, et de la sidérurgie moderne. Le Moyen Âge est en réalité un âge mécanique, qui met à contribution les forces naturelles (vent, eau, système de poids) à l'aide de mécanismes complexes. Les découvertes ne sont pas que d'ordre technique : la circulation des idées permet notamment à la médecine de se développer et de se nourrir de la médecine arabo-musulmane, au rang desquels le Canon de la médecine d'Avicenne, une encyclopédie médicale qui synthétise, en 1025, les médecines grecque, hindou et arabe. Dans une conférence enregistrée en mai 2017, l'historienne médieviste Danielle Jacquart rappelait qu'au XIIe siècle, la médecine fut la première à connaître son renouveau : S’imposa alors l’idée selon laquelle un médecin digne de ce nom devait être lettré, connaître l’anatomie, la physiologie du corps humain, et rechercher les causes des maladies pour être en mesure d’appliquer un traitement. Et si la médecine prétend être une science, c’est qu’elle recherche les causes des maladies. [...] Même si nous savons aujourd’hui que les connaissances anatomiques étaient imparfaites, que la théorie médicale était peu apte à justifier des traitements efficaces pour les maladies les plus sévères, ce choix d’une médecine savante fondée rationnellement fut capital. À LIRE AUSSI Conférences Quelle médecine pratiquait-on au Moyen Âge ? Les paysans ne mangeaient pas à leur faim A l'évidence, on ne trouvait pas les mêmes mets à la table d'un seigneur et à celle d'un paysan, mais contrairement aux idées reçues, les personnes en bas de l'échelle sociale n'étaient pas si mal loties. 2 L'image du paysan affamé nous vient tout droit des représentations des famines, régulières au cours des 1000 ans qu'a duré le Moyen Âge. Après tout c'est pendant cette période qu'est apparue la prière "A fame, bello et peste, libera nos Domine" : De la peste, de la famine et de la guerre, délivrez-nous, Seigneur. En cas de famine, l'aristocratie et le clergé étaient évidemment mieux protégés ; mais ils ne l'étaient pas forcément des épidémies qui allaient de pair. En règle générale, l'aristocratie avait accès à des denrées de meilleure qualité et en plus grandes quantités, notamment en ce qui concerne les viandes. Les paysans, s'ils se nourrissaient principalement de légumineuses et céréales, en consommaient également, quoique plus souvent sous forme salée ou fumée. La base de leur alimentation reste cependant le pain, fabriqué à base de farine de froment ou de seigle, comme en attestent les nombreux fours à pain retrouvés lors de fouilles archéologiques. Cet aliment principal les rendait néanmoins vulnérables aux conditions climatiques, à l'origine de nombreuses disettes. En avril dernier, dans une série d'émissions consacrée à l'histoire de la faim, La Fabrique de l'Histoire revenait sur les nombreuses crises de famines qui ont parsemé le Moyen Âge, avec l'historien Gérard Béaur : La disette c'est la privation relative, et la famine c'est quand les gens meurent de faim. Les contemporains ne font pas toujours la différence. Quand [l'historien] Levasseur, il y a bien longtemps, a utilisé les chroniques pour répertorier les famines et disettes qui avaient eu lieu entre le Xe siècle et 1890, il trouve un nombre de famines absolument vertigineux, on a l'impression que c'est tous les jours ! Au XIe siècle, il y aurait eu 41 famines ! Il y a eu une grande confusion entre disette et famine. Pour les contemporains c'est un peu la même chose alors qu'on parle surtout de cherté : le grain devient très cher et inabordable pour les plus pauvres. Tout cela a créé des interrogations. [...] On en est arrivé à l'idée que chaque fois qu'il y avait une mortalité c'était une famine, que la faim était le grand pourvoyeur de la mortalité. Aujourd'hui on est en train de revenir sur cette question. Écouter 53 min Qu’est-ce qu’une crise alimentaire ? Du Moyen Âge au XIXe, le renouvellement des recherches (La Fabrique de l'Histoire, 02/04/2018) Les femmes étaient considérées comme des objets et ne travaillaient pas Si la condition de la femme était très difficile, elle n'était pas aussi horrible qu'on a bien voulu le croire. A tel point que l'un de des exemples les plus emblématiques de la condition de la femme, le droit de cuissage, ou "droit de première nuit", pourtant à l'origine de nombreux récits, tient de la légende urbaine (ou est-ce rurale ?) et ne fut jamais inscrit dans la loi. En août 2018, dans l'émission Les Têtes Chercheuses, Julie Pilorget, doctorante en histoire médiévale et spécialiste d’histoire du genre était venue repousser les idées éculées sur la femme uploads/Histoire/ 6-cliches-sur-le-moyen-age.pdf
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- Publié le Apv 12, 2021
- Catégorie History / Histoire
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